"J’ai trouvé le juste milieu entre vie privée et vie professionnelle"
Interview Nouveau capitaine de l’équipe belge de Coupe Davis, Steve Darcis se sent épanoui dans son rôle à l’AFT.
Publié le 03-03-2023 à 17h09 - Mis à jour le 03-03-2023 à 17h04
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Nouveau capitaine de l’équipe belge de Coupe Davis, Steve Darcis a fêté cette semaine ses trois ans comme responsable des joueurs de plus de 18 ans à l’AFT. Une fonction endossée quelques semaines seulement après sa retraite sportive. Une fonction dans laquelle le Liégeois s’épanouit comme il a pris le temps de nous l’expliquer avant une séance avec ses deux joueurs actuels : Gauthier Onclin et Raphaël Collignon.
Mais "Shark" (38 ans) s’est aussi penché sur sa nouvelle vie et sa manière de travailler…
Depuis ce 1er mars, cela fait trois ans que vous travaillez à l’AFT. Vous vous sentez bien dans ce rôle ?
"Les débuts ont été un peu compliqués avec la pandémie du Covid-19 et toutes les restrictions apparues. Ensuite, nous avons tous trouvé notre rythme et je travaille au sein d’une bonne équipe. Après trois ans, on voit de belles choses arriver au plus haut niveau."
Qu’est ce qui vous donne le plus de satisfaction dans ce travail ?
"C'est de pouvoir apporter mon expérience au quotidien à nos joueurs. C'est de voir que le travail réalisé avec Ananda (NdlR : Vandendooren, entraîneur) , Alex (NdlR : Blairvacq, préparateur physique) et le reste de l'équipe porte petit à petit ses fruits. On voit des résultats arriver. Nos joueurs, Gauthier Onclin et Raphaël Collignon, commencent à monter au ranking ATP. On ne travaille pas dans le vide, c'est top."
Vous vous occupez des joueurs de plus de 18 ans. Avez-vous l’impression que cette génération aborde le métier de joueur de tennis pro différemment par rapport à votre époque ?
"Oui, c’est différent mais ce n’est pas un phénomène belge, c’est dans tous les pays et c’est plus un phénomène de société. Je trouve qu’on doit être beaucoup derrière eux. Plus qu’à mon époque de joueur. Il faut les bousculer pour les faire avancer. Avant, on n’avait pas les réseaux sociaux et les portables donc on prenait, par exemple, un peu plus de temps pour aller voir des matchs, communiquer en face-à-face avec les gens. Mais on sait que la génération actuelle fonctionne différemment et il faut s’adapter. Maintenant, tout se fait par message, la recherche de partenaire, la réservation des terrains, etc. Avant, tout se faisait de vive voix."
Est-ce que le stress de la compétition et l’adrénaline d’un match vous manquent ? Avez-vous retrouvé cela dans le métier d’entraîneur ?
"Cela ne me manque pas trop même s’il faut avouer que l’adrénaline présente quand on monte sur un court pour un match important, c’est quelque chose d’unique. Des sensations, j’en ai aussi sur les bords des terrains quand mes joueurs évoluent. J’ai envie que mes gars performent, on les soutient et il y a des choses qui se passent au niveau du stress."
Vous jouez encore ?
"Oui. J’ai joué des interclubs en Allemagne la saison dernière et aussi en France il n’y a pas longtemps. Je me suis d’ailleurs occasionné une déchirure au mollet. Je vais me préparer pour les prochains interclubs et peut-être un tournoi ou deux en Belgique pour m’amuser. C’est aussi important de rester fit pour mon travail. Si je suis entraîné, je peux encore pousser mes joueurs lors des séances."
Vous arrivez à jouer sans trop de frustration vu que votre niveau ne doit plus être le même qu’à votre période de joueur ?
"Je sais que je suis moins précis et que je commets plus de fautes. Cela m’énerve un peu mais je tente de rester calme car je sais que je ne joue plus jamais. Physiquement, je ne suis plus au top même si je tente de me garder dans un bon état. Je reste les pieds sur terre. Je vieillis et je suis moins bon. Mais si j’arrive à m’entraîner, je pense pouvoir encore tenir la route un peu. À la fin de ma carrière, je m’étais autorisé une limite de cinq kilos à prendre, j’en suis à deux. Donc cela va."
Finalement, quel type d’entraîneur êtes-vous ? Vous accordez de l’importance aux chiffres, aux statistiques ?
"Je ne suis pas du tout dans l’analyse des statistiques. J’aime voir les matchs des adversaires de mes joueurs de visu. Je prends des notes de tous les matchs que je regarde. Avec le temps, on peut oublier les points faibles d’un joueur ou la manière utilisée pour dominer un joueur, donc c’est bien de pouvoir s’appuyer sur des notes. Je regarde pas mal de rencontres sur mon ordinateur ou en live. Je préfère vraiment le live car sur le pc, tu ne vois pas toujours bien les trajectoires de la balle ou la vitesse. C’est parfois difficile de juger. Comme entraîneur, j’aime bien aussi coacher pendant les matchs, ce qui est maintenant permis. Je ne parle pas trop mais j’essaie d’être précis par des petits mots ou même parfois des regards."
Et vous arrivez à gérer la frustration quand cela ne fonctionne pas comme vous l’espériez pour votre joueur ?
"Oui. Ils ne sont pas capables de tout faire, c’est pour cela qu’ils n’occupent pas la place de numéro 1 mondial. Je n’ai aucun problème avec cela. Quand je vois que le plan de jeu mis en place n’est pas suivi, je tente de reformuler mes explications. Si je vois quelque chose qui n’était pas prévu, je tente de changer notre approche. Tout cela en restant très positif."
