Le paradoxe du foot belge: un chiffre d'affaires plus haut que jamais, mais des pertes records
Deloitte et la Pro League avancent les chiffres de santé économique du football professionnel belge. Avec ses éclaircies et ses nuages gris.
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- Publié le 27-06-2023 à 14h39
- Mis à jour le 27-06-2023 à 16h15
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Quel est l’état de santé du football professionnel belge et quel impact a-t-il sur l’économie du pays ? C’est ce que l’on résume ici avec l’aide de Deloitte, qui présentait ce mardi son étude économique sur la saison 2021-22 effectuée à la demande de la Pro League, comme chaque année. Une saison doublement particulière puisqu’elle suivait la crise du Covid (rentrées encore impactées par la pandémie) et parce qu’elle a vu la réforme fiscale entrer en vigueur à mi-saison.
1. Des salaires enfin sous contrôle
Si les clubs belges ont connu des problèmes ces dernières saisons, le coupable numéro 1 était souvent le même : les salaires. Les dirigeants semblent avoir compris l’obligation de faire un effort à cet égard. Les 25 clubs inscrits aux deux premières divisions ont payé 374 millions € à leurs joueurs, soit 14 millions € de plus qu’en 2019-20. Il s’agit d’un record… mais à relativiser puisqu’il y avait plus de joueurs que la saison précédente.
Le salaire brut moyen en Pro League est de 253 000 €
D’ailleurs, le salaire brut moyen annuel d’un footballeur a baissé pour passer à 253 000 € avec une nette différence entre le G6 (Anderlecht, Bruges, Gand, Genk, Standard et Antwerp) qui paie, en moyenne, 385 000 € et le “K12” (198 000 €). Il s'agit de moyennes, évidemment, certains gros contrats dépassant le million d'euros.

”Il y a une évolution positive du ratio entre les salaires et les revenus des clubs : les salaires représentent moins qu’avant”, explique Sam Sluismans, le responsable de cette étude chez Deloitte. “On est à 71,6 % au lieu des 76,7 % de 2020-21.” Pour rappel, les nouvelles règles de contrôle financier de la Pro League contraignent les clubs à abaisser ce ratio à 70 % endéans les cinq ans.
2. Réforme fiscale: 117 millions € de taxes
C’était le monstre du Loch Ness 2022 : les nouvelles règles fiscales qui mettaient fin à certains privilèges. Fini d’artificiellement plafonner certaines contributions. Conséquence: les clubs de D1 et de D2 ont payé 117 millions € de taxes et contributions sociales en tous genres. Soit 27 millions de plus que l’année d’avant. Un record.
Elles n’ont eu cours que sur une demi-année puisque la saison sportive étudiée courait de juillet 2021 à juin 2022 et que les règles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022. La réforme coûte 14 millions €, mais “sur une saison complète, la fourchette pourrait se situer entre 40 et 50 millions €”, prévient Lorin Parys, le CEO de la Pro League.
3. Les revenus TV, rentrée n°1
Comparer les rentrées financières des clubs à 2019-20, une saison lourdement impactée par le Covid, est périlleux, évidemment. Mais l’étude Deloitte montre que, même après la crise sanitaire, il y a un changement fondamental : les droits télévisés sont devenus la principale source de revenus des clubs. Ils étaient de 99,9 millions € pour 2021-22, juste devant le sponsoring (93,6 millions). Les rentrées billetteries, sources numéro un d’argent par le passé, restent en deçà. Elles remonteront à coup sûr pour 22-23, mais il y a peu de chances que le “ticketing” atteigne 100 millions €. On comprend combien la négociation du prochain contrat TV, pour 2025, sera cruciale.
Plus largement, les chiffres d’affaires de tous les clubs des deux premières divisions ont augmenté pour dépasser le total d’avant 2020 : les revenus ont atteint 381,5 millions € en 2021-22, plus gros montant de l’histoire du football belge. Un énorme bond en avant par rapport à 2019-20 (+31 %), évidemment. Une progression de trois millions € par rapport à 2018-19, dernière saison non impactée par le Covid.
2022-23 devrait être encore plus élevé puisque les revenus UEFA, notamment, seront autrement importants vu la belle tenue des clubs belges sur la scène européenne.

