Chris O’Loughlin explique pourquoi l’Union Saint-Gilloise recrute si bien : “Quand on transfère un joueur, il n’y a pas un aspect de lui qu’on ignore”
Le directeur sportif irlandais de l’Union Saint-Gilloise, Chris O’Loughlin, détaille la manière dont il travaille pour découvrir des joueurs méconnus.
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Publié le 01-03-2023 à 18h00 - Mis à jour le 02-03-2023 à 09h18
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Une dizaine de vareuses aux murs ; quelques cadres à l’effigie d’un Maradona qu’il adore ; deux tableaux blancs pour “brainstormer” ; un ballon qu’il triture de temps en temps en souvenir de l’époque où il jouait en Irlande et un ordinateur portable qui tourne à plein régime : le bureau de Chris O’Loughlin au centre d’entraînement unioniste de Lierre ressemble à celui que vous imaginez d'un directeur sportif. On s’est assis face à celui qui a bâti la meilleure équipe belge des 18 derniers mois. Et même s’il n’aime pas ramener la couverture à lui ni être appelé “l’architecte de l’équipe”, on l’a poussé à en dire un peu plus sur ce recrutement à succès que tant de monde lui envie.
Chris, l’Union est la seule équipe de Belgique encore en lice sur trois tableaux. Rares sont ceux qui s’attendaient à une telle année de confirmation.
”Il y a beaucoup de cas de petites équipes pour qui la deuxième année est compliquée. En interne, on avait confiance en notre capacité à proposer quelque chose de solide. Nous ne savions pas qu’on serait toujours en lice sur trois tableaux évidemment. Tout cela est nouveau pour le club, pour moi, pour Karel Geraerts. L’équipe allait-elle réussir à gérer l’enchaînement Europe-championnat ? Nous savions que nous avions créé une culture assez solide pour réussir cette transition.”
Et c’est souvent là que beaucoup d’énergie se perd, pour les équipes européennes. Pas pour l’Union.
”Plusieurs choses y ont contribué. Notre identité forte, d’abord. Nous avons bâti un environnement d’excellence où tout le monde veut grandir. Nous avons bien conscience du fait qu’un joueur a des aspirations pour aller plus haut. Mais on veut être sûr d’avoir des joueurs qui donneront tout pour le maillot de l’Union. Chaque année, on réalise des ateliers sur notre culture pour pousser plus loin nos valeurs. Et le staff soutient ces idées. C’est le deuxième point : on a un très bon staff, où tout le monde excelle dans ce qu’il fait.”
De l’extérieur, voir partir Nielsen, Undav et Mitoma suscitait des craintes.
”C’est le dernier point : avec Alex Muzio et Philippe Bormans, nous n’avons jamais paniqué. On n’a jamais arrêté de travailler à chercher les joueurs adéquats tactiquement et techniquement, mais aussi pour se fondre dans cette culture. Je comprends que les gens se posaient des questions puisqu’on n’avait jamais connu une telle situation. Mais déjà à l’automne 2021 nous cherchions les profils dont nous aurions besoin. Parfois, on ne peut pas conclure un transfert quand on veut comme pour Victor Boniface qui devait jouer les préliminaires de Ligue des champions avec Bodo/Glimt. Mais nous n’allions pas recruter un autre attaquant juste parce qu’il ne pourrait pas jouer contre les Rangers. Nous avons préféré attendre et prendre la bonne personne.”
Savoir qu'un joueur réussit 70% de passes n'est pas intéressant en soi.
Expliquez-nous comment vous parvenez à recruter des joueurs comme à peu près personne ne sait le faire, alors que tout le monde a accès aux datas, aujourd’hui.