On sait que le tennis est un sport difficile mentalement, vous poussez vos joueurs à consulter des spécialistes dans ce domaine ?
"Je ne les oblige pas mais je les encourage fortement. On sait bien que dans le top mondial, tout le monde sait envoyer la balle de l’autre côté du filet, courir de gauche à droite. Par contre, savoir gérer des émotions et des moments importants, ce n’est pas toujours facile. Je peux en parler avec les joueurs par rapport à mon vécu, j’ai consulté des préparateurs mentaux pendant ma carrière, mais ce n’est pas mon métier. Je pense que c’est important de voir un spécialiste."
Vous travaillez avec Raphaël Collignon (ATP 235) et Gauthier Onclin (ATP 227) depuis trois ans. Comment jugez-vous leur évolution et quels sont les objectifs ?
"Je pense que c'est pas mal, ils partaient de loin (NdlR : Onclin 660e mondial en mars 2020, Collignon sans classement ATP) et maintenant ils sont quasiment dans les qualifications des Grands Chelems. On s'était fixé les qualifs de Roland-Garros cette année. Gauthier est certain d'y être et Raphaël, il lui manque quelques points mais cela devrait passer. On est sur la bonne voie et il faut continuer comme cela. Pour la suite, ils peuvent viser plus haut mais tout va se jouer sur des détails."
La Belgique est-elle à sa place sur l’échiquier mondial avec un joueur dans le top 100, trois dans le top 200 et sept dans le top 240 ?
"Oui. On est un petit pays avec des bons joueurs. On a connu des années exceptionnelles avec un peu de réussite, il ne faut pas se le cacher. Quand on a eu plusieurs joueurs dans le top 100 en même temps, c’était un peu miraculeux. Là, je trouve qu’on n’est pas si mal que cela. On a beaucoup de jeunes qui montent et des plus anciens qui sont toujours présents. Je pense vraiment qu’on risque de vivre de belles surprises dans les années à venir."
Conserver David Goffin pendant encore quelques années comme le leader du tennis belge dans le top 100 est aussi important ?
"Garder un garçon dans le top 100 c’est important pour l’image de notre tennis mais c’est aussi primordial pour ceux qui sont derrière. Pour voir comment David travaille. En décembre, nos jeunes ont partagé pas mal de séances avec lui et cela leur a fait du bien. Ils ont pu voir qu’à l’entraînement, David n’est pas inabordable. Il y a des différences bien évidemment mais cela leur montre que le chemin n’est pas aussi compliqué qu’ils pourraient le penser."
La récente blessure de David Goffin à son genou gauche, cela vous inquiète ?
"Non. David a connu une petite rechute à son genou mais je sais qu’il est bien entouré et qu’il va bien se soigner. Il prendra le temps qu’il faut. Je ne me tracasse pas car s’il a envie de revenir, il reviendra. Je pense que la motivation est toujours présente et qu’il a encore quelques belles années devant lui."
Depuis trois ans, avec cette nouvelle manière de vivre, avez-vous le sentiment d’avoir trouvé le juste équilibre entre vie privée et vie professionnelle ?
"Cela a mis un peu de temps. Là, j’ai rencontré quelqu’un et on déménage en mars. Mes filles vont bien. Les voyages sur les tournois, j’essaie de les gérer au mieux quand mes filles sont à la maison. J’ai la chance de pouvoir compter sur ma maman pour me dépanner quand je suis à l’étranger. J’ai trouvé un bel équilibre et tout le monde est bien."
Cet équilibre peut-il vous empêcher de devenir dans le futur un coach qui part trente semaines par an avec un joueur sur le circuit ?
"Oui, c’est une évidence. J’ai eu des opportunités de le faire, je n’ai pas voulu. Pour l’instant, je me sens bien avec entre 15 et 18 semaines sur les tournois. J’ai besoin de voir mes enfants, ma compagne et ma famille."
Vous êtes quand même un peu boulimique car en plus de votre travail à l’AFT, vous avez investi dans une école de tennis, dans un club à Ans et dans un club de padel à Saint-Georges-sur-Meuse...
"Oui, cela me prend du temps mais je ne fais rien tout seul, je ne veux pas reprendre des choses tout seul. J’ai à chaque fois des personnes avec qui je collabore. Et finalement, j’aime bien toutes ces activités. Je n’ai pas encore envie de rester chez moi tout le temps. Je ressens ce besoin d’être actif."
Finalement, quand vous voulez décompresser, c’est quoi votre programme idéal ?
"Profiter de ma famille, de mes filles de 9 et 5 ans. Aller au cinéma avec elles, dans un parc d’attractions, une plaine de jeux ou tout simplement manger un bout au Quick. Des trucs que tout le monde fait avec ses enfants. Quand je vais au tennis ou au padel, elles jouent un peu."
Il y a deux semaines, vous avez été nommé capitaine de l’équipe belge de Coupe Davis, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette annonce ?
"Les marques de sympathie et les encouragements venus d’un peu partout. J’ai reçu de nombreux messages positifs. Cela m’a fait plaisir. Personnellement, passer après des personnes comme Julien Hoferlin et Johan Van Herck à ce poste, cela me touche."
Dans une ancienne interview, votre papa expliquait que la Coupe Davis avait souvent servi de thérapie dans votre carrière après des blessures ou des moments difficiles. Vous le confirmez ?
"Oui. Ce sont des semaines spéciales où tu te retrouves avec tes potes mais aussi un staff qui met tout en place pour que tu ne penses qu’à ton tennis. Ce qui n’est pas le cas pendant le reste de l’année où tu gères tes voyages, tes logements, tes factures, etc. Cela fait du bien d’être chouchouté comme cela."
Christophe Verstrepen