Jacky Ickx est notre invité avant les 24 Heures du Mans : “Quand vous êtes le chasseur, vous pouvez vous sublimer”
Entretien avec Jacky Ickx, le plus grand pilote belge de tous les temps, pour préfacer le centenaire des 24 Heures du Mans, là où il a écrit une partie de sa légende.
- Publié le 10-06-2023 à 09h36
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Il fait partie des favoris à l’applaudimètre au centenaire des 24 Heures du Mans. Année après année, Jacky Ickx ne cesse de fasciner les foules. Celui qui restera à jamais “Monsieur Le Mans” est toujours énormément respecté par toutes les générations de fans. Non seulement il a décroché six succès dans la Sarthe mais la plupart d’entre eux sont mémorables. Discuter avec Jacky est toujours un moment privilégié car celui qui fait partie des nombreuses célébrations autour de l’épreuve cette année a toujours les mots justes pour décrire l’événement, et un entretien avec lui est toujours synonyme d’enrichissement personnel.
Jacky, place ce week-end à l’édition du centenaire qui fait rêver tout le monde !
”Il s’agira inévitablement d’un week-end inoubliable vu que ni vous ni moi ne serons là pour voir le bicentenaire ! (Rires) Le Mans, c’est une course exceptionnelle. Au-delà d’être centenaire cette année, elle touche 3-4 générations de passionnés. L’épreuve est également le témoin de l’avancée technologique automobile. Regardez tout le chemin accompli depuis la première édition en 1923. Il faut également saluer tous les acteurs qui ont assuré la pérennité de la course en la réinventant au fil du temps.”
Cette édition est sold-out depuis des mois. Surprenant, non ?
”Tout le monde veut être là, et c’est bien normal. Je pense qu’il y a des arrêtés préfectoraux qui ont limité le nombre de places. Sinon, je suis certain qu’il y aurait 50.000 spectateurs en plus !”
Vous revenez au Mans année après année. Qu’est-ce qui vous émerveille le plus ?
”C’est vrai que j’ai raté peu d’éditions, y compris après la fin de ma carrière. Ce qui m’émerveille le plus, c’est ce musée roulant qu’est la course. On est témoin des avancées de notre époque. Je trouve également que Le Mans, ce sont des grandes histoires. Pour nous les pilotes car nous sommes énormément respectés et honorés pour avoir gagné la course. Chacun marque l’épreuve de son empreinte. Enfin, je trouve que l’événement a gagné sur le plan humain et que les fans sont beaucoup plus choyés qu’auparavant.”
Les 100 ans des 24 Heures du Mans : 1991, la dernière victoire “un peu belge” de la Mazda de Bertrand GachotDe surcroît, la lutte pour la victoire s’annonce belle cette année…
”On retrouve effectivement une vraie bagarre entre constructeurs et de nombreuses voitures sont capables de gagner. Il faut une course disputée. Votre victoire est valorisée en fonction de la valeur de vos adversaires. Aujourd’hui, Le Mans est un Grand Prix de 24 heures. La notion d’endurance n’existe plus. Nous avons désormais trois pilotes par voiture qui doivent se donner à fond alors qu’auparavant, il y en avait deux qui devaient avant tout gérer.”
Il y a aussi une voiture avec un équipage 100 % belge avec le trio Martin-de Wilde-Van Rompuy.
”Avant tout, je suis très heureux qu’Ugo de Wilde ait trouvé un volant pour Le Mans. Il est très rapide et le mérite amplement. Et bien sûr, voir une voiture aux couleurs nationales au départ ne me laisse pas indifférent. On connait les liens étroits entre Le Mans et la Belgique. Cela me rappelle personnellement l’Equipe Nationale Belge et tout le monde a encore à l’esprit la Ferrari 333SP aux couleurs du RACB en 1996. Il ne faut pas non plus oublier les autres pilotes belges courant cette année. J’ai également une pensée pour la Porsche 963 avec Laurens Vanthoor et André Lotterer qui est notre Belge d’adoption.”
Tom Kristensen est le Grand Marshall cette année. L’ACO vous a donné un rôle cette année ?
