DOSSIER | Le dopage en Pro League : mythe ou réalité ?
État des lieux de la lutte antidopage dans le football professionnel en Belgique.
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Publié le 29-03-2023 à 06h00
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Surcharge des calendriers, starification médiatique, critique populaire, appât financier : les sources de pression ne manquent pas pour les footballeurs professionnels. Jusqu’à les inciter à consommer des produits interdits ? Pour contrer ces éventuelles tentations, les joueurs, plus conscientisés aujourd’hui qu’hier, peuvent compter sur un encadrement plus qualitatif dans leur club, ainsi que sur l’ONAD (organisation nationale antidopage). État des lieux en 5 questions.
1. Qui a la charge de la lutte antidopage ?
En Belgique, c’est l’ONAD qui gère les différentes missions liées à la lutte antidopage (sensibilisation, formation, accompagnement et contrôles). Une quarantaine de sports sont concernés, des plus pratiqués au plus confidentiels.
Réputée pour sa lasagne institutionnelle, la Belgique compte quatre antennes différentes. Une par communauté (française, flamande, bruxelloise et germanophone). Une complexité qui, selon certains, irrite jusqu’à l’AMA (agence mondiale antidopage). “La concertation et la collaboration sont pourtant régulières et efficaces, assure Anne Daloze, directrice de l’ONAD en Communauté française. Les sportifs savent à qui s’adresser en cas de questions ou de doutes sur un produit. On est là pour les épauler et, dans certains cas, délivrer des AUT (NdlR : autorisation d’usage à des fins thérapeutiques)”.
2. Le dopage existe-t-il en Pro League ?
La réponse exige de la nuance. Selon les statistiques de l’ONAD, le dernier test positif en Communauté française remonte à 2017 (cannabis). Les données en Flandre ne sont pas encore parues pour 2022 mais le dernier cas positif confirmé remonte à 2019 (voir infographie). Cannabis aussi. Les faits précédents, au nord du pays (2016 et 2017), concernaient des stimulants (cocaïne ou amphétamines).

Le dopage est-il pour autant si marginal en Pro League ? “On va en débusquer peu dans le foot belge, estime un médecin contrôleur. Lorsqu’il y en a, il s’agit souvent d’un acte isolé ou d’un joueur étranger qui arrive en Europe avec une énorme pression, quitte à prendre quelque chose pour aider. Mais c’est rare. Le dopage organisé, comme on a pu le connaître en Italie il y a des années, ne serait plus possible aujourd’hui. Les contrôles sont plus poussés et les sanctions plus sévères.” Nous y reviendrons.
0 % de positif, c’est une anomalie à mon sens.
Un autre médecin, qui a travaillé dans plusieurs clubs, tempère : “Ce n’est pas parce qu’on détecte zéro positif qu’il y a zéro tricheur. D’ailleurs, 0 % de positif, c’est une anomalie à mon sens, ose-t-il. N’y a-t-il pas un manque de moyens et de contrôles ? Que cible-t-on exactement ? À titre de comparaison, la lutte et le suivi dans le cyclisme, avec les passeports biologiques, sont beaucoup plus poussés.”
Un confrère témoigne : “J’ai déjà vu un joueur avec des yeux bizarres et un comportement étrange à la sortie d’un match. Ça m’a intrigué, mais est-ce pour autant qu’il avait pris quelque chose ? Je n’en sais rien.”
Ces vingt dernières années, quelques cas ont été recensés. Les plus médiatiques ramènent aux noms de Francky Vandendriessche (Mouscron, corticoïde, 2004), Laurent Ciman (Charleroi, cannabis, 2005), Michaël Wiggers (Mons, stéroïde anabolisant, 2007), Ismaël N’Diaye (Courtrai, tuaminoheptane, 2012) ou encore Joachim Van Damme (Malines, cocaïne, 2016). Nuance, à nouveau. Tous n’étaient pas des cas de dopage sportif avéré et certains, dont Vandendriessche, ont été purement et simplement blanchis.
“La frontière entre dopage accidentel et volontaire est souvent mince, relativise la directrice de l’ONAD. Un joueur peut être décelé positif pour des gouttes nasales en ignorant la présence d’une substance interdite. ”
La professionnalisation des staffs permet un meilleur encadrement.
La motivation de la prise du produit est aussi à prendre en compte. “La cocaïne et le cannabis sont considérés comme drogues récréatives. Si vous êtes pris, en avez-vous consommé lors d’une fête d’anniversaire ou dans un but de performance ? Ce n’est pas notre rôle d’en juger. On constate, mais on n’interprète pas.”
Dans le football comme dans presque toutes les disciplines pratiquées à un certain niveau, la prise de compléments alimentaires ou autres boissons de récupération est presque quotidienne. Mais leur dosage et leur utilisation sont maîtrisés. “La professionnalisation des staffs (NdlR : coach, kiné, docteur, nutritionniste…) permet un meilleur encadrement. Ils sont généralement à la pointe”, ajoute un médecin sportif, qui ne cache pas avoir déjà reçu des demandes de produits interdits émanant de sportifs élites, “mais pas dans le football”.

