Elke Van den Brandt: «Même Monsieur Maingain s’est fâché de ne pas avoir de nouvelle piste cyclable sur sa commune»
LA LONGUE INTERVIEW | C’est la vedette politique du confinement à Bruxelles: Elke Van den Brandt, ministre bruxelloise de la Mobilité, a arbitré les débats sur la piste cyclable de la rue de la Loi ou le retour des voitures au Bois de La Cambre. Elle descend de son vélo pour expliquer comment elle compte convaincre les navetteurs wallons de pédaler.
Publié le 10-06-2020 à 15h11
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GWBFIUPO6BHK3GEZIDDT5VDGEQ.jpg)
C'est sans doute la personnalité politique bruxelloise qui a été le plus en vue alors que les «sorties» ne se faisaient que par écrans interposés: Elke Van den Brandt, ministre de la Mobilité (Groen). Après avoir appliqué l'urbanisme tactique dans Bruxelles en ouvrant des zones 20km/h dans les communes, elle a surfé sur la tendance pour dérouler 40km de pistes cyclables supplémentaires en quelques jours. Un geste impensable avant le virus. Et il nous revient qu'elle en a encore sous la pédale.
Deux dossiers surtout ont fait décoller son nom au-delà des 19 communes: la bande cyclable peinte en une nuit dans la rue de la Loi et la réouverture aux voitures du bois de La Cambre. Deux dossiers opposant presque idéologiquement les tenants du deux-roues aux tenants de la voiture. Dont les courbes statistiques ont suivi des trajectoires inverses durant le confinement, comme le montrent les derniers comptages de Bruxelles Mobilité.
Le jour où on la rencontre, Bruxelles se prend sa première vraie drache en 3 mois. Elke Van den Brandt a d’abord quitté son domicile à vélo, avant de se replier dans le métro. De quoi illustrer par A + B que l’intermodalité est sa solution pour Bruxelles. Comme elle nous le confie dans notre longue interview.
«2 tiers des déplacements dans Bruxelles font moins de 5km. C’est là qu’il faut travailler»

Elke Van den Brandt, vous êtes ministre bruxelloise de la Mobilité (Groen). Comment convaincre les navetteurs wallons de se mettre au vélo à Bruxelles?
Nous avons lancé l'offre « Park + Bike ». Il s'agit de parkings où les navetteurs peuvent garer leur voiture et enfourcher un vélo. C'est opérationnel et ça marche. Des Villo! y sont disponibles. Le vélo partagé a d'ailleurs enregistré 7.000 abonnements supplémentaires durant le confinement: ça montre qu'il y a un intérêt. Ça permet aussi d'éviter les transports en commun trop bondés.
Le supplément vélo de 4€ sera temporairement supprimé cet été dans les trains. 4€ le trajet, c’est cher. Et dissuasif. Travaillez-vous avec la SNCB pour diminuer ou supprimer définitivement ce tarif?
Les enquêtes montrent en effet que le 1er et dernier km sont régulièrement parcourus à vélo, notamment les trajets domicile-gare. Pour le métro de la STIB, c’est réglé: voyager avec son vélo est gratuit. Si la SNCB permettait de voyager gratuitement avec son vélo non-pliable, ça serait une bonne chose pour Bruxelles et les navetteurs. Je peux imaginer qu’il puisse y avoir des contraintes de place. Mais cette gratuité potentielle n’est pas en mon pouvoir.

La part modale du vélo dans les déplacements internes à Bruxelles ne dépasse pas les 5% selon la dernière étude de Brussels Studies. Comment convaincre davantage de Bruxellois?
La raison numéro 1 invoquée pour ne pas se mettre au vélo, c’est la crainte. Et c’est vrai que le vélo à Bruxelles, c’est de temps en temps dangereux. C’est pourquoi j’ai ajouté 40km de piste cyclable supplémentaire au réseau sécurisé bruxellois. Mais il y a encore beaucoup à faire: il faut continuer à investir.
Le confinement a boosté le vélo: comment en profiter?
Les cours de ProVélo témoignent de cet engouement: ils sont tous pleins. Mais seuls 6 à 10% des déplacements dans Bruxelles se font à vélo. Dans le même temps, 2 tiers des déplacements dans Bruxelles font moins de 5km. C'est là qu'il faut travailler. Le vélo, ce n'est pas pour tout le monde, mais le vélo électrique peut aider. D'où la campagne que nous lançons avec Bruxelles Mobilité. Et puis, il faut davantage de stationnement vélo, penser à ceux qui vivent au 10e étage.

