Laurent Deraedt, ex-entraîneur des gardiens d’Anderlecht : “J’ai compris que l’aspect humain n’existait pas au club quand j’ai été licencié”
Laurent Deraedt a été licencié par la direction mauve en même temps que Felice Mazzù.
Publié le 26-01-2023 à 08h34
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”En football, on peut être au sommet un jour et à la cave le lendemain.” Il y a tout juste un an, Laurent Deraedt lâchait cette phrase anodine au milieu d’un entretien réalisé en préface d’un duel entre Charleroi et l’Union qui trônait alors en tête de la Pro League. Onze mois plus tard, alors que les deux clubs s’affrontent à nouveau, ce lieu commun a pris tout son sens pour l’ex-entraîneur des gardiens unioniste.
Après une fin de saison folle à l’Union, Deraedt a suivi Mazzù à Anderlecht… avant d’être licencié par la direction mauve quatre mois plus tard. Et de passer du paradis à l’enfer en très peu de temps. “Après mon licenciement, j’étais vraiment à la cave. Maintenant, je remonte tout doucement les étages et je suis presque au rez-de-chaussée (sourire).”
Le long de la Meuse, dans un café de sa ville d’origine, le Dinantais de 49 ans a pris le temps de revenir sur la période la plus turbulente de sa vie professionnelle. En attendant de se lancer dans un nouveau défi très prochainement…
Laurent, qu’est-ce qui a été le plus compliqué à vivre depuis votre licenciement ?
”Le plus difficile a été de passer d’une vie ultra active au néant. Du jour au lendemain, le club reprend ta voiture et tu te retrouves seul dans ton appartement. T’es dans ton petit village et tu ne sais pas trop ce qu’il se passe… Mentalement, cela a été une période très compliquée. J’ai pu partir deux fois à l’étranger pour me changer les idées. Désormais, je m’occupe comme je peux en m’entraînant deux à trois heures chaque jour à la salle de fitness, en m’occupant de ma fille et en profitant du calme après cette période de turbulence.”
La situation était d’autant plus difficile à vivre que vous étiez le seul membre du staff de Mazzù à rester sur le carreau…
”Cela a créé de la frustration et de l’incompréhension. La direction a reproposé un poste à l’ensemble du staff sauf à moi… Qu’est-ce que j’avais fait de si grave pour être traité de la sorte ? Que ce soit à l’Union ou à Anderlecht, je me suis toujours donné à fond et la relation de travail avec les gardiens a toujours été bonne. Peut-être qu’ils n’étaient pas contents de mon travail, je n’ai jamais reçu de retour que ce soit positif ou négatif… Ou peut-être que j’ai payé ma relation particulière avec Felice. À un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête d’essayer de comprendre car c’est se faire du mal pour rien.”

Vous attendiez-vous à cette façon d’agir assez froide de la part d’Anderlecht ?
”Non, pas du tout. En début de saison, nous avions rencontré le duo Peter Verbeke – Wouter Vandenhaute et cela s’était très bien passé. Verbeke nous avait justement parlé de cet aspect humain qu’il fallait remettre au centre de tout à Anderlecht. J’ai senti que ce côté humain n’existait pas quand nous avons été licenciés. Après le match au Standard, nous avons été logés dans un hôtel à Tubize pour notre sécurité. Le lendemain, le Président est venu me voir : 'Robin Veldman ne veut plus travailler avec toi, nous n’avons plus de place pour toi donc tu t’en vas.' C’était un choix de Veldman de continuer avec Franck Boeckx et non plus avec moi.”
Votre côté très humain vous a-t-il joué un mauvais tour ?
”Même si je sais que nous sommes toujours sur un siège éjectable dans le milieu du football, j’ai toujours privilégié l’aspect relationnel. Ce que nous sommes parvenus à mettre en place la saison dernière à l’Union est par exemple dû en grande partie au côté humain qu’il y avait entre les membres du staff et les joueurs. Ce licenciement m’a appris une chose : se lier trop fortement à quelqu’un dans son secteur d’activités est une arme à double tranchant. Autant je n’aurais jamais été à Anderlecht sans Felice, autant cela fait encore plus mal quand tout éclate. Cela m’a fait mal de perdre mes potes de travail avec qui nous avions créé quelque chose de très fort et très sain. Dans le futur, il faudra peut-être que je me protège plus souvent sous une carapace.”
"C'était un choix de Veldman de continuer avec Boeckx et non plus avec moi."
- Laurent Deraedt, ex-entraîneur des gardiens d'Anderlecht
Comment décririez-vous votre relation avec Felice Mazzù ?
”Sa femme m’a dit un jour que Felice avait eu un coup de foudre amical pour moi et je peux dire que c’est réciproque. Quand ils nous voyaient, beaucoup de gens pensaient que nous étions amis depuis plus de 20 ans alors que nous nous connaissions depuis peu de temps. Nous avons les mêmes valeurs de vie, le même humour… Quand on voyait Felice, on ne me trouvait pas loin et vice-versa.”
Comment a-t-il vécu ce licenciement d’Anderlecht ?
”Felice est un battant donc cela lui a fait un choc. Il est parti en vacances une semaine pour se changer les idées puis les choses se sont rapidement mises en place avec Charleroi. Il a aussi beaucoup culpabilisé que certains se retrouvent sur le carreau après l’avoir suivi à Anderlecht. Je suis toujours en contact avec lui, presque quotidiennement. Via ses contacts dans le monde du football, il a aussi essayé de m’ouvrir des portes.”
Vous trouvez qu’on ne lui a pas laissé assez de temps à Anderlecht ?
”C’est clair. D’ailleurs, on voit actuellement que le nouveau staff ne fait pas vraiment mieux… La situation compliquée d’Anderlecht est triste car cela reste un club majeur en Belgique. Cela ne me fait pas plaisir de les voir en difficulté. Mais il n’y a pas de miracles : il faut laisser du temps au temps. Et Anderlecht ne nous a pas laissé de temps, tout simplement.”

