Soulier d'or: Michel Preud'homme adoube Mignolet. "Il a fait en une édition ce que j'ai fait en deux"
Michel Preud’homme, dernier gardien lauréat du Soulier d’or, dont la cérémonie a lieu ce soir, explique ce que représente le trophée pour un portier. Le sacre du gardien de Bruges serait mérité, estime-t-il.
Publié le 25-01-2023 à 06h00
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Installé à Ténérife une partie de l’année, Michel Preud’homme, qui a fêté ses 64 ans ce mardi, profite du soleil des Canaries pendant que la Belgique est passée en mode hiver glacé depuis quelques jours. Ce mercredi soir, l’ancien gardien du Standard, de Malines et de Benfica, double (et unique) lauréat du Soulier d’or en 1987 et en 1989, devrait avoir un successeur gardien au palmarès de la godasse dorée, avec Simon Mignolet.
À la condition de ne pas évoquer les Diables rouges, ou la direction technique de l’Union belge, il a accepté de donner son avis sur le statut du gardien lors d’un scrutin individuel rarement gagnant. En Belgique, ils ne sont que cinq portiers à avoir été récompensés dans l’histoire : avant MPH, il y avait eu Jean Nicolay (Standard, 1963), Fernand Boone (Club Bruges, 1967), Christian Piot (Standard, 1972) et Jean-Marie Pfaff (Beveren, 1978).
Michel, comment expliquer qu’un gardien a tant de mal à remporter un trophée individuel ?
C’est bête à dire, mais pour qu’un gardien soit mis en valeur, il doit avoir du boulot. Sans boulot, pas de Soulier d’or. D’un autre côté, si tu joues dans une bonne équipe, tu dois être bon à tout moment. Lors de mon premier succès au Soulier d’or (1987), on n’avait encaissé que 14 buts (18) avec Malines (lors de la saison 1986-87) et on avait gagné plusieurs matchs 1-0 ou par le plus petit écart. J’avais eu assez de boulot pour me mettre en évidence.
Thibaut Courtois, lors de la remise du Ballon d’or, a expliqué qu’un gardien ne peut gagner un trophée individuel…
Il suffit de voir le résultat du scrutin. Courtois a été aussi décisif que Benzema en Ligue des champions, mais le Français a gagné le Ballon d’or et Thibaut a fini septième. Pour les votants, quand il faut choisir entre un numéro 10, un attaquant ou un gardien, le gardien passera en dernier. C’est frustrant, car la plupart des votants ne considèrent pas le poste de gardien à sa juste valeur. Pour les grands entraîneurs, en revanche, il faut un grand gardien pour gagner des trophées. Quand j’étais à Benfica, et alors que j’avais 37 ans, (Fabio) Capello, qui venait d’arriver au Real (Madrid), voulait me transférer. J’ai demandé à Lucien (D’Onofrio, qui était alors son agent) pourquoi il me voulait, vu mon âge. Il m’a répondu : « Il s’en fout de ton âge, il veut un très bon gardien. » (NdlR : finalement, Benfica n’a pas laissé partir Preud’homme)
Vous avez remporté deux fois le Soulier d’or. Quel a été le plus beau souvenir ?
C’est difficile de faire un choix, car c’est chaque fois magnifique. Il faut se rappeler qu’à l’époque les meilleurs Belges jouaient en Belgique. C’est comme si De Bruyne, Hazard ou Lukaku étaient dans le championnat belge. C’était une récompense qui comptait beaucoup pour nous.
En 1987, vous avez remporté le Soulier d’or sans être champion avec Malines, et avec un écart record pour l’époque (274 points d’avance, devant Frans Van Rooij)…
Il y avait plusieurs éléments dans cette victoire. D’un point de vue individuel, c’était la récompense d’un gros travail. J’avais été suspendu neuf mois (à la suite de l’affaire Standard – Waterschei), j’étais revenu mais il y avait l’alternance avec Gilbert (Bodart, au Standard) puis ma blessure au genou, qui m’a fait manquer la Coupe du monde 1986. Il y avait eu beaucoup de souffrance, de travail, avant que je rebondisse à Malines (il y est arrivé au début de la saison 1986-1987). C’est l’autre aspect, plus collectif, de ce premier succès. On était un peu l’équipe inattendue face au grand Anderlecht. On a généré une certaine sympathie. On a perdu le titre, mais lors de la dernière journée, après une défaite contre Bruges. On avait tout de même gagné la Coupe de Belgique (1-0 contre le FC Liège).