Qu'avez-vous pensé en voyant Extinction Rebellion bloquer un carrefour du bois de La Cambre?
Je comprends leurs revendications. Durant le coronavirus, nous avons appliqué le processus «tempête» dans cet espace vert: soit une ouverture généralisée aux piétons et cyclistes. Désormais, c’est tous les jours dimanche dans le bois puisque seule la boucle nord est autorisée aux voitures. à la rentrée, nous comptons organiser l’avenue de Diane en deux sens de circulation, et laisser 80% du parc ouvert aux promeneurs.
Chacun son vocabulaire pour parler du bois de La Cambre. À Uccle, ils disent «fermeture». Moi je préfère parler d’ «ouverture» aux piétons et cyclistes
Cette décision est acquise? Car la polémique a été grande avec la commune d’Uccle, notamment.
On travaille encore sur les modalités. Il faudra adapter les feux sur la chaussée de Waterloo et l’avenue Lloyd George. Il reste du débat dans les communes concernées, chez les commerçants. Mais on va vers un système avec davantage d’ouverture. Chacun son vocabulaire: à Uccle, ils disent «fermeture». Moi je préfère dire «ouverture».

Comment avez-vous travaillé avec les communes durant la crise sanitaire pour instaurer les zones dites «apaisées» à 20km/h?
Beaucoup de Bruxellois n’ont pas de jardin: il fallait leur permettre de sortir s’aérer. Les rues de Bruxelles n’y sont pas aptes. Il fallait repartager l’espace. Nous avons donc commencé par un petit projet comme celui des étangs d’Ixelles, où des conflits entre piétons et joggeurs étaient rapportés. Ensuite, j’ai envoyé un courrier aux 19 communes. La Région proposait son aide matérielle pour réaliser ces «zones résidentielles» ou peindre les «rues cyclables» car les entrepreneurs étaient à l’arrêt. 16 ont réagi positivement et 10 d’entre elles ont instauré des «slow streets». Il en reste encore à adapter.

Pourquoi n’avoir pas été plus loin en instaurant de véritables piétonniers?
Toutes les rues ne sont pas adaptées à ces dispositifs: les voitures des riverains doivent circuler, les services de sécurité aussi. Les piétonniers demandent des plans de mobilité, ce pour quoi nous n’avions pas le temps.
Certaines de ces «slow streets» sont instaurées dans des quartiers déjà très verts: pourquoi n’avoir pas davantage ciblé les quartiers denses?
Nous l'avons fait à Cureghem à Anderlecht. On travaille aussi sur la chaussée de Gand à Molenbeek. Ce sont les communes elles-mêmes qui ont identifié les rues à apaiser car ce sont elles qui connaissent le terrain, les quartiers, leurs problèmes. Mais nous constations aussi des problèmes à côté des parcs, comme les tensions entre joggeurs et promeneurs à Josaphat, à Schaerbeek. Il fallait un équilibre entre ces deux tendances.

Le Gouvernement bruxellois lance son plan « Bruxelles en Vacances »: pourquoi insister sur le fait que cette mobilité apaisée est synonyme de vacances? Cela ne renforce-t-il pas les préjugés sur le fait que circuler à pied ou à vélo, c'est un loisir alors que la voiture est le mode de déplacement de ceux qui travaillent?
Jusqu’au 31 août, il n’y aura aucun spectacle important. Nous pouvons ouvrir les rues à des petits événements culturels. On peut rouvrir les horecas. Cela doit se faire en adaptant l’espace public. Il faut rapidement créer plus d’espace pour répondre à la crise.
Quid du long terme? On revient à la normale en septembre, à la rentrée?
Pour le long terme, le plan Good Move va dans cette direction. Il se base sur les 50 quartiers identifiés pour devenir des quartiers «apaisés». Nous y travaillerons sur la circulation pour la canaliser au rythme de 5 mailles par an.
Agirez-vous sur le stationnement? On sait que les places de stationnement fonctionnent comme un appel au trafic de transit.
À Bruxelles, on a l’habitude de stationner en voirie. Or, une voiture passe 95% du temps à l’arrêt. Il faut davantage utiliser les parkings hors voirie. Cela libérera de la place pour les pistes cyclables, des plaines de jeu, des terrasses. Il faut rééquilibrer l’espace public car la moitié des Bruxellois n’ont pas de voiture. Une solution à ça, c’est la voiture partagée puisqu’on estime qu’une telle voiture libère 15 places de stationnement.
Dans certaines communes, l’abonnement en box vélo est nettement plus cher que la carte riverain pour garer sa voiture.
Nous travaillons sur une nouvelle ordonnance «stationnement» qui doit harmoniser ces mesures. Mais le box vélo n’est pas la seule solution. Il ne fonctionne d’ailleurs pas pour le vélo cargo. Nous lançons donc un appel aux communes pour installer des parkings, mais aussi au privé: chez les particuliers, dans les magasins vides... Il y a toute une palette de solutions. C’est une des missions de l’agence régionale de stationnement parking.brussels.
Il passe 3.000 voitures pour 2.000 piétons et cyclistes par heure de pointe dans la rue de la Loi. Or, ces derniers n’avaient que 5,50m. D’où d’incessants conflits. Il fallait repartager l’espace.

