Grand entretien avec Thiam, la suite: «Le plaisir est mon moteur et doit le rester»
En 2017, Thiam ne s’est pas contentée de confirmer son titre olympique. Elle a tout raflé. Mais ne veut pas se focaliser sur son statut d’invincible.
Publié le 30-12-2017 à 09h00
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Pour une année light, quelle année! Quel en est le plus beau moment sportif?
Je pense que l’on m’a mal comprise. Après les Jeux, j’avais dit que ce serait une année moins chargée, mais jamais light. La nuance est importante. Les années light n’existent pas. Être championne d’Europe en salle et du monde constitue des exploits à ne surtout pas banaliser. Ce sont des moments super forts, le rêve de chaque athlète. Maintenant, ce que j’ai réussi à Götzis occupe une place à part. J’y ai franchi la barre mythique des 7 000 points et y ai acquis la certitude que je pouvais réaliser de très grandes choses. Quand j’ai signé ce record (7 013 pts), c’était moi face à moi-même. En championnat, tu peux avoir une médaille sans faire une superbe compétition parce que tu dépends aussi des autres. La barre des 7 000 points, tu ne l’atteins que parce que ton concours frise la perfection.
Qu’attendez-vous de 2018?
Je veux continuer à m’améliorer même si je sais que la marge devient de plus en réduite; 7 000 points, c’est quand même… Pff. Je peux progresser dans presque chaque discipline. Mais la question n’est pas là. À Götzis, j’ai fait l’heptathlon parfait. Refaire aussi bien ne va pas être une sinécure. Un heptathlon parfait tient à tellement de choses, à une erreur ou à un manque de chance, que je ne peux pas dire quand je serai en mesure de rééditer ma performance de Götzis.
Votre objectif sera l’Euro de Berlin…
Oui, chaque année, ma cible N.1 est le championnat outdoor. J’aurai ma place à défendre sur le podium. Après, mon résultat final ne dépendra pas que de moi, comme à chaque fois. Je ne peux que me concentrer sur ce que je dois faire puisque c’est la seule chose sur laquelle j’ai une prise. Et encore! Personne n’est assuré de pouvoir sortir la grande perf le jour J. Cela fait deux ans que ça me réussit mais je me dois de garder à l’esprit que je ne suis pas à l’abri d’un moins bon jour.
Cet été à Londres, vous avez dit avoir ressenti, pour la première fois, la pression comme un poids…
Oui, c’est vrai. J’ai toujours fait de la compétition par plaisir et, là, je n’en ai pas éprouvé.. Si tous les championnats à venir devaient être comme celui-là, je ne verrais pas l’intérêt de continuer parce que ça me saoulerait vite. Dès le moment où tu ne t’amuses plus dans ce que tu fais, il n’y a vraiment pas d’intérêt de la faire encore. Durant ces Mondiaux, j’ai compris que je devrais m’habituer à mon statut. Maintenant, j’espère que l’on ne va quand même pas faire le forcing comme ça chaque année. Je veux bien que l’on enchaînait après les Jeux et que tout le monde était excité mais il faut pouvoir relativiser. Qu’on ne se limite pas, en parlant de moi, à dire à chaque fois: «Nafi vise une médaille d’or et si elle ne l’a pas, c’est nul.» Aux Mondiaux, j’avais l’impression que les gens se disaient que je n’avais qu’à me pencher pour ramasser la médaille d’or et que si je n’y parvenais pas, c’était que j’avais complètement foiré. Au contraire! Rien ne tombe du ciel. Faire la compétition dans ces conditions-là était assez pénible.
Le judoka français Teddy Riner est invaincu depuis 7 ans. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Je ne me focalise pas sur une quelconque durée d’invincibilité. Je ne me dis pas qu’il faut j’entre dans l’histoire. Ce serait un très mauvais calcul. Je profite de chaque opportunité. Une carrière c’est court. Donc, il faut que je prenne du plaisir. Je ne veux pas nourrir de regrets à la fin en me disant que j’ai tellement eu la pression que je ne me suis pas rendue compte de tout ce que j’avais réussi. Je ne veux donc surtout pas me retrouver tout le temps en train de lutter contre la pression que l’on me met sur les épaules.

Vous voilà championne olympique, du monde et meilleure athlète mondiale de l’année. Quelle est votre hiérarchie de cœur?
Il n’y a pas plus belle performance sportive que l’or olympique. Après, être élue meilleure athlète de l’année, c’est peut-être ce que qui me touche le plus. Parce que des championnes olympiques et mondiales, il y en a plusieurs. On ne pourra plus jamais m’enlever le fait d’avoir été élue, seule, meilleure athlète du monde par la fédération internationale en 2017.
Lorsque vous avez reçu ce trophée à Monaco, avez-vous pris conscience que vous entriez dans une nouvelle galaxie, celles des Bolt, Lewis, Isinbayeva?
Doucement, là! Je n’ai pas encore de record du monde comme Bolt, ni autant de médailles que lui. Donc, je ne mettrais pas dans la même catégorie. Je pense que je prends conscience que j’entre dans une autre dimension par mes performances sur la piste, pas lorsque je reçois une récompense. Cela dit, je suis évidemment très heureuse à chaque fois que j’en reçois une. Surtout à un niveau pareil. Je ne pensais pas recevoir un jour le prix d’athlète mondiale de l’année. Maintenant, je n’imaginais jamais non plus franchir la barre des 7 000 points à l’heptathlon. Et, c’est plutôt à ce niveau-là que je me surprends et que je me rends compte à quel point j’évolue. Le reste est une conséquence de ce que je fais sur la piste.
À Monaco, vous avez déjeuné avec le président de l’IAAF, Sebastian Coe. Vous a-t-il répété qu’il vous voit comme l’une des stars de l’athlétisme maintenant que Bolt a pris sa retraite?
Il parle surtout de ça aux journalistes, pas aux athlètes. Ce n’était pas à l’ordre du jour, pas le sujet de discussion. On a parlé de Londres, des voyages. C’était relax. Si je peux servir la cause de mon sport, tant mieux mais mon objectif ne se situe pas là.