Mehdi Bayat: « Charleroi ne doit pas vendre avant d’acheter cet hiver »
Entraîneurs, mercato, investisseurs, footgate : Mehdi Bayat, administrateur délégué du Sporting de Charleroi, fait le point sur les dossiers chauds.
Publié le 21-01-2023 à 12h00 - Mis à jour le 21-01-2023 à 17h29
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Depuis le bureau de Mehdi Bayat, boulevard Zoé Drion, les fenêtres occultées privent les visiteurs du spectacle d’un hiver qui tente de s’installer. Ce matin-là, le cube décisionnel de l’administrateur délégué du Sporting de Charleroi donne l’impression d’un bazar organisé. Les paperasses jonchent la table, comme autant d’idées qui lui trottent en tête. Sur la gauche, des plans A2 sont enroulés dans un élastique, sans doute ceux du futur centre d’entraînement qui sera érigé dans le prolongement de l’actuel, à Marcinelle. Plus au milieu, à côté de l’ordinateur, un terrain imprimé avec ce qui ressemble à des fiches de joueurs, le signe d’un mercato qui entre dans sa dernière ligne droite.
Mehdi Bayat s’assoit dans l’un des canapés gris molletonnés ornés de coussins jaunes. Il se redresse et ajuste son gilet, prêt à commenter, durant une petite heure, l’actualité chaude d’un club qui vit, à tous les niveaux, une saison pas comme les autres.
Le sportif
Mehdi Bayat, peut-on parler de renouveau sportif depuis le retour de Felice Mazzù ?
Complètement. Ça change littéralement tout dans la dynamique collective. Felice a apporté sa touche. Il est comme un poisson dans l’eau ici. Je retrouve sa faculté de tirer le meilleur de ses joueurs, de les bonifier en leur donnant cette confiance qui leur permet de renverser certains matchs.
A-t-il changé depuis son départ pour Genk, en 2019 ?
Un peu. Il a logiquement engrangé de la maturité par rapport à nos débuts communs ici (NDLR : en 2013). On s’est construits ensemble avant de se séparer pour de bonnes raisons. Il devait aller goûter à autre chose, à Genk. Ensuite, il a vécu une expérience exceptionnelle à l’Union. Et aujourd’hui je pense qu’il souffre plus de la manière dont l’histoire s’est achevée à l’Union que de ce qui s’est passé à Anderlecht. Ça reste un club attirant par son histoire, mais on voit que c’est très compliqué là-bas pour l’instant… En ayant vécu tout ça, il est heureux d’être de retour à Charleroi et je crois qu’il a envie d’y terminer sa carrière. Ça tombe bien parce qu’on veut reconstruire quelque chose avec lui.
Lorsque vous avez remercié Edward Still, le 22 octobre, c’était évident que Mazzù lui succéderait ?
Je me suis dit qu’il existait des moments dans la vie où les astres s’alignaient… J’ai rencontré d’autres entraîneurs, dont je tairai le nom. Mais quand j’ai senti que la casserole bouillait à Anderlecht et que je me suis séparé d’Edward, tout convergeait. Après deux minutes, Felice m’a dit qu’il voulait revenir.
Avec le recul, le choix de Still était-il une erreur de casting ? Ou était-ce trop tôt dans sa carrière ?
Je le prends comme un échec personnel. Sur la durée, cela n’a pas fonctionné ici, mais je reste persuadé qu’il fera une grande carrière. Il est encore très jeune et a beaucoup à apprendre. Il se remettra en question et continuera son petit bonhomme de chemin. Je maintiens que, professionnellement parlant, il reste l’une de mes plus belles rencontres. Il a une intelligence au-dessus de la moyenne.
Est-ce son relationnel qui l’a plombé malgré ses connaissances indéniables du football ?
Non, je ne dirais pas ça. Certains ont voulu le cataloguer « entraîneur data », alors que tout le monde les utilise aujourd’hui. Mais, à un moment donné, j’ai senti que quelque chose ne tournait plus dans le vestiaire, qu’il s’était détaché.
Une réunification avec les Ultras est-elle possible après l’épisode du match définitivement arrêté contre Malines (le 12 novembre) alors que Charleroi menait au score ?
Ce qu’on a vécu ce soir-là est très dur à accepter. Totalement injuste par rapport au travail consenti par tout le personnel du club. Comment peut-on faire perdre son équipe ? (NDLR : il prend une pause). Les groupes de supporters impliqués prétendent qu’ils ne souhaitaient pas la phase 3 du protocole (NDLR : qui amène à l’arrêt définitif du match). Mais tu ne peux pas bouter le feu à une maison et, quand elle explose, dire « mince ! j’ignorais qu’il y avait une conduite de gaz qui passait en dessous »… Tout était prémédité et ça m’a fait mal.
Il faudra du temps pour recoller les morceaux ?
On a déjà eu des discussions avec les supporters. Des sanctions ont été prises par le club, les groupes assument et seront de retour au stade contre l’Union (samedi 28). Je le répète, sans enfumage : financièrement et sportivement, depuis dix ans, Charleroi vit la meilleure période de son histoire. J’admets qu’on passe un peu à travers cette année, mais doit-on pour autant être si virulent avec la direction et les joueurs ? Je ne crois pas. J’espère que cet épisode aura servi de leçon.
Le mercato
Charleroi doit-il vendre avant d’acheter cet hiver ?
