Toni Brogno : “Pour moi, signer à Westerlo, c’était signer à l’étranger”
À 49 ans, Toni Brogno, icône du Westerlo fin 90, porte un regard bienveillant sur le club du Kuipje, tranché sur les buteurs 2.0 et tendre sur Charleroi.
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Publié le 01-04-2023 à 06h00
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Mardi fin de matinée dans une boulangerie de la région carolo. Toni Brogno, chaleureux, ôte sa veste et pose ses lunettes sur une table baignée par la lumière d’une baie vitrée. Il entame un premier café noir pour réveiller la nostalgie d’une carrière lancée sur le tard, entre Charleroi et Westerlo en passant par Sedan. Le tout après avoir bossé à l’usine. Souvenirs profonds, mais jamais très loin du but.
Quel est votre premier souvenir si je vous parle de Westerlo ?
”Le trajet avec mon frère pour aller discuter avec les dirigeants au printemps 1997. Westerlo disputait le tour final de Division 2. Je jouais à l’Olympic en D3 à l’époque.”
Vous vous êtes dit que c’était loin, non ?
”Je revois mon frère me prendre pour un fou : “Tu ne vas quand même pas faire la route tous les jours ?”. Une heure trente. Je n’y voyais pas d’inconvénients. Je n’avais connu que Marchienne à 4 kilomètres de chez moi, le Sporting à 8 et l’Olympic à 7,5. Signer à Westerlo, c’était presque signer à l’étranger. Je ne parlais pas le néerlandais et je débarquais dans un club dont j’ignorais tout, mais j’avais envie de tenter autre chose.”
Et vous avez donc pris la route quotidiennement ?
”Oui, c’était important de revenir près de ma femme et de mes proches tous les jours. Je dormais juste le lundi soir à Westerlo, chez un kiné avec qui j’avais sympathisé. C’est le jour où on avait deux entraînements généralement suivis d’un souper entre équipiers. Il valait mieux rester sur place (sourire).”

Un petit Carolo qui débarque au fin fond de la Campine, ça a dû être quelque chose.
”Je me suis assis discrètement dans un petit coin du vestiaire et j’ai dit “Mettez-moi le numéro de maillot que vous voulez”. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin et j’ai appris un peu le néerlandais. De fil en aiguille, je suis devenu le chouchou, aussi grâce à mes buts.”
Huit la première saison, onze la deuxième, puis trente la troisième. En 1999-2000 où vous terminez co-meilleur buteur du championnat avec Ole Martin Arts…
”J’ai souvent entendu que j’avais eu de la chance cette saison-là. Mais tu ne marques pas autant avec uniquement de la chance. C’est vrai que tout me réussissait, mais ce n’était pas du hasard. J’appelle ça l’instinct. Tu peux répéter les gestes, les lignes de course et tout ce que tu veux, mais l’instinct du but, tu l’as ou tu ne l’as pas.”
Un Belge qui inscrit 30 buts en D1, ce n’est arrivé qu’une fois depuis 2000…
”Wesley Sonck (NdlR : en 2001-2002). Le même profil que moi. Petit, vif, rusé, efficace. Pourtant, en comptant les playoffs, il y a plus de matchs de nos jours…”