À l’époque, il n’était pas question de grande cérémonie télévisée, comme maintenant. Pouvez-vous rappeler comment s’est déroulée la soirée de la remise du trophée ?
Un journaliste du « Laatste Nieuws » (le quotidien flamand qui organise le scrutin) était dépêché chez quelques-uns des potentiels candidats, avec un photographe. Le dépouillement des votes se faisait dans un restaurant sur la Grand-Place (La Maison du Cygne). On appelait le vainqueur, pour lui dire qu’il pouvait venir chercher son trophée. On a eu le temps de prendre la photo, chez moi, quand je reçois le coup de fil – je me revois, les poings serrés. Puis on a eu le temps d’aller mettre un costume et de filer à Bruxelles, avec ma femme. À l’époque, ça roulait bien pour aller à Bruxelles, je mettais trente minutes pour y aller. Tu fais ça aujourd’hui, tu n’es pas certain de recevoir le trophée le soir même, vu le trafic (sourire).
Vous auriez pu remporter un troisième Soulier d’or en 1994. Mais malgré un titre de meilleur gardien à la Coupe du monde, vous avez terminé cinquième… derrière Filip De Wilde et Gilles de Bilde, le vainqueur. Que s’est-il passé ?
Les journalistes avaient voté… avant la Coupe du monde pour le premier tour de vote. Pour le deuxième tour de vote, je ne rentrais plus en ligne de compte puisque j’étais parti à Benfica. Un journaliste du « Laatste Nieuws » m’avait dit que j’avais une chance de gagner le trophée et il m’avait demandé si Eusebio pouvait faire le déplacement. Il est venu, mais c’est De Bilde qui a gagné. Je m’attendais à ce qu’un joueur, sur les deux tours, gagne le Soulier d’or, mais pas sur un seul… Voilà, c’était comme ça, je devais l’accepter. Bon, j’en avais gagné deux, ça permettait de relativiser la déception (sourire).
Simon Mignolet ferait-il un beau successeur dans la caste des gardiens ?
Simon, s’il gagne le trophée, aura fait en une saison ce que j’ai fait en deux éditions. En 1987, c’est grâce à la saison belge que je l’ai emporté. En 1989, c’était aussi la récompense de ce qu’on a fait en Coupe d’Europe, en plus du travail réalisé en championnat. Quand on regarde la saison de Simon, elle se scinde en deux parties. La première, c’est le championnat. Il a été décisif dans la conquête du titre de Bruges. La deuxième, c’est la Ligue des champions. Il a été un élément décisif pour la qualification en huitièmes de finale.
Qu’est-ce qui le différencie des autres gardiens du championnat ?
Il est fort sur sa ligne, très fort en un contre un. La manière qu’il a de réduire l’angle et de limiter les choix de frappes, pour l’attaquant, c’est impressionnant. Son jeu aérien est bon aussi, et puis il y a sa personnalité, et ça compte. Il a un rayonnement sur ses équipiers qui rassure ses défenseurs. Il est respecté dans le vestiaire et il sait faire passer ses messages avec correction. Regardez aussi ses interviews. Il est toujours pondéré, dans la victoire comme dans la défaite.
Dans la jeune génération des gardiens, qui suivez-vous avec attention ?
Je ne suis pas assez le championnat de près pour me prononcer sur certains, mais j’aime toujours bien regarder Arnaud (Bodart), que j’ai lancé au Standard. Je regarde aussi les matchs de Bruges, et du Club NXT dont Guilian (son fils) est CEO. Il y a le jeune Senne Lammens, international espoir. Il est très bon, j’ai vraiment été impressionné par son niveau. S’il continue à bien travailler et qu’il est patient, il deviendra un international, à terme.