Grand entretien avec Nafi Thiam: «Je ne cherche pas la notoriété mais elle a un côté amusant»
Cette année, il n’y en a eu logiquement que pour Nafissatou Thiam, qui est sortie des pages sportives. Elle nous en parlé pendant une heure.
Publié le 30-12-2017 à 07h00
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Depuis votre titre olympique en 2016, on vous voit partout…
Disons qu’après les Jeux, j’ai eu le privilège d’être choisie par mon équipementier pour une campagne mondiale. Voir ma tête partout était bizarre et impressionnant à la fois. Nike est mon premier sponsor. Je n’avais pas encore fait de compétition chez les seniors qu’il voulait déjà investir sur le long terme alors que d’autres marquent ne le souhaitaient pas. C’est pour ça que ma relation avec Nike est si forte. Je considère ces gens comme grande famille et ça me fait plaisir d’être arrivée à un tel niveau sportif que l’on peut désormais faire des grandes choses ensemble. C’est l’une des plus grandes marques mondiales. Alors, être choisie par elle pour telle une campagne de pub a été énorme, oui.
Vous aimez bien ce monde à part ou êtes-vous un peu nostalgique de votre anonymat d’avant?
Être souvent reconnue dans la rue fait partie du jeu. Ce sont des conséquences de ce qui se passe sur la piste. On est toujours en train de demander plus de visibilité pour l’athlé. Donc, on ne va pas se plaindre. Et, pour moi, faire des séances photos aussi professionnelles pour une telle marque constitue une expérience incroyable. Je n’étais jamais allée aux USA, ni à New York. Ce sont des nouveaux trucs géniaux de ma vie. Mais je ne perds pas de vue que mes résultats sportifs priment. Le jour où je ne ferai plus de performances, il ne faut pas croire que l’on fera encore appel à moi pour des séances photos. C’est pour ça qu’il faut garder les pieds sur terre et ne pas trop se laisser submerger par ce milieu même si tout cela est très amusant. Mon but, dans la vie, ce n’est pas juste de m’entraîner tous les jours. Je suis aussi une personne.
Souvent, on s’étonne que les sportifs fassent autre chose. Comme si on n’avait pas le droit de sortir de ce milieu-là. Mais on est comme tout le monde. On peut aussi avoir une vie sur le côté sans se sentir coupable. Après, c’est sûr qu’il y a des choses moins faciles à gérer au quotidien. Il y a beaucoup de demandes. Les gens veulent toujours faire des photos. Je les comprends. Ils me soutiennent et ça me fait plaisir. Quand j’étais plus jeune, je demandais aussi des photos d’athlètes. C’est bien que je puisse faire parler un peu plus de l’athlétisme. Toute cette notoriété va à l’encontre de ma personnalité. Je suis plutôt discrète et je n’aime pas être mise en avant, surtout quand je sors de chez moi en jogging pour aller chercher des œufs et que je ne ressemble à rien (sic). Je ne cherche, donc, pas la notoriété mais elle a un côté amusant. Je suis plus à l’aise face aux flashs dans un stade rempli de monde qu’au quotidien. Comme tout le monde, j’aime avoir mon intimité. Mais je sais que ça fait partie du jeu et la plupart des gens sont respectueux.
N’est-il pas trop difficile, justement, de ne pas se laisser submerger par tout ce nouveau monde dont vous faites partie désormais?
Je pense qu’il faut trouver son équilibre. À mon âge, c’est important d’avoir autre chose que l’athlétisme. On m’a beaucoup reproché de continuer mes études. Ce n’est pas un caprice, c’est une nécessité en Belgique. Il me faut un diplôme, point. Vous savez, j’aimerais bien être une athlète américaine qui n’en a pas besoin. En plus, mes études contribuent à mon équilibre personnel. Je pense avoir prouvé que c’était possible de mener les deux de front.
Avez-vous eu plus encore plus de sollicitations en cette fin d’année qu’après les JO 2016?
Après Rio, c’était surtout ponctuel. Il y avait une médaille olympique. Il y a beaucoup de choses d’un coup. Depuis, ça a pris un rythme quotidien tout au long de l’année. Et, c’est le plus difficile à gérer. Entre mes études et mes entraînements, j’ai heureusement encore du temps libre pour me reposer et faire d’autres choses, voir mes amis, ma famille. Mais mon agenda est super chargé. Kim et Helena (NDLR: ses managers) gèrent les sollicitations. Il y a des moments où il faut refuser, c’est sûr.
Dire non, c’est facile?
Non, mais c’est nécessaire. Je ne peux pas courir partout car c’est comme ça que l’on se blesse. Je dois aussi me reposer. Parfois, les gens ne comprennent pas. Ils le prennent mal mais ils doivent essayer de se mettre à ma place.
N’avez-vous besoin de personne pour garder la tête sur les épaules?
Non, je crois y parvenir naturellement. J’essaye de ne pas penser comme tout le monde. Si c’était le cas, j’aurais déjà une tête comme une montgolfière. Dans ma famille et mon entourage, personne ne m’a jamais considérée comme une star. Pour eux, je suis toujours restée Nafi. Je vais encore à l’université et, là-bas, mes amis me voient juste comme une des leurs et c’est très bien comme ça.
Redoutez-vous un peu le moment où vous aurez fini vos études et que ce milieu-là, justement, ne sera plus là pour contribuer à votre équilibre personnel?
Non. C’est aussi une question d’âge. Beaucoup de sportifs arrêtent leurs études tôt. Moi, je suis en train de prendre de l’expérience et de gagner en maturité. Cela m’aidera à gérer mon statut plus tard. Si je n’étais pas étudiante, est-ce que j’aurais pu gérer la pression comme je l’ai fait aux Mondiaux de Londres? Ces moments-là me confortent dans l’idée que j’ai fait le bon choix en poursuivant ma scolarité.
Les trophées s’accumulent. Les avez-vous mis dans une grande armoire?
Non. D’ailleurs, je ne cherche pas à les mettre en évidence dans une vitrine. Je sais que je les ai gagnés, qu’ils sont là et je ne ressens pas le besoin de les exposer. Peut-être que, plus tard, j’aurai envie de les mettre dans mon bureau. Mais bon… De toute façon, je n’ai pas de bureau (rires).