Pourquoi le passage de Felice Mazzù à Anderlecht n'a pas fonctionné
Blessure de Trebel, mercato mal taillé et manque de maîtrise du groupe: on retrace le passage du coach carolo à Anderlecht.
Publié le 24-12-2022 à 07h00 - Mis à jour le 24-12-2022 à 08h42
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Le Lotto Park a scandé le nom de Mazzù. Sous la canicule de fin août, la qualification dans la douleur face aux Young Boys Berne a porté le nouveau coach d’Anderlecht au statut de potentiel héros. Deux mois plus tard, il a pris la porte. Les explications sont plurielles et trouvent leurs sources à différents moments.
1. De trop grandes ambitions Son arrivée à Anderlecht a été retentissante. De par son contexte extra-sportif mais aussi par l’ambition affichée par Felice Mazzù. D’entrée, il annonce vouloir "créer un groupe à l’image de ses idées" et "être champion". Ses propos sont en adéquation avec ce qui lui a été annoncé. La direction d’Anderlecht lui promet de consentir à un maximum d’efforts pour atteindre leurs ambitions communes.
"Mais je pense que beaucoup ont oublié le fait que le club cherche encore la formule, explique Louis Derwa, avocat et ami de Mazzù. Le glorieux passé du club est actuellement un poids. Les attentes sont grandes, Felice devait être ambitieux dans son discours, mais dans les faits Anderlecht est un club ordinaire."
2. Un noyau trop léger pour le titre
Les débuts ont pourtant tout d’une idylle. "La préparation était bonne, le stage positif et nous avions sorti un superbe match de gala face à Lyon, résume Laurent Deraedt, entraîneur des gardiens renvoyé en même temps que Mazzù et actuellement à la recherche d’un nouveau défi. Nous avions face à nous un groupe qui comprenant ce que nous voulions mettre en place malgré le changement de philosophie et de système."
Le groupe est talentueux mais largement trop court pour le sommet du classement. Felice Mazzù s’en rend rapidement compte mais ne s’est jamais plaint à l’extérieur. Il a, par contre, régulièrement réclamé à la direction de faire un effort supplémentaire. On ne gagne pas la Pro League avec deux attaquants inexpérimentés de 20 ans. "Le staff était sous tension, on les sentait très nerveux durant le mercato, nous glisse une source dans l’encadrement du club. Ils étaient conscients qu’il fallait adapter les ambitions ou ajouter de l’expérience dans le noyau."
"Felice savait qu’il devrait faire avec beaucoup de jeunes mais il avait prévenu que des gamins ne peuvent pas être au top niveau tous les trois jours, enchaîne Derwa. Il y a eu un manque d’équilibre dans la constitution du noyau. La meilleure preuve en est que la direction a répété que virer Mazzù n’était pas la solution miracle."
3. Certaines pressions indirectes
Peter Veberke a constitué l’équipe en fonction de Mazzù. En le consultant. Le coach a toujours pu choisir son équipe – ce qui explique son maintien du 3-5-2 malgré la pression populaire – mais certaines pressions indirectes ont sans conteste influencé quelques décisions. On nous donne en exemple l’arrivée surprise de Jan Vertonghen alors qu’il y a déjà deux défenseurs centraux gauchers dans le groupe. "Le message était clair quand un Diable rouge arrive à la recherche de temps de jeu à deux mois de la Coupe du monde", nous explique une source. Une autre nous a fait comprendre qu’il fallait mettre en valeur certains jeunes pour les pousser à prolonger.
"Mais vous connaissez Felice, il ne se plie pas à ce genre de jeu, explique Deraedt quand on lui rapporte cette information. Je vous assure qu’il a toujours posé ses choix en âme et conscience. Sa relation avec la direction était d’ailleurs très positive. Il s’est toujours senti soutenu." Des propos confirmés par d’autres. Mazzù était apprécié au Sporting "malgré certains jaloux", précise toutefois un employé du RSCA.
Le coach a commencé son mandat en enchaînant les victoires. Après sept matchs, il n’avait connu l’échec qu’au Cercle (où Abdulrazak a rapidement été exclu) et réalisait le quatrième meilleur départ d’un nouveau coach anderlechtois. Le bilan n’empêche pas les premiers doutes. Anderlecht ne brille pas sur les pelouses de Pro League et de Conference League. "Cela tenait à un fil et il a fini par casser", résume-t-on au RSCA.
4. L’indispensable Trebel Adrien Trebel faisait partie de ceux qui maintenaient ce fil intact. Jusqu’à ce qu’une cabriole contre Berne le mette hors circuit jusqu’à début novembre. Tous nos interlocuteurs parlent de cette phase du 18 août comme le tournant pour Mazzù. "L’impact de sa blessure a été énorme, assure Samba Diawara, T2 de Mazzù à Anderlecht. Personne n’imaginait qu’un joueur encore persona non grata la saison précédente aurait un rôle si important. Il avait un impact sur ses coéquipiers. Quand Adrien parle, tout le monde écoute. Puis, il mène par l’exemple. Quand tu le vois donner sa vie sur le terrain, tu ne peux qu’en faire autant."
La qualification sept jours plus tard au terme d’une séance de tirs au but épique masque le fait qu’Anderlecht n’a pas été convaincant. L’euphorie a vite laissