Alerte rouge sur les finances du foot belge (5/5) : on pourrait devenir la risée sportive de l’Europe
La Pro League veut assainir les finances de nos clubs mais les mesures ne seront pas sans conséquences.
Publié le 09-02-2023 à 09h35 - Mis à jour le 09-02-2023 à 12h13
La mission est impossible. À en croire Trudo Dejonghe, économiste du sport et professeur à la KUL, le plan proposé par Lorin Parys, nouveau CEO de la Pro League ne peut être appliqué. En tout cas, pas sans d’énormes conséquences.
Le plan de la Pro League réclame aux clubs d’avoir des fonds propres dans le vert et de ne dépenser que 70 % de leurs revenus totaux pour payer les salaires de leurs joueurs d'ici 2027.
À titre d’exemple, le Standard et Anderlecht ont des capitaux propres de respectivement -26,5 et -17,8 millions d’euros. Les deux clubs affichent des pertes d’exploitations conséquentes et dépensent largement trop en salaires par rapport à leurs rentrées fixes.
À ces considérations, il faut ajouter des dettes colossales que les clubs doivent rembourser avant de pouvoir remplir leurs caisses.
“Actuellement les clubs fonctionnent comme un salarié qui touche 3000 euros par mois et en dépense 5000 car papa ou maman allonge l’argent pour compenser, explique Dejonghe. La différence est payée par ce que j’appelle des sugar daddy, de riches propriétaires qui comblent les vides. Un club de football doit être une entreprise saine qui dépense de l’argent qu’elle gagne. Le gouvernement et la Pro League doivent mettre fin au système actuel qui ne fonctionne pas. Même si ça risque de faire mal.”
La fin des investisseurs étrangers
Sans les Thaïlandais à OHL, les Japonais de Saint-Trond, ces formations seraient largement en négatif voire en faillite. La majorité des clubs professionnels du pays sont aux mains d’investisseurs étrangers. “Leur présence s’explique en grande partie par la législation belge, explique Dejonghe. Les joueurs issus de pays en dehors de l’Union européenne doivent toucher au minimum 80 000 euros par an.”

Ce qui n’est pas énorme dans un championnat où beaucoup gagnent largement plus que cela. “Aux Pays-Bas, ce plafond est largement plus haut car ils considèrent que les étrangers doivent être une plus-value pour le championnat.”
Dejonghe prend Eupen en exemple. “Il y a peu de supporters, peu de possibilités financières et pourtant le Qatar a vu une opportunité car ils ont pu acheter des joueurs étrangers, les payer peu et les revendre pour faire de la plus-value. C’est malin car les lois sociales sont basses et que la Belgique n’est pas trop légalement contraignante.”
Alerte rouge sur les finances du foot belge (3/5) : ce que doivent faire les clubs pour redresser la barreDes puits sans fond
Depuis quatre ans, on compte plus de 360 millions € de hausse de capital dans le football belge professionnel. “Regardez, le Cercle perd de l’argent chaque année et Monaco paie quasiment le montant exact des salaires du club”, sourit Dejonghe.
C’est le cas des nombreux investisseurs étrangers. OHL a connu 44 millions de hausse de capital, l’Union 20 millions, Lommel 12 millions, Westerlo 20 millions.
“Ce modèle peut continuer à perdurer, explique Dejonghe. Mais se posent alors deux questions. D’abord celle de l’éthique. Qui peut me dire d’où vient l’argent de Rybolovlev, le président de Monaco (NdlR : et donc investisseur du Cercle Bruges) ? Il faudrait pouvoir tracer cet argent mais comment faire s’il vient de Monaco ou de Suisse ? Le football belge n’a pas ce pouvoir (NdlR : malgré la mise en place d’une clearing house visant à mieux contrôler les transferts).”

Une question d’éthique sportive
Ces richissimes propriétaires ne sont pas des mécènes. Ils veulent gagner de l’argent via les joueurs dans lesquels ils ont investi. “Et au plus la pression financière augmentera, au plus les grands patrons voudront décider, explique Dejonghe. S’ils n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre, ils diront : ‘Celui-là et celui-là doivent jouer car ils rapportent de l’argent'.”
