INTERVIEW | Yanina Wickmayer: "Toujours dans l’ombre de Kim et Justine, mais je ne leur en veux pas"
À 33 ans, Yanina Wickmayer s’éclate sur les terrains et les résultats suivent. La jeune maman vise le retour dans le Top 100.
Publié le 22-03-2023 à 06h00
Être maman lui va si bien. Yanina Wickmayer rayonne tant en dehors que sur les courts. L’Anversoise de 33 ans est l’une des Belges les plus actives lors du premier trimestre de la saison. Elle enchaîne les tournois et les victoires.
Quatre instantanés de ses classements résument ses deux dernières années. En avril 2021, elle pointait à la 190e place au moment de son accouchement. En juin 2022, elle atteignait son classement le plus bas (749e). En janvier, elle était déjà remontée à la 323e place. En un trimestre, elle a effacé plus de 100 places pour figurer au 211e rang.
La suite ? Elle vise le Top 100, les Grands Chelems et un retour (déjà confirmé) en Billie Jean King Cup. La jeune maman pétille et ne manque pas d’objectifs !
Yanina Wickmayer, on vous sent si épanouie. Comment jonglez-vous entre les entraînements, les voyages, les matchs et votre famille ? Physiquement, ne puisez-vous pas trop loin ?
Physiquement, je me sens moins en difficulté qu’avant. Je récupère super bien car je gère bien mieux. Je ne sens pas que j’ai presque 34 ans.
Quel est votre secret ?
Mon niveau de jeu est là ce qui me motive à fond. En plus, je m’amuse tous les jours. Je vis à fond toutes les émotions. Le plaisir de jouer me libère.
Cela se traduit par un bilan très positif durant le premier trimestre…
J’ai remporté trois titres en double et disputé près de 40 matchs en simple.
À cause de votre classement, les tournois WTA ne sont pas encore accessibles. Comment vivez-vous le fait de jouer en deuxième division ?
Je joue essentiellement des 60 000 dollars car le calendrier est mal fait. Il existe un trou entre les épreuves ITF et WTA. Durant les premiers mois, il y a peu d’options pour les filles du top 300-400. Par conséquent, on se retrouve avec des tableaux très solides en 60. J’affronte des filles qui ont le niveau du Top 100. Le début de saison, c’est vraiment la catastrophe jusqu’à Miami. Il n’y a pas un 80 000 jusqu’en avril.
Idéalement, dans quelle catégorie auriez-vous souhaité jouer ces derniers mois ?
Je visais surtout des 80 000 ou 100 000 voire des 125 000. Durant l’été, le planning est rempli de ces tournois. Je regrette qu’ils ne soient pas mieux répartis sur la saison. À la limite, tu dois jouer toutes les semaines dès avril ! Il est temps que l’ITF et la WTA se penchent sur les joueuses du top 300 et 400.
Pour vous, cette catégorie sera bientôt un lointain souvenir. Quels sont vos objectifs ?
Je veux gagner des tournois ITF en simple et en double. C’est fait. Je veux jouer les qualifs de Grand Chelem. C’est fait aussi. La récompense serait d’intégrer directement un tableau final de Grand Chelem. Dans quelques mois, j’ai deux Majors qui m’attendent. Je dois encore progresser au classement. Je n’ai rien de précis en tête. Pour moi, le ranking, c’est la porte vers les grands tournois. En fin d’année, je peux être dans le Top 100. Je me concentre surtout sur mes émotions sur le terrain.
Aviez-vous imaginé un tel scénario moins d’un an après votre retour ?
Non, c’est fou. Il y a un an, je revenais après ma grossesse. J’étais motivée à l’idée de rejouer, mais je ne savais pas de quoi le futur serait fait. En réalité, j’avais repris en février pour un tournoi, mais j’ai attrapé le corona. Je suis surtout revenue à la mi-mai.