Est-ce vrai que vous auriez pu rejoindre Mazzù à Charleroi ?
”J’ai en effet discuté avec Mehdi Bayat, un dirigeant extraordinaire. J’aurais été heureux que les dirigeants anderlechtois tiennent le même discours que Mehdi quand ils m’ont poussé dehors… À l’arrivée de Mazzù, Charleroi n’a pas voulu éclater son staff comme l’avait fait Anderlecht. Cela montre leur côté plus humain… Ils avaient de toute façon déjà Cédric Berthelin que je connais depuis dix ans. C’est l’un des seuls entraîneurs des gardiens à m’avoir envoyé un message après mon licenciement. Je ne me voyais pas le pousser vers la sortie.”
Quels sont vos projets pour le futur ? Vous avez mis une annonce sur Instagram et sur Linkedin pour tenter de trouver un nouveau défi…
”J’ai essayé de m’ouvrir le plus de portes possible. Au début, j’ai eu quelques retours mais rien de très concret. Cela commence désormais à bouger et j’espère que cela pourra aboutir sur quelque chose de concret d’ici une ou deux semaines. Cela risque de partir sur une expérience à l’étranger. Reprendre mon métier de commercial ? Je ne l’ai pas envisagé un instant, c’est impossible. J’ai trop besoin de football dans ma vie (sourire).”
”Geraerts a tout ce qu’il faut pour réussir”
”Mon cœur est et restera Unioniste.” Au moment d’évoquer ses deux années passées à l’Union, le visage de Laurent Deraedt s’illumine. Arrivé à Bruxelles depuis Virton, l’entraîneur des gardiens s’est rapidement fondu dans le moule du club. “Le titre en D1B est un de mes meilleurs souvenirs, raconte Deraedt. La qualification pour l’Europe après notre victoire à Anderlecht a aussi été très intense. Quand nous sommes revenus à l’Union, les rues étaient tellement remplies de supporters que le bus ne savait plus avancer. La ferveur était incroyable… Et le dernier match à domicile la saison dernière reste aussi un grand moment : les joueurs et le staff avaient été mis à l’honneur et la pelouse avait été envahie par les fans. J’en ai la chair de poules rien que d’en parler…”

À l’Union, Laurent Deraedt a retrouvé Anthony Moris avec qui il avait travaillé à Virton. Les deux hommes ont créé une relation très forte qui a permis au gardien luxembourgeois de réaliser un retour remarqué en D1A. “Anthony ne m’a pas attendu pour être bon, lance modestement Deraedt. J’ai surtout joué un rôle en le mettant le plus possible en confiance. J’étais fort à l’écoute et nous n’avions pas peur de nous dire les choses. L’écoute et la proximité ont été de solides armes. La saison dernière, plus il jouait et plus il devenait bon…”
Le Dinantais garde un œil intéressé aux performances actuelles de son ex-club. Celui qui était en tribunes le week-end dernier lors de la victoire face à Louvain n’est pas surpris par la réussite de Geraerts et de ses hommes. “C’est une équipe parfaitement rodée qui a le même système de jeu depuis près de trois ans. La cellule recrutement a le flair pour aller chercher de bonnes pioches et est l’une des meilleures en Belgique. Et Geraerts a tout ce qu’il faut pour réussir : il est hyper intelligent, a une grosse carrière de joueur derrière lui et a fait un bon apprentissage en tant qu’adjoint. Tout ce qui lui arrive est logique.”

Deraedt aurait pu vivre cette deuxième saison au sommet s’il était resté à l’Union. Mais pas de là à avoir des regrets… “Karel a essayé de me garder, conclut-il. Le CEO Philippe Bormans m’a téléphoné en me poussant à rester. Mais il savait très bien que cela allait être difficile de me conserver car il sentait que l’aventure humaine avec Felice allait peser plus lourd dans la balance que ce que l’Union pouvait me proposer. J’ai donc hésité à rester mais mes liens avec Felice ont fait que je devais partir.”