Les résultats du championnat pourraient donc être davantage dictés par des intérêts financiers que sportifs, transformant la Belgique, une ligue de développement, en portefeuille d’investissement version foot. “C’est déjà un peu le cas, sourit Dejonghe. Analysez les deuxièmes parties de saison de petits clubs qui sont confortablement installés dans le ventre mou. Ils regardent le classement et s’ils ont assez de marge pour se sauver, ils vendent les joueurs qui rapportent ou qui ont de gros salaires pour finir la saison à moindres frais.”
C’est loupé pour l’exercice 2022-23 à cause de la Coupe du monde.
La place pour 14 clubs en D1
La deuxième question que pose le fonctionnement financier actuel du football belge est celle du risque de faillite. Elle est étroitement liée aux décisions politiques. En 2019, par exemple, le CD&V a proposé d’augmenter le salaire minimum des joueurs hors UE à 400 000 euros, soit cinq fois plus qu’actuellement. Si de telles décisions – elles ont commencé avec l’augmentation des lois sociales – venaient à passer, “elles pousseront les investisseurs à quitter le navire.”
Les transferts issus de pays hors UE deviendraient des risques impossibles à prendre pour de petits clubs.
Il y aura des faillites. “Les plus gros investisseurs ne seront pas tristes de perdre des formations comme Seraing ou Westerlo. Ils ne peuvent pas éternellement ajouter de l’argent si ça ne rapporte rien au final.”
Dejonghe considère qu’un assainissement du système financier écartera plus ou moins dix clubs. “Je dis depuis des années que la Belgique peut compter 14 équipes en D1 (NdlR : au lieu de 18 cette saison et 16 à partir de 2023-24) et je maintiens cette analyse. A-t-on besoin de tous les petits clubs ? Je ne pense pas. On se retrouve dans une situation où des clubs comme La Gantoise et Malines cherchent des capitaux étrangers car ils manquent de liquidité.”
La politique pour sauver les grands
Les plus petits ne sont pas les seuls à risquer leur peau. Plusieurs formations historiques risquent d’être en danger de faillite dans les années à venir.
"Je sens qu'il pourrait y avoir un vent de panique dans deux ans."
Trudo Dejonghe refuse toutefois d’imaginer le Club Bruges, Anderlecht ou le Standard disparaître malgré les tristes perspectives. Il imagine d’ailleurs des décisions politiques à deux vitesses.
“Actuellement, nous sommes en pleine période de politique de l’autruche. Personne ne sait trop ce qui est mis en place au niveau des clubs alors que le plan est déjà activé. Dans deux ans, on va se rendre compte du retard pris sur les prévisions et ce sera la panique. ”
Et c’est à ce moment-là qu’il imagine les politiques entrer en scène. “Georges-Louis Bouchez (MR) a déjà lancé une fronde contre la réforme du régime fiscal du football pro. Le football belge fera du lobbying auprès de certains pour enclencher des leviers et obtenir des privilèges. Si le Standard est dans les problèmes, il y aura une intervention. Comme pour les grandes banques ou le PSG avec le fair-play financier. Les mêmes efforts ne seront pas consentis pour Eupen ou Lommel. ”
Plus aucune chance en Europe
Le plus gros impact sportif aura lieu sur la scène européenne. La Pro League va demander aux clubs de faire preuve de prudence dans leurs investissements. “Même si les rentrées financières ponctuelles comme les transferts ou les primes de compétition entrent dans les calculs du plan Parys, les clubs devront baser leur budget sur des certitudes afin de ne pas être sanctionnés”, résume Dejonghe.
Il est prouvé qu’investir de l’argent rapporte des points dans la plupart des cas. En Pro League mais aussi sur la scène européenne. Depuis des années, le Club Bruges investit et base son budget en fonction de ses ambitions en Coupe d’Europe.
La Belgique est actuellement huitième au classement UEFA. Une place impossible à conserver si les efforts financiers ne se font pas à un niveau plus global que la Belgique. Prenons l’exemple de Bruges. Si les Blauw en Zwart doivent dégraisser, ils ne pourront plus rêver d’une qualification au deuxième tour de la Ligue des champions. Participer aux poules risque de devenir un objectif en soi vu la probable chute au classement et la diminution des meilleurs accessits.
La Pro League devra être forte
Cela fait beaucoup de possibles crises à parer pour que le football belge survive. Faut-il pour autant jeter à la poubelle les projets d’assainissement financiers du sport numéro 1 de notre pays ?
La réponse de l’économiste est sans appel : “Non. C’est un plan d’économiste, logique et réfléchi. Il sera compliqué à appliquer et passera par des recapitalisations mais il est important pour la pérennité du football. ”