”Non, mais je fais partie intégrante des nombreux événements organisés cette semaine. Les anciens pilotes, comme moi, sont beaucoup demandés. À part cela, je serai là comme visiteur et je passerai le week-end en compagnie de ma famille.”
Les 100 ans des 24 Heures du Mans : 20 pilotes ont perdu la vie dans l’histoire de la courseEffectuons un petit flash-back. Quel est votre premier souvenir du Mans quand vous étiez enfant ?
”1955. Une édition de triste mémoire vu que l’accident de Pierre Levegh est le plus grave de l’histoire du sport automobile. Plus de 80 morts et 120 blessés. Mais c’était une époque à laquelle nous n’arrêtions pas la course. Un autre temps.”
Vous devez inévitablement avoir vos habitudes ici…
”En fait, c’est assez rare quand je vais voir les voitures en bord de piste. Pour moi, un point de passage obligé, c’est le petit village La Chartre-sur-le-Loir, à 40 km du circuit, où se trouve l’Hôtel de France. C’était le quartier général d’Aston Martin dans les années 50 et par après de John Wyer Automotive, l’équipe avec laquelle j’ai gagné en 69 et en 75. Pour moi, cet endroit me rappelle le début de ma carrière. Avec le temps, je suis devenu un habitué et j’ai sympathisé avec certains villageois. Ces gens sont amoureux de leur village et il y a une très belle communauté anglaise. Il y a des damiers un peu partout, et c’est toujours un grand moment.”
Quels sont vos meilleurs souvenirs au Mans ?
”J’en ai deux. Ma première victoire en 1969 avec la GT40. On sait ce qui s’est passé. Il y a eu une belle lutte jusqu’à l’arrivée, beaucoup d’incertitude pendant la course et au fil du temps, cette course est devenue mythique pour les fans de sport automobile. Ensuite, 1977 où j’ai été transféré sur la Porsche 936 de Jurgen Barth et Hurley Haywood après trois heures de course avec pour mission de remonter. Là, c’était à fond, à fond. Cela prouve que tout peut arriver. Quand vous êtes le chasseur dans une course, vous pouvez vous sublimer mais aussi sublimer vos équipiers car Jurgen et Hurley ont également été mis en lumière. Vous pouvez également sublimer votre voiture. La preuve, la 936 est aujourd’hui une voiture mythique. Et il y a évidemment les mécaniciens qui ont abattu un énorme travail pour faire tenir la voiture jusqu’à l’arrivée.”
En votre temps, on pouvait cumuler Formule 1 et courses d’endurance. Ce n’est plus possible aujourd’hui…
”Ce n’est pas seulement plus possible. C’est tout simplement impossible. Les temps ont changé. À mon époque, nous étions des mercenaires. Chacun était libre de faire ce qu’il voulait et nous pouvions tout faire sur une même saison : F1, endurance, tourisme, rallye,… Tout le monde faisait de tout. C’était la norme. Il n’y avait pas de constructeur ou de sponsor pour cadenasser. Des garçons comme Jackie Stewart, Henri Pescarolo ou moi sommes des espèces en voie d’extinction. Aujourd’hui, un pilote doit faire une chose à la fois.”
Dans les années 80, pour gagner, il fallait se procurer une Porsche 956. Aujourd’hui, les performances des voitures des différentes marques sont nivelées par la “Balance de Performances” (BoP). C’est un concept qui vous parle ?
”C’est la course moderne. Aujourd’hui, il faut de l’action en piste et sur le papier, la BoP est un concept très intéressant. Bien sûr, cela me fait sourire de voir qu’une marque est punie parce qu’elle a conçu une trop bonne voiture. Mais la BoP est néanmoins un succès car si elle n’était pas acceptée par les constructeurs, il n’y aurait que trois marques au départ pour le centenaire. Or, regardez le plateau cette année et les autres constructeurs déjà annoncés pour 2024 ! On verra si ça tient au cours des éditions à venir. De toute manière, le juge de paix à qui on demande rarement son avis, c’est le spectateur. Si celui-ci boude les prochaines éditions, il faudra procéder inévitablement à des changements.”
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