”Je ne suis pas un scientifique des datas, pour être honnête. J’ai eu la chance d’avoir un président qui travaille dans le secteur des données depuis 14 ans. On a une relation incroyable et il a été assez gentil pour enseigner à un ex-entraîneur ce qu’il savait de cela. Grâce à son travail, nous avons réussi à rassembler un volume de datas que peu de monde arriverait à obtenir. Avec mes deux assistants, Gauthier (Carton) et Jean-Paul (Tuyishime), nous avons des fiches sur plus de 1000 joueurs que nous nourrissons au fil du temps (NDLR : il nous montre la plateforme personnelle qu’il utilise). Nos datas sont uniques à mes yeux parce qu’elles sont contextualisées : savoir qu’un joueur réussit 70 % de ses passes n’est pas intéressant si on ne connaît pas le contexte des passes. Voilà pourquoi on parvient à chercher à travers tant de joueurs dans le monde. La deuxième étape est de comprendre le style du joueur. Et il faut passer des heures à le regarder en situation. L’étape finale est de comprendre quel type de personne c’est. Il n’y a jamais de garantie à 100 %, mais on améliore le processus chaque année. Avec tout ça, on a construit une image complète du joueur et de l’homme. Ça représente énormément de travail, mais quand on sait qui on veut transférer, il n’y a presque pas un seul aspect que l’on ne connaisse pas. Un joueur doit faire un choix dans une carrière qui est courte, et on veut lui montrer qu’on le comprend très bien, qu’il va aider l’Union mais l’inverse aussi. Ensuite quand on recrute un autre joueur, on a le premier en tête. Il y a une combinaison de cultures à effectuer. Il faut qu’il y ait quelque chose qui les relie tous les uns aux autres ; qu’il y ait une base commune de valeurs. Voilà comment on construit un groupe.”
Cela doit être plus facile de convaincre les joueurs de signer à l’Union qu’il y a trois ans.
”Quand on était en D2, c’était compliqué. La D1 belge n’a déjà pas le crédit qu’elle mérite, mais alors, la D2… Maintenant, la difficulté vient des attentes financières qui sont parfois folles par rapport à nos moyens. Il peut y avoir de fausses idées, mais la réalité est qu’il s’agit seulement de notre deuxième année en D1. On ne pourra pas concurrencer des clubs qui ont 20 ans de stades pleins. On a beaucoup d’agents qui nous contactent et pensent qu’on peut proposer autant que d’autres. Mais bon, on ne recrute pas comme ça, on compte plutôt sur nous-mêmes.”
Dans le cas d’un José Rodriguez, qui a déjà quitté le club, la sauce n’a pas pris. Le renvoyer dans le noyau B, c’était quand même dur, non ?
”José est un excellent joueur. Parfois, ça ne fonctionne pas, comme ici. Il voulait jouer plus et c’était dans l’intérêt de tout le monde qu’il parte. Il n’y a pas de plaisir à reléguer quelqu’un dans l’équipe B, mais il faut parfois regarder de façon plus large. Réussir tous les transferts, c’est compliqué. Vous ne pouvez pas contrôler la transition d’un joueur : parfois il a du mal avec le climat, ou son épouse le rejoint et ne se sent pas bien.”
Je n'ai aucune idée de ce que fait Brighton pour son recrutement et vice-versa.
Vous bénéficiez aussi de quelques prêts de Brighton. Il y a pas mal de questions et peut-être même de fantasmes autour des liens entre les deux clubs…
”Une histoire a été racontée, peut-être parce que les gens ne comprennent pas bien la situation. Tony Bloom est actionnaire majoritaire de l’Union et de Brighton, mais c’est Alex Muzio, qui est aussi actionnaire de l’Union, qui est notre président. Et nous n’avons pas de contact avec Tony Bloom, qui vient au match deux ou trois fois par an. C’est Alex qui est le président exécutif qui gère ce club avec Philippe Bormans et moi. Nous ne sommes pas un club assisté, nous n’avons rien à voir avec Brighton. Oui, nous avons des joueurs en prêt et nous avons vendu Deniz Undav, mais il s’agissait du meilleur buteur de Belgique. Brighton a aussi acheté Trossard en Belgique, à Genk. Ils ont parlé à l’agent de Deniz avant même que l’on sache qu’il y avait un intérêt. Il n’y a pas de faveur, cela se passe comme dans n’importe quel autre transfert. De son côté, Brighton a prêté des joueurs partout ; Caceido au Beerschot, Alzate au Standard, etc. Ils estiment que la Belgique est un marché intéressant pour prêter. Mais la décision de prendre ou non un joueur en prêt nous revient. On nous a proposé Adingra ; on a regardé ce qu’il faisait et cela a évidemment été une décision facile. Puis il faut encore convaincre le joueur. Pour le reste, je n’ai aucune idée de ce qu’ils font dans leur recrutement et vice-versa. Je sais qu’on arrive un peu de nulle part, qu’on cherche des explications au succès et que c’est facile de nous lier à eux mais ce n’est pas vrai.”