L’autre dossier mobilité qui a défrayé la chronique durant le confinement, c’est la rue de la Loi.
Je peux comprendre les craintes des automobilistes mais il reste 3 bandes. Nous avons fait des calculs: en heure de pointe, il passe 3.000 voitures pour 2.000 piétons et cyclistes. Or, ces derniers n’avaient que 5,50m. D’où d’incessants conflits. Il fallait repartager l’espace. Je suis convaincue que c’est mieux aussi pour les automobilistes car cela convaincra davantage de monde d’abandonner la voiture. Les études nous montrent aussi que la fin de la rue de la Loi fonctionne comme un entonnoir en passant à 2 bandes, ce qui provoque les ralentissements. Il y a des alternatives dans le quartier avec le métro ou le train. Et puis, que voulons-nous montrer dans le quartier européen? 4 bandes de voitures ou un quartier agréables aux piétons et cyclistes?

Aux Pays-Bas, des solutions ont été testées qui récompensent les automobilistes qui circulent hors heures de pointe. Une piste?
Je travaille sur la taxe km. Ce système me semble beaucoup plus intelligent que le forfait appliqué aujourd’hui. Ça inciterait les automobilistes à circuler hors heures de pointe. Mais j’ai compris qu’il faut intégrer les autres régions à la réflexion. Les embouteillages coûtent entre 5 et 8 milliards par an. Et on estime que 10.000 personnes meurent prématurément chaque année à cause de la pollution atmosphérique. Il faut trouver une mobilité propre. Ne rien faire coûte davantage. Mais bien sûr, il ne faudrait pas que les plus précarisés soient touchés.
C’est aussi un dossier qui prend du sens au vu de l’actualité: vous comptez rebaptiser le tunnel Léopold II.
Il faut, IL FAUT, rebaptiser le tunnel. Nous lancerons une procédure participative. Le tunnel est le test idéal car personne n’y habite: cela facile la transition administrative. Et puis ce cher Monsieur Léopold a encore d’autres endroits à Bruxelles qui le commémorent. Il s’agirait d’un beau symbole. D’abord car il faut évidemment parler davantage de la colonisation. Ensuite, parce que 6% seulement des voiries bruxelloises portent le nom d’une femme: nous exigerons donc un nom féminin pour ce tunnel. Donner des noms de femmes aux espaces publics sera d’ailleurs inscrit dans une prochaine ordonnance.
Écolo s’est beaucoup opposé au métro nord, préférant le tram en site propre, moins cher et plus impactant pour le trafic automobile. Pas Groen?
Ce qui est important pour le métro, c’est que les coûts et délais restent sous contrôle. Et puis, il faut aussi poser la question du nombre de gens à transporter. Sur l’axe nord-sud, tous les trams sont bondés. Par ailleurs, le tram en site propre satisfait. Prenez le nouveau tram 9, avec sa signalisation toujours au vert: les voyageurs sont hyper-contents et demandent à la prolonger.
Jusqu’au Brabant?
Nous travaillons avec la Flandres sur le «Brabantnet», le réseau Brabant. Il y a 3 axes en réflexion: le long de l’A12, vers Zaventem et sur la boucle du Ring, aujourd’hui desservie par le trambus De Lijn. Cette frontière, elle est administrative: il faut travailler entre régions. Je dois dire que ça va plus vite avec M. Henri, car nous avons le même point de vue. Mais nous collaborons aussi avec M. Peeters.

Y a-t-il un momentum politique pour la mobilité à Bruxelles-Ville puisque l’échevin Bart Dhondt appartient au même parti que vous?
La composition de majorités identiques à la Ville et à la Région, ça aide. Mais nous avons constaté cette vague verte partout après les élections: Groen et Écolo sont dans de nombreuses majorités. Ainsi, le plan Good Move a reçu des avis positifs dans toutes les communes.
+ LIRE AUSSI | Bart Dhondt: «Un Bruxellois de 3 ans et demi doit pouvoir apprendre le vélo dans sa rue»
Le vélo est à la mode. Monsieur Olivier Maingain s’est même fâché lorsque nous avons lancé nos 40km de pistes cyclables de ne pas en avoir à Woluwe-Saint-Lambert: il avait raison.
Le vélo est à la mode chez les politiques. Ça va durer? Philippe Close va continuer à en faire?
Il faut lui demander! Mais c’est vrai, le vélo est à la mode. Monsieur Olivier Maingain s’est même fâché lorsque nous avons lancé nos 40km de pistes cyclables de ne pas en avoir à Woluwe-Saint-Lambert: il avait raison. Mais je parle aussi d’un momentum technologique puisque l’application MAAS est en passe d’être opérationnelle. Cette solution intermodale développée par la STIB est actuellement en phase test: j’y crois vraiment.
Et vous, votre vélo, il ressemble à quoi?
C’est un vélo normal. Il a 13 ans, je l’aime bien. Mais j’utilise aussi Billy ou Villo en fonction des distances et du relief.
Vous avez un conseil promenade?
La promenade verte à vélo, j’aime bien. Mais j’aime aussi les vacances à vélo avec les enfants. On a déjà fait la Loire avec la tente.
Au jour le jour, vous circulez où?
J’habite le quartier près du parc Elisabeth. Pour aller au boulot, je prends l’itinéraire le plus court mais aussi le plus sécurisé. Les pistes cyclables comme les petites rues. Ma préférée, c’est la nouvelle piste cyclable de la Petite Ceinture. On va la terminer.