Non, pas du tout. Grâce aux ventes de Bayo et Zaroury l’été dernier, on peut tenir jusqu’à l’été prochain sans problème. Mais on devra vendre en juillet, cela fait partie de notre modèle. Avant le 31 janvier, on va essayer de recruter un ou deux joueurs. Ils sont budgétisés. Encore faut-il trouver les profils souhaités et à des prix raisonnables.
Sans départ, donc ?
S’il y en a un, c’est qu’on aura reçu une offre inattendue. Car notre volonté n’est pas de vendre un titulaire maintenant. En revanche, on va chercher des solutions pour ceux qui jouent moins, comme on l’a fait pour Wasinski (NDLR : prêt sec à Courtrai), qui était demandeur. Il reviendra dans six mois et on continuera de croire en lui.
Avez-vous reçu des offres pour des titulaires ?
Oui, il y a des sollicitations, mais la volonté est d’attendre cet été.
D’autres dossiers entrants sont-ils bien avancés ?
Oui, on bosse sans relâche. Il y a trois attaquants qui, après discussion avec le coach, voulaient venir à Charleroi, mais ils sont ailleurs aujourd’hui. Notamment parce que d’autres clubs ont augmenté leur offre et que le salaire proposé était supérieur ailleurs (NDLR : selon nos informations, le dossier de l’attaquant Saïd Hamulic était bien avancé mais le joueur va finalement signer à Toulouse).
Quel est le profil de l’avant-centre recherché ?
Idéalement, complet. Avec de la profondeur, de la vitesse et un côté athlétique. Mais c’est difficile d’aller chercher ça en Belgique. Michael Frey (Antwerp) ? Oui, il a tout ce qu’on cherche, mais c’est infaisable pour Charleroi. Impayable ! (NDLR : il a rejoint Schalke 04).
Et un latéral gauche ?
Oui, pour amener de la concurrence à Kayembe. À droite, le poste est doublé avec Ken Nkuba et Jackson Tchatchoua. Il se passera probablement quelque chose pour Ken cet été, et Jackson le remplacera. D’ici là, on veut anticiper et préparer le terrain, c’est ce que fait notre cellule de recrutement.
Loïc Bessilé et Jules Van Cleemput arrivent en fin de contrat. Seront-ils prolongés ?
On dispose d’une option pour une saison supplémentaire. On va discuter. Si on arrive à trouver une solution de temps de jeu pour Loïc cet hiver, cela lui fera du bien (NDLR : Eupen est venu aux renseignements). Jules, on l’adore, il a une super mentalité et a démontré ses qualités. On le verra après la fin du mercato.
Les investisseurs
Les négociations avec les potentiels investisseurs étrangers changent-elles la donne pour ce mercato ?
Je reconnais qu’à un moment donné, lorsqu’on était bien avancés avec le groupe de l’Américain Bill Foley (NDLR : via sa société BKFE, pour Black Knight Football and Entertainment), il nous avait demandé de ne pas nous positionner pour des joueurs parce qu’il voulait déjà qu’on entre dans un principe multiclubs avec Lorient ou Bournemouth notamment. On n’est pas allés au bout des choses avec lui, mais on ne s’est pas arrêtés de travailler pour autant.
Il était votre interlocuteur privilégié ?
On veut être en phase avec la réalité du marché. Pratiquement plus aucun club ne fonctionne encore comme le nôtre. Je veux m’entourer pour ne plus être seul à la barre au quotidien. Je veux des gens qui vont s’impliquer, en étant actionnaires. Le modèle parfait aurait été un investisseur avec une aura dans l’événementiel, le développement d’un gros projet immobilier (NDLR : pour le futur stade), venir avec des idées fraîches… Bill Foley réunissait beaucoup de ces critères.
Pourquoi ça a capoté ?
Ils ont vraisemblablement eu le sentiment que la ville de Charleroi n’avait pas le profil idéal pour leur projet de réseautage de clubs, notamment en termes d’infrastructures. Mais la société PwC continue son travail de recherche pour nous. Depuis la fuite de l’arrêt des discussions avec Foley, d’autres profils se sont manifestés. On discute et on reste ouverts aux propositions dès l’instant où elles respectent notre envie de continuer à faire grandir le club.
Votre volonté est-elle toujours d’accueillir un investisseur minoritaire ou êtes-vous ouvert à vendre davantage, jusqu’à 100 % des parts ?
Je suis ouvert à un actionnaire majoritaire tant qu’il garantit la prospérité du Sporting. Mon mode de gestion a fait ses preuves et démontre que j’ai réussi à faire grandir le club depuis dix ans. C’est un peu mon bébé et je n’ai pas envie qu’il soit détruit.
Donc vous pourriez vendre 100 % ?
Pourquoi pas ? Ce n’est pas l’objectif, mais tant que j’ai la garantie que le club continuera à grandir, j’analyserai toutes les offres. Si l’une d’entre elles, à 100 %, amène un super projet pour Charleroi, il serait égoïste de ma part de m’accrocher à mon bébé.
Si tel est le cas, ne craigniez-vous pas que le club perde son âme ?
Un rachat ne signifie pas forcément mon départ. Bill Foley, par exemple, voulait que je reste en charge de la gestion journalière du club même s’il devenait majoritaire.
À combien est valorisé le club aujourd’hui ?
Je ne veux pas rentrer dans ces détails-là, au risque que cela induise en erreur certains acquéreurs potentiels.
Dernière chose : allez-vous accepter la transaction pénale dans le dossier du Footgate ?
Oui, on se dirige vers cette solution pour éviter un procès-fleuve qui ne mènera à rien.