À titre personne, comment vous sentez-vous dans ce rôle que vous occupez depuis 2019 ?
”Je m’amuse beaucoup même si, pour être honnête, le terrain me manque parfois et que j’aimerais montrer mes qualités d’ex-joueurs aux gars (il rigole). Au début, je me posais beaucoup de questions même si cela ne se voyait pas de l’extérieur car ce rôle n’est pas vraiment défini. J’apprends toujours beaucoup. Mais je ne me mets pas de pression sur ce que sera mon futur. J’ai envie de franchir des étapes avec le club. Et j’apprécie être en Belgique.”
Nous discuterons avec Karel de son futur au bon moment.
Vous devez être heureux d’avoir confié les rênes de l’équipe à Karel Geraerts.
”Très. J’ai directement apporté mon soutien quand l’idée a été évoquée. Je l’ai vu grandir et j’adore travailler avec lui. Il a vécu la croissance du club ces dernières années. Il représente nos valeurs. Son potentiel de réussir était là, mais personne ne savait comment ça allait se passer puisque c’était sa première expérience de T1.”
Il est sous CDI. Vu ce qui est arrivé avec Felice Mazzù la saison passée, parler avec Karel de son avenir avant la fin de la saison ne serait-il pas sage ?
”Je le connais, il veut se concentrer sur le foot et on discutera au bon moment.”
Il ne suffit pas de mettre de l'argent pour que des jeunes percent dans le noyau A.
Parlons du moins positif : les difficultés de vos U23 en D2 ACFF montrent que le club grandit un peu vite, non ?
”Il ne faut pas oublier d’où on vient : le centre de formation n’était pas un centre élite il y a quelques années. Les joueurs n’avaient pas tous le même équipement. Il fallait d’abord que le club monte en D1 pour construire. Changer tout ça demande du temps. Beaucoup de choses ont déjà été réalisées. On sait où on veut aller, mais on doit aussi avoir des infrastructures à nous et ne plus devoir compter sur les autres (NDLR : comme pour certains terrains d’entraînement). Mais il y a déjà une progression énorme, comme chez nos U18 par exemple.”
Avoir des jeunes du club en équipe A, c’est pour quand ?
”On en a qui s’entraînent en permanence avec l’équipe A. On veut que des jeunes percent, mais il ne suffit pas de mettre de l’argent. Il faut pouvoir leur donner les bonnes opportunités de se montrer. On a plusieurs jeunes sous contrat, dont deux en prêt : Ryan (Safari) au Lierse ou Ilyes (Ziani) au Standard. Et on analyse chacune de leurs minutes.”
"Atteindre la finale de la Coupe de Belgique serait magique"
La demi-finale retour de ce jeudi face à l'Antwerp est-elle le match le plus important de l’histoire récente du club ?
”Le plus important ? (il réfléchit) Pas dans le sens de la pression, mais si vous êtes en demi, évidemment que vous voulez atteindre la finale. L’Union n’en a plus disputé une depuis longtemps et on veut la jouer. Ce serait un accomplissement incroyable d’atteindre la finale, ce serait magique, mais il faudra être à notre meilleur niveau dans un environnement qui sera hostile.”
Gagner un trophée, c’est la prochaine étape ?
”Tout club qui veut faire partie du top vise les trophées. C’est excitant de jouer plusieurs objectifs. Il y a encore du travail pour y arriver, mais on va dans la bonne direction.”