Justine Henin se livre avant Roland Garros: «Rafael Nadal et Novak Djokovic sont heureux de voir qu’il y aura une relève prometteuse»
Avant son départ pour le tournoi parisien, Justine Henin a posé les jalons de l’édition 2022 du Grand Chelem français et livre son analyse sur les tableaux masculin et féminin.
Publié le 19-05-2022 à 06h00 - Mis à jour le 19-05-2022 à 09h51
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Comme c’est devenu une bonne habitude, Justine Henin a pris la direction de Paris en ce mois de mai pour endosser son costume de consultante pour France Télévisions. Pendant quinze jours, l’ancienne lauréate du Grand Chelem français va inonder les téléspectateurs de ses analyses pertinentes et fines. Mais avant de se rendre sur les terres de ses plus beaux exploits, l’ex numéro un mondiale a évoqué l’édition 2022 de Roland-Garros.
Justine Henin, à quel Roland-Garros vous attendez-vous?
À une édition 2022 très ouverte. C’est une analyse qu’on donne régulièrement pour les tournois féminins ces derniers mois et ce sera le cas, cette fois, pour le tournoi masculin. Pendant de nombreuses années, à la question Rafael Nadal est-il le grand favori de Roland-Garros, la réponse était oui. Aujourd’hui cela reste un des favoris, ne pas le mettre dans ce lot de joueurs représenterait un manque de respect par rapport à son palmarès à Paris. Quand on parle de l’Espagnol il faut garder dans un coin de sa tête que tout reste possible. Mais ce sera ouvert pour toutes les raisons que nous connaissons. Parce que Rafael Nadal a connu un début de saison exceptionnel mais on voit que revenir à son meilleur niveau après sa blessure à la côte, cela prend du temps. Sa préparation a été plus courte et il faut voir dans quel état physique il va arriver à Roland-Garros avec son problème au pied. Novak Djokovic a été en reconstruction psychologique et tennistique. Moi je pense qu’il sera bel et bien présent au rendez-vous. Ensuite, on ne peut pas éluder le phénomène Carlos Alcaraz. L’Espagnol a été le joueur en forme pendant plusieurs semaines. Il faudra voir comment il va gérer le format en trois sets gagnants sur un tournoi qui dure deux semaines. Un signe très positif de sa mentalité, c’est son retrait du tournoi de Rome. Cela traduit un grand signe de maturité et de sagesse. C’est de bon augure pour la suite. Cela ne veut pas dire qu’il va gagner Roland-Garros. Je vois donc quelque chose se passer avec l’un de ces trois-là en sachant que le circuit est très ouvert depuis plusieurs mois. Cela va être passionnant pour Roland-Garros. Il ne faut pas oublier les outsiders derrière. Mais c’est vrai que je vois moins un Tsitsipas ou un Zverev s’imposer.
Est-ce qu’Alcaraz vous a épaté à Madrid en battant Nadal, Djokovic et Zverev?
Oui, il ne cesse de nous épater et c’est tellement fulgurant. J’adore chez lui ce mélange d’ambitions affichées, il n’a pas peur de dire qu’il possède le potentiel pour être avec les meilleurs, et le fait d’avoir la tête sur les épaules, on ne l’entend pas dire qu’il va faire une carrière comme Nadal en Grands Chelems. Il parle beaucoup du travail avec ses résultats qui sont des récompenses de son investissement. Il y a de l’ambition, de la simplicité, de la conviction et de l’émerveillement. Il a tellement travaillé qu’on sent qu’il est prêt pour cela. Ce qui m’a surpris sur le tournoi de Madrid, c’est la vitesse à laquelle il apprend. On l’a vu jour après jour intégrer de nouvelles choses en fonction de ses adversaires, de ses erreurs de la veille. J’ai trouvé cela impressionnant sur le plan tactique. Il est puissant avec une grosse force de frappe mais on l’a aussi vu créatif, très adroit au filet tout en jouant des amorties à des moments bien choisis. Il possède beaucoup d’armes dans son jeu. Et puis, vous savez que c’est un élément important à mes yeux, il est bien entouré. On sent cette passion autour de lui. Son staff est là pour le projet et Carlos Alcaraz est au centre de celui-ci. Il est bien protégé dans cette période où il explose.