Plus sensibilités, les joueurs sont également plus curieux et plus prudents. Trop, parfois ? “Certains sont réticents à l’idée de prendre des antidouleurs. La confiance aveugle, c’est fini. Et ce n’est pas plus mal”, témoigne anonymement ce médecin du sport. Ce qui tend à penser que le dopage n’est pas (plus ?) répandu dans le foot pro chez nous. Ou très bien dissimulé.
“On veut casser cette image du policier qui ne fait que sanctionner. L’opinion des joueurs à l’égard des contrôleurs a changé, se réjouit la directrice de l’ONAD. Certes, les tests restent la finalité. Mais en amont, notre travail d’information sur les risques sanitaires, au niveau sociétal, et sur leur carrière, est compris et apprécié.” Plusieurs joueurs nous ont confirmé ce sentiment – “pourquoi avoir peur si on est clean ?” -, même si certains estiment que le sujet reste tabou.
3. Y a-t-il assez de contrôles ?
Certainement non. Mais impossible de contrôler tous les joueurs à chaque match. “Cibler est notre priorité, déclare Anne Daloze. On pourrait faire 2000 contrôles mais si on tape au hasard, ça ne sert à rien. C’est plus intelligent et plus efficace d’avoir moins de contrôles mais mieux ciblés. Aussi parce que ça coûte cher.”
Gilles Goetghebuer: "Le monde du foot ferme les yeux sur le dopage"Sur les 1 070 tests effectués en Communauté française en 2022, 127 concernaient le football. C’est le troisième sport le plus contrôlé après le cyclisme (264) et le basket (163), mais devant l’athlétisme (104). “Au départ, l’ONAD était orientée vers la santé publique et le sport amateur. La répartition des contrôles était d’environ 50 % pour les amateurs et 50 % pour les élites. Mais tout s’est professionnalisé ces dernières années. Aujourd’hui, poussé par l’AMA, on est presque à un rapport de 90-10 %. Le haut niveau est la priorité”.
Côté néerlandophone, les contrôles sont plus nombreux (voir infographie), “mais les sportifs sont plus nombreux aussi”, glisse la directrice de l’ONAD, dont le budget de fonctionnement annuel alloué par le Fédéral “stagne ces dernières années à 886 000 euros, contre 1,1 million en Flandre.” Suffisant ? “Financièrement parlant, non, je ne nous estime pas assez armés pour atteindre nos objectifs”.
4. Comment se déroulent les contrôles ?
Dans un premier temps, les joueurs et les clubs doivent compléter et actualiser leur calendrier d’entraînement via une plate-forme électronique. Plusieurs manquements à ces “whereabouts” peuvent amener à une sanction ou diriger les soupçons.
Les footballeurs peuvent être contrôlés en compétition (jour de match) ou hors compétition (entraînement, domicile, stage). Soit de manière aléatoire – par tirage au sort – soit plus ciblée. “Les équipes de D1A sont le groupe cible, affirme Anne Daloze. Il existe une évaluation de risques selon certains critères.” Il est à penser que les joueurs les plus en vue – ceux qui parcourent le plus de kilomètres par match ou les meilleurs buteurs – sont plus scrutés.
Un prélèvement de minimum 90 ml d'urine répartis en deux échantillons.
Le jour du match, à la mi-temps, le médecin contrôleur désigne les trois joueurs par équipe qui seront contrôlés, de façon à les surveiller jusqu’au contrôle. Dès la fin de la rencontre, avant même la douche, ils sont accompagnés vers une salle dédiée où sont prélevés au minimum 90 ml d’urine, répartis en deux échantillons (A et B pour une éventuelle contre-expertise), ensuite analysés en laboratoire.
Dans certains cas, une prise de sang peut être demandée. “Les joueurs ne peuvent normalement rien manger ni boire. Ils doivent aussi remplir un questionnaire, avec l’aide du docteur, pour justifier la prise éventuelle de substances légitimes, par exemple pour soigner une allergie. ”
L’Union belge n’est informée que des résultats anormaux. “Nous avons ensuite le devoir de les transmettre à la FIFA”, nous précise-t-on à Tubize.
5. Que risquent les positifs ?
En cas de résultats atypiques, l’ONAD transmet les dossiers à la CIDD (Commission interfédérale disciplinaire en matière de dopage), “une instance d’audition indépendante”. Les sanctions qui en découlent varient selon les substances détectées, l’intentionnalité ou non, et la période de prise.
Les sanctions prévues dans le règlement de l’Union belge suivent globalement celles de la FIFA. Dans ses documents, l’instance mondiale scinde les “substances d’abus”, c’est-à-dire “des substances interdites qui donnent souvent lieu à des abus dans la société en dehors du contexte sportif” et les produits visant clairement une amélioration des performances.
André Onana suspendu 1 anEn dehors du contexte sportif, ce sont les fameuses drogues récréatives qui sont visées. Elles donnent lieu à une suspension de trois mois pouvant être réduite à un mois si le joueur “peut prouver l’utilisation de ces substances en dehors du contexte sportif […] et sans rapport avec la performance sportive”.
Pour les produits ingérés intentionnellement et dans un but de performance – et donc de triche -, la sanction théorique est de 2 ans. Elle peut même monter à 4 ans en cas de violation intentionnelle plus grave, telle que le refus de se soumettre à un échantillon ou la (tentative de) falsification de tout élément du contrôle.