4. La portion du gâteau des agents a diminué
Le scandale du footgate, d’une part, et la crise du Covid, de l’autre, ont obligé les clubs à revoir leurs pratiques avec les agents et leurs rétributions. Du moins, légèrement. Il n’y a eu “que” 29,9 millions € payés aux agents en commissions sur des transferts de clubs belges en 21-22, soit moins que la saison d’avant (34 millions), mais surtout nettement moins que 2019-20 (46,6 millions €).“On voit que la graine du changement était déjà là en 2021-22”, souligne Lorin Parys. “Il y a plusieurs signaux positifs, dont le fait que les commissions des intermédiaires sont en baisse.”
Le marché des transferts était plus calme en 2021-22, quelques mois après la fin du Covid, et il faudra surveiller la tendance les prochaines années, mais cet assagissement peut faire du bien aux caisses des clubs.
5. “1,195 milliard de contribution à l’économie”
C’est Deloitte qui l’affirme : le foot belge professionnel a vu son impact économique sur la société s’accroître. “Au total, le football professionnel a contribué à hauteur de 1,195 milliard € à l’économie nationale en 2021-22, soit une augmentation de 24 % par rapport à 2020-21”, explique Sam Sluismans. Ce chiffre spectaculaire regroupe beaucoup de choses : les revenus des clubs, la création d’emplois directs (joueurs, staff, employés des clubs), indirects (traiteurs travaillant pour les clubs, vendeurs de rues, etc.) et même les “emplois induits” (créés par les dépenses des revenus des joueurs et autres employés des clubs dans l’économie belge). Un chiffre peut-être compliqué à estimer précisément, mais qui permet à la Ligue et à ses clubs de montrer qu’elle contribue à faire tourner l’économie belge. À titre de comparaison, il était de 1,246 milliard en 2019-20.

”Un total de 642 emplois a été ajouté pour porter le total à 5136”, souligne Sam Sluismans. Sur l’ensemble des emplois directs créés par le football pro, 41 % sont des footballeurs… et 59 % occupent donc d’autres fonctions.
Plus globalement, il n’y a pas que l’argent qui permet d’évaluer l’impact des clubs, insiste Lorin Parys. “C’est aussi un impact sur la société avec 311 projets sociaux créés pour un budget qui atteint désormais 2,5 millions €. Les clubs pros soutiennent aussi des équipes de handifoot, etc. Un club, ce n’est pas qu’une entreprise, c’est aussi un acteur social et culturel.”
6. Pertes record de 156 M.€: il reste du chemin
En conclusion, et malgré certains indicateurs en hausse, le football belge professionnel a perdu 156 millions € en 2021-22… soit 16 millions de plus qu’en 2020-21. On ne peut donc évidemment pas encore conclure sur la bonne santé du sport roi dans notre pays. Mais l’espoir de lendemains moins tendus est bien là. Le plan de rigueur économique lié au lancement de “Football First” il y a un an par le nouveau CEO de la Ligue a été voté dans ce but.
”Oui, on voit que des éléments vont dans le bon sens”, estime Lorin Parys, “comme les revenus records ou la proportion des coûts salariaux qui s’améliore. Ou encore l’investissement dans des projets locaux et sociaux. Cela s’inscrit dans la philosophie du plan 'Football First'. Mais je reste inquiété par les pertes importantes, même si ce n’est pas neuf. Ceci dit, il me semble que le football est en train de tourner la page d’avant. Il ne faut pas oublier qu’on a désormais l’impact de la réforme fiscale à gérer et que les chiffres 2021-22 étaient toujours touchés par la fin des restrictions liées au Covid.” Tout cela reste à confirmer, donc.
Alerte sur les finances du foot belge: un plan de redressement était bien nécessaire