Récit de course au Marathon des Sables : “La douleur est ton alliée”

Nous sommes allés au bout de 37e Marathon des Sables dont nous vous racontons une aventure dantesque dans le Sahara marocain. Cette année, les fortes chaleurs ont décimé les participants… Récit de course par Emmanuel Huet, dossard 626.

Marathon des Sables 2023
Marathon des Sables 2023 ©MDS

Boitillant, claudiquant, soutenus par des béquilles… Les participants au 37e Marathon des Sables faisaient peine à voir ce lundi matin à l’aéroport de Ouarzazate, aux portes du Sahara marocain. Ces “vétérans” du désert bouclaient ainsi une semaine chaotique où le soleil avait cogné fort, où les chaussures avaient agi comme des hauts fourneaux sur les pieds et les orteils des concurrents, où le mental avait été broyé par ces lignes droites interminables dans le bouillant désert.

Plus de 30 % d’abandon, c’est inhabituel pour cette course à étapes mythique de 250 km qui veille à ce qu’un maximum de ses participants puisse aller décrocher la médaille de finisher. Et c’est très souvent le cas en raison de la largesse des barrières horaires qui permet aux derniers de s’enfiler le désert tel un pèlerinage.

Mais le pèlerinage a viré au chemin de croix cette année. Programmé trois semaines plus tard, le MDS a bénéficié de conditions climatiques dantesques. Le cap des 50 degrés a été franchi quotidiennement. Dans ces conditions, le corps trinque, la machine surchauffe. Après la première étape, on compte déjà 31 abandons sur 1 085 participants.

De mon côté, j’étais quelque peu parti la fleur au fusil pour cette première découverte. La sanction a été rapide : le sac pesé à 9,7 kilos (hors eau) lors du contrôle technique est bien trop lourd. Je pars vite, je me brûle, les épaules sont douloureuses. La machine est bien éprouvée après la première étape de 36 km. J’ai marché dès le second check-point et j’ai enfilé mes écouteurs pour casser l’ennui : c’est assez tôt dans la partie. Hasard de la playlist, Horse with no name du groupe America me rappelle que “You’re in the desert. You got nothing else to do…” (“Vous êtes dans le désert. Vous n’avez rien d’autre à faire”).

Premier constat : ce sera bien plus dur que cela n’y paraît. Ces lignes droites de plusieurs kilomètres sont des véritables punitions pour le mental. Il faut aussi impérativement alléger le sac : les desserts, le second caleçon, la troisième paire de chaussette sont jugés facultatifs.

"Ca a été l’hécatombe. Chaleur, déshydratation, hors-délais."

Le premier soir, les visages sont fatigués au bivouac. Sous les tentes berbères abritant jusqu’à huit concurrents, on sent que ces premiers kilomètres ont fait mal. La deuxième étape renvoie près de 100 coureurs à la maison. “Ça a été l’hécatombe, glisse le directeur de course lors du speech matinal. Chaleur, déshydratation, hors délais : on a dénombré 94 abandons.”

Progressivement, on commence à mesurer les valeurs qui font ce Marathon des Sables. Tout d’abord, vouer un respect énorme à ces marcheurs ; ces participants qui passent deux fois plus de temps que nous, les “coureurs”, dans le désert et sous le soleil. Pour la longue étape de 90 km, ils ont souffert pendant près de 35 heures. Moi, à mon niveau, ça passe en 17 heures : la différence est énorme.

Une semaine à l’essentiel

On comprend aussi l’importance des choses essentielles : la valeur de l’eau. Elle est rationnée et est utilisée pour s’hydrater avant tout, pour faire sa cuisine ensuite. Le luxe, c’est de pouvoir en conserver pour rincer sobrement des vêtements rigidifiés par le sel de votre transpiration. Le luxe, c’est de se passer un peu d’eau savonnée sur les bras et les jambes d’un jaune-brun ocre. Le luxe s’arrête là et les petits plaisirs sont limités : votre eau est toujours à température ambiante. Et ça durera une semaine ainsi…

Alors il faut trouver les petits bonheurs ailleurs. Sous la tente 24, l’ambiance est bonne avec Caroline, Serge, Andréas, Olivier, Nicolas, Bart et Stephen. Ces deux-là nous quitteront plus tôt. Le soir de la seconde étape, Bart est plongé dans un mail imprimé par l’organisation. Il a été envoyé par son épouse et il lit, avec une certaine émotion, “la douleur est ton allié”. Mais il n’ira pas au bout de l’étape 3 : 85 abandons ce jour-là…

Marathon des Sables 2023
Dans la tente 24, on lit les mails envoyés par les proches et imprimés par l'organisation. ©Huet

Il n’y a jamais de répit même lors du repos. Le coucher du soleil donne souvent droit à la “pluie du désert”. Il faut batailler contre ces tempêtes de sable qui secouent nos tentes berbères, qui chassent le sable jusqu’au fond de nos couchages. Il faut aller chercher des cailloux bien loin pour lester la toile alors que le sable vous fouette le corps.

Des pieds en lambeaux

C’est cette addition de difficultés qui fait du MDS une course hors-norme. On ne sait pas la comparer avec un trail en haute montagne car il n’y a pas de repères similaires. Du dimanche de la première étape au samedi de la dernière, il a fallu se lever chaque jour pour une nouvelle traversée du désert. La répétition est usante mais les jambes ont répondu tous les jours. J’ai une chance inouïe, c’est d’avoir conservé des pieds en parfait état alors que d’autres n’ont plus que des orteils estropiés, des plantes pelées à vif, des pieds momifiés. Jour après jour, la file pour accéder à l’hôpital du désert s’allonge. C’est au mental que certains finiront, redoutant de voir l’ombre du dromadaire “balai” et de son chamelier se glisser dans leur foulée où chaque pas est supplice.

Marathon des Sables 2023
La course est fermée par un dromadaire et son chamelier. ©Huet

À la sortie d’une course à étapes si intense, on comprend mieux ce que signifie l’appellation “frères et sœurs de sable” martelée par une organisation dont le souci est d’animer un sentiment collectif – réel ou surfait – d’une grande famille MDS. On était 1 085 le premier jour, 763 le dernier. Et ce qui est réel et sincère, c’est que chacun a vécu le départ d’un de ses voisins de tente comme un réel déchirement. Dans le désert, ce n’est pas tant la performance qui était visée, c’était d’aller au bout de son rêve, au bout du désert. Peu importe le temps qu’on y passait…

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