CARTE | Les statues de Léopold II menacées? «Les déboulonner ne fera pas disparaître le racisme»
Critiquées ou dégradées par des manifestants antiracistes aux quatre coins du pays, les statues de Léopold II suscitent la polémique. Alors que certaines d'entre-elles ont déjà été mises à l’abri, plusieurs Communes impliquées se sont penchées sur la question.
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Publié le 10-06-2020 à 17h15
Les manifestations contre le racisme qui embrasent les États-Unis font des émules chez nous. Depuis le début du mois de juin, plusieurs statues à la gloire du Roi Léopold II ont été vandalisées à travers le pays.
Après les jets de peinture rouge sur les sculptures de Tervuren, Hal, Ostende et Ekeren, c'est la grande statue équestre située sur la place du Trône qui a été vandalisée ce mardi. Les protestataires refusent la mise en valeur du «roi bâtisseur», critiqué pour son règne de terreur au Congo au XIXe siècle.
Dès lors, face à cette recrudescence des actes de vandalisme envers ces sculptures controversées, doit-on les laisser sur place ou les déboulonner, comme ce fut le cas à Ekeren (où la statue a finalement été enlevée)? Selon Vincent Dujardin, historien à l'UCLouvain, nier le passé ne va pas guérir les blessures. «Faire table rase du passé ne me semble pas du tout constituer un bon chemin pour favoriser la cohésion de nos sociétés. Faut-il aussi supprimer toute trace des Jules César, Charles-Quint ou Napoléon de notre espace public? Ils n'étaient pas tous des Saint François d'Assise», expliquait-il dans nos éditions la semaine dernière.
Malgré tout, le sujet est sensible et le nombre important de monuments coloniaux présents dans l'espace public pose question. En Belgique, on recense une petite quinzaine de statues à l'effigie de l'ancien roi, mais aussi une vingtaine d'avenues et de rues à son nom. «C'est certain, il y en a trop. Il faut une discussion sociétale, politique sur le rôle de la colonisation, mais aussi dans les écoles. Beaucoup d'enfants ne savent pas qu'il y a une histoire partagée entre le Congo et la Belgique», nous confie Guido Gryseels, directeur général de l'Africa Museum de Tervuren.
La balle est dans le camp des Communes, puisque le choix de démonter ou non ces statues est de leur ressort.
À Bruxelles, le secrétaire d'État Pascal Smet, en charge de l'Urbanisme et du Patrimoine, veut mettre sur pied un groupe de travail chargé de se prononcer sur le sort à réserver aux références à Léopold II dans la capitale. «Si la conclusion de ce débat est qu'il faut retirer ces références, j'accorderai les permis d'urbanisme nécessaires», a-t-il déclaré ce mardi.En attendant, la ministre bruxelloise Elke Van den Brandt a déjà annoncé qu'elle souhaitaitrebaptiser le tunnel Léopold II.
Quid des statues d’Arlon, Mons et Namur?
Mais qu'en est-il en Wallonie? De Mons à Namur - où les statues sont classées - , en passant par Arlon, les représentations dusecond roi des Belges sont de plus en plus critiquées au sud du pays. Une pétition demandant le déboulonnage de la statue située à l'entrée d'Arlon a déjà recueilli plus de 550 signatures.
Ce n’est pas en déboulonnant les statues qu’on va effacer cette part sombre de l’histoire du pays.
La Ville d’Arlon semble ne pas prendre la question à la légère puisque le collège communal se positionnera sur le sujet lundi prochain. En attendant, le bourgmestre Vincent Magnus a décidé... de ne pas décider. «Je pense que ce n’est pas en déboulonnant les statues qu’on va effacer cette part sombre de l’histoire du pays. Ce qui est le plus important, c’est la critique historique et le débat de société. À mon avis, il faut écouter tous les points de vue (historiens, échevins, citoyens d’origine congolaise) avant que les pouvoirs politiques ne décident quoi que ce soit.»
À Mons, les autorités universitaires ont décidé de retirer le buste de Léopold II d’un local (inaccessible au public) de la faculté d’Économie et de Gestion pour le ranger dans les réserves universitaires dans un souci d’apaisement. Toutefois, cette décision ne plaît pas à tout le monde. «Geste inacceptable» , «décision lamentable»: de nombreux citoyens regrettent que l’UMons décide de «cacher l’histoire».
Mais une deuxième statue se trouve dans le centre-ville de Mons, au coin de la rue des Fossés. La polémique ambiante va-t-elle pousser les autorités montoises à enlever cette représentation de l’ancien roi? Nous leur avons posé la question, mais sans réponse.
À Namur, on parle d’adjoindre une plaque explicative à la statue du rond-point mais aussi au centre sportif Tabora.
Du côté de Namur, une statue de Léopold II a longtemps orné le rond-point de la place Wiertz, à Salzinnes, et Maxime Prévot ne compte pas changer d’avis. «Je pense que déboulonner la statue ne fera pas disparaître le racisme et n’apportera pas de solution aux problèmes de discrimination. Notre pays est le fruit d’une histoire avec des aspects glorieux et d’autres moins. On doit surtout faire un gros travail de contextualisation, notamment dans les écoles. Ce n’est pas pour autant qu’il faut se mettre un voile devant les yeux. À Namur, on parle d’adjoindre une plaque explicative à la statue du rond-point mais aussi au centre sportif Tabora, dont le nom vient d’une célèbre bataille de l’époque coloniale», détaille le bourgmestre de Namur.
Une position également défendue par l'Agence wallonne du Patrimoine, qui prône la présence de panneaux explicatifs sur ces statues. «Il conviendrait sans doute de donner aux jeunes générations les moyens d’en comprendre le contexte historique dans le cadre de leur cursus scolaire», explique Sandrine Mathot, coordinatrice à l'Awap.