On a toujours pensé qu’il était impossible d’améliorer les chiffres de Nadal, Djokovic et Federer, vous pensez qu’Alcaraz puisse les battre?
Cela paraît surréaliste ce qu’ont fait ces trois-là en même temps, même si Federer est arrivé en premier. Cela a créé une émulation assez dingue avec des phénomènes en termes de longévité. Ils sont toujours parvenus à se remobiliser et avoir envie de gagner encore et encore. Chez Carlos Alcaraz, c’est impossible de dire s’il possédera la même mentalité, la même énergie. On voit qu’il a la tête sur les épaules et on voit qu’il a envie d’en gagner beaucoup. Mais c’est impossible à prédire s’il pourra atteindre les mêmes chiffres que les trois autres. On va laisser la place à la surprise. Par contre je pense que Rafael Nadal et Novak Djokovic sont heureux de voir qu’il y aura une relève prometteuse pour le tennis. Alcaraz est attractif et son jeu donne envie de le regarder. Cela a l’air d’être un garçon sympathique et un joueur comme Rublev disait qu’on voyait chez l’Espagnol le plaisir et la passion du tennis dans ses yeux. Il représente des valeurs extraordinaires pour notre sport pour les années à venir. Ceux qui ont tenu le tennis masculin pendant des années sont contents de voir qu’il y aura une relève.
Je pensais qu’Osaka allait devenir la patronne du circuit
Du côté féminin il y a toujours des surprises mais Iga Swiatek semble quand même au-dessus des autres joueuses pour le moment?
Je ne peux pas être trop négative sur le tennis féminin mais je suis quand même dubitative, il faut être honnête. Certains disent que c’est bien de voir des filles différentes gagner. C’est bien de voir les choses qui bougent mais s’il n’y a pas un minimum de filles qui peuvent donner l’espoir qu’elles seront présentes régulièrement au rendez-vous et proposer des vraies rivalités, il manque quelque chose pour l’attractivité du tennis féminin. On voit encore des bons matchs mais on voit un manque de constance énorme. Moi je pensais qu’Osaka après sa victoire en Australie en 2021 avait passé un cap et deviendrait la patronne de la WTA. On a vu un effondrement derrière. Ashleigh Barty avait tout pour s’imposer puis elle a fait un choix que je respecte totalement en arrêtant sa carrière. Iga Swiatek, je l’aime bien et c’est certainement, dans celles qui restent, la joueuse la plus constante dans son investissement. Elle est encore très émotive et elle veut tellement bien faire que parfois cela lui a joué des mauvais tours. Elle montre de la passion et de l’énergie. Cela me plaît beaucoup. Derrière, c’est compliqué. Roland-Garros va être très ouvert même si Swiatek sera la grandissime favorite.
«Je veux voir mes enfants grandir»
Pleinement impliquée dans son académie et son rôle de consultante pour la télévision, Justine Henin ne se voit pas, pour le moment, endosser le costume de coach.
« Récemment, les demandes sont plus arrivées sur le bureau de Carlos Rodriguez, ce qui est nettement plus intelligent de la part des joueuses de faire appel à lui et pas à moi. Nous avons Clara Tauson qui travaille à l’académie mais je suis assez loin de ce projet qui est géré par Olivier Jeunehomme. Jusqu’à l’année dernière, j’ai encore reçu des demandes. Quand on en refuse pal mal, les joueuses comprennent que cela ne fait pas partie de mes priorités actuelles. Et je ne pense pas que sur une consultance de trois ou quatre semaines on peut amener grand-chose à un joueur. Je crois en l’investissement à moyen et long terme. Il faut trouver un bon feeling. Et moi je n’ai pas plus de temps à consacrer à quelqu’un car je veux voir mes enfants grandir, j’aime mon travail pour la télévision, et l’académie reste ma priorité avec la formation des jeunes. Je ne ferme aucune porte mais pour moi il faut amener de la plus-value dans un projet. Mais peut-être que si la bonne personne se présente au bon moment, alors je pourrais le faire. Mais ce n’est pas dans un plan de carrière. »