Le profil que vous décrivez là est-il en voie de disparition ?
”Oui, je crois. Selon moi, même s’il est déjà plus grand et doucement sur la fin de carrière, Jérémy Perbet est encore un peu ce type de joueur. Pas toujours très utile dans le jeu de possession, mais malin et efficace dans les seize mètres, et systématiquement au bon endroit. C’est ce que l’on demande à un buteur, non ?”
À part lui ?
”Disons qu’aujourd’hui, les numéros 9 sont souvent des grands gaillards, athlétiques, qui jouent seuls en pointe. C’est un peu stéréotypé. Je trouve qu’on joue moins pour marquer, plus pour défendre. D’ailleurs, quand j’explique à mes gamins au Sporting que je jouais en 9, ils ne me croient pas (rire).”
Il y avait des génies partout, même à Lokeren et au Lierse.
Vous auriez aimé être attaquant en 2023 ?
”Difficile à dire. Ça aurait en tout cas été complètement différent.”
Le football devient robotisé, estiment souvent les anciens.
”Oui, c’est ça. À l’époque, quand j’allais voir mon frère Dante au Sporting, c’était un spectacle. Des crochets à la pelle – parfois trop – et les gens étaient aux anges. De nos jours, les ailiers fixent, poussent le ballon et centrent. Si le ballon est contré et file en touche, tant pis. Oui, il y a moins de magie, moins de génies et moins de prises de risques. Les Scifo, Zetterberg et compagnie, c’est fini. Et il y avait des génies partout, même à Lokeren ou au Lierse. Des caïds. Des gueules. Maintenant, ils ont été remplacés par des robots, des gars plus lisses.”
Gamin, en sortant du Mambourg, on se disait "Vivement dans 15 jours"
Quel est le geste que vous faisiez à votre époque et que vous inculquez encore aujourd’hui aux jeunes attaquants que vous formez spécifiquement à Charleroi ?
”Sur un centre, frapper dans la direction d’où vient le ballon. Si ça vient de la droite par exemple, ne pas croiser la frappe à gauche mais la placer à droite, justement. Cela complique l’intervention du gardien qui, naturellement, va plonger dans sa foulée. Et on a donc de grandes chances de le prendre à contre-pied. Même chose quand tu arrives face au gardien, légèrement décalé. Tout le monde a tendance à frapper croisé. Moi, neuf fois sur dix, je ne croisais pas. Je plaçais entre le gardien et son poteau, petit côté. Mais j’insiste aussi pour que les jeunes gardent leur liberté d’action. Je donne des possibilités mais ils doivent conserver leur instinct selon la situation.”
Ça vous chagrine d’être plus une icône à Westerlo qu’à Charleroi ?
”Oui, parce que je suis né à Charleroi, que c’est le club phare de la région et que j’allais voir presque tous les matchs quand j’étais gamin. On jouait l’après-midi et, le soir, tout le monde se donnait rendez-vous au Mambourg. Il fallait arriver tôt au risque de devoir se garer trop loin. On rentrait au stade à 18h30. C’était un spectacle. En sortant, on se disait “vivement dans quinze jours”. L’icône, c’est mon frère.”

Vous y avez disputé votre premier match en D1 en 1994-95 mais vous avez éclaté seulement trois ans plus tard, à Westerlo.
”Je travaillais à l’usine et je jouais en Réserves. Messieurs Spaute et Colson me proposaient un contrat professionnel qui ne couvrait pas mon salaire d’ouvrier. Et comme je faisais bâtir ma maison, je n’ai pas pris le risque financier. J’ai préféré opter pour l’Olympic, en D3, tout en restant à l’usine.”
Et vous êtes revenu à Charleroi en 2004…
”Grâce à l’ancien président de Westerlo, Herman Wijnants. En 2000, après ma saison à 30 buts, j’ai rapporté de l’argent au club avec mon transfert à Sedan (France). Deux ans et demi plus tard, je me suis arrangé pour revenir gratuitement à Westerlo. C’était donnant donnant. Donc quand l’opportunité de Charleroi s’est présentée, Monsieur Wijnants a accepté que j’y aille tout en continuant à payer mon salaire et mon assurance groupe. La classe. Respect à ce monsieur discret, posé et honnête. Il savait que c’était mon rêve d’y jouer.”
Rassurez-vous, on sait aussi marquer des buts avec des godasses ou des ballons Kipsta.
Qu’est-ce que cela vous inspire que Westerlo soit passé sous pavillon turc ?
”Je trouve ça un peu triste mais c’est dans l’air du temps. Pas seulement en Belgique. Ce qu’il faut absolument, c’est que l’investisseur s’entoure de personnes de la région, qui connaissent le terroir, l’identité du club, le championnat… Et qu’il obtienne des résultats supérieurs. C’est ce qui se passe à Westerlo. Sans le président turc, je ne pense pas que le club serait remonté aussi vite et aussi fort. À mon époque, il fallait toujours vendre un joueur de temps en temps pour être stable financièrement pendant un ou deux ans. Il n’y a pas de miracle.”
Êtes-vous surpris que Westerlo soit dans le top 8 et Charleroi en chasse ?
”Un peu. J’aurais imaginé l’inverse. Depuis le retour de Felice Mazzù, le Sporting a retrouvé son ADN et les points sont là. Je suis aussi content pour Westerlo qui surprend son petit monde en gardant sa philosophie de jeu vers l’avant, comme à mon époque.”
À partir de la saison prochaine, Kipsta va équiper Charleroi. Vous avez servi d’intermédiaire via votre emploi partiel chez Decathlon ?
”Non, non (sourire), mais j’étais au courant depuis un petit temps. On est déjà partenaire à Mons (NdlR : où entraîne son frère Dante, en D3 ACFF). Tout le monde pense que Kipsta n’est dédié qu’aux sports de loisirs, mais d’année en année, la marque vise les sportifs plus performants. La qualité est au rendez-vous. Rassurez-vous, on sait aussi marquer des buts avec des godasses ou des ballons Kipsta.”