Les premières semaines étaient-elles douloureuses ?
J’ai fait des progrès rapides. Les étapes sont passées très vite. Je m’amusais. Je progressais. Je m’amusais. Le matin, je me réveillais avec plaisir à l’idée d’aller sur le terrain. Ce qui est moins agréable, c’est de dire au revoir à ma fille pour deux semaines quand je pars en tournoi.
N’avez-vous jamais regretté votre choix de revenir ? Vous n’aviez plus rien à prouver à personne…
Je suis contente. Heureuse même. Je profite beaucoup plus de chaque moment de la vie. Ma deuxième partie de carrière est très différente de la première.
C’est-à-dire ?
Je suis toujours perfectionniste. Je veux toujours tout gagner. Mais, je prends plus le temps de profiter. La notion de plaisir est centrale. Je vis dans le présent. Je célèbre une victoire. Je relativise plus vite après une défaite. Avant, je passais mon temps à regarder les points que je devais défendre.
Qu’est-ce qui a servi de déclic ?
Être maman, sans aucun doute. Ta vie change complètement. Tu ne vis plus juste pour toi. Tu es responsable d’un petit être. Je prends plus de recul. Et puis, j’ai aussi engrangé tant d’expériences durant la première partie de carrière.
Estimez-vous avoir réussi votre première partie de carrière ?
Oui, évidemment. Je ne ressens pas le besoin de me prouver quoi que ce soit. J’ai vécu beaucoup de grands moments. Désormais, je suis plus concentrée sur mon mari et sur ma fille.
Vous parlez durement de votre parcours avant la naissance de votre fille Luana Daniëlla. Avez-vous bien vécu votre carrière de 2004 à 2021 ?
J’étais enfermé dans une forme d’habitude où tout est normal. Tu enchaînes comme un robot toutes les semaines. Je n’étais jamais contente de mes résultats. Quand j’étais top 20, je voulais être top 15 puis top 12 puis 10… Pour dire vrai, tu ne profites jamais de rien. Je ne réalisais pas en avril 2010 de l’importance de cette 12e place mondiale. J’aurais dû en profiter beaucoup plus.

En quoi ce premier long chapitre de plus de 15 ans vous aide-t-il aujourd’hui ?
Sans cette période, je ne serais pas devenue la femme et la joueuse que je suis. J’ai toujours aimé cette vie d’athlète qui veut tout réussir.
En plus, dans votre cas, vous avez toujours eu deux géantes qui vous ont fait de l’ombre : Kim Clijsters et Justine Henin. Comment avez-vous vécu les années 2005-2011 ?
Quand je regarde tous mes grands résultats, j’ai remarqué que l’une des deux avait toujours fait mieux au même moment. Il n’y en avait que pour Kim et Justine. Les médias étaient durs avec moi. Quand j’atteins les demi-finales à l’US Open, quelques jours plus tard Kim remporte le Chelem. Quand je passais à deux doigts de battre Henin, on m’oubliait. Quand j’étais 12e mondiale, elles étaient un et deux. Même dans mes meilleures périodes, j’étais toujours dans leur ombre. J’ai appris à vivre avec cela.
En voulez-vous à Kim et Justine ?
La situation n’a pas toujours été facile. Les médias avaient eu l’habitude de suivre les plus grandes finales. Ma vingtième place ne représentait pas grand-chose pour les journalistes. Mais, c’est mon histoire. J’ai grandi aussi grâce à cette situation. La Belgique a eu deux très grandes championnes. Elles m’ont poussée à donner le meilleur de moi-même. Je n’ai jamais été fâchée sur Kim ou Justine.
Si vous aviez 20 ans aujourd’hui, votre vie serait-elle plus simple ?
En tout cas, les journalistes ont appris à savourer une présence dans un troisième tour de Grand Chelem (sourire). Les articles des journaux m’ont aussi rendue plus forte. Je n’ai aucune rancœur ou amertume. Je suis riche de mes expériences. Aujourd’hui, les Belges ont réalisé que ma demi-finale à l’US Open n’était pas une évidence. J’ai toujours été très dure avec moi.
Êtes-vous du genre à repasser régulièrement les meilleurs moments de vos grands matchs ?
Je regarde peu le passé. Mais, je garde beaucoup de bons souvenirs. Je remercie mon passé qui m’a aidé à me construire une si belle vie. Je suis heureuse aujourd’hui.

Terminons par un dernier chapitre : la Billie Jean King Cup. Votre retour était-il un objectif majeur ?
Bien sûr. J’ai toujours adoré disputer la Fed Cup. J’ai toujours adapté mon calendrier pour faire partie de ces semaines toujours spéciales. J’aime quand le tennis devient un jeu d’équipe. J’ai savouré chaque sélection. Ici, un peu plus encore. Deux ans après avoir accouché, je suis de retour. L’histoire est vraiment belle.
Entre un Grand Chelem et la Billie Jean King Cup, que choisissez-vous ?
Les deux objectifs sont vraiment très différents. Les Grands Chelems sont les plus beaux. Tu t’entraînes tous les jours pour vivre ces tournois. Mais, moi, je veux les deux. J’aime l’idée de jouer pour mon pays, devant des supporters belges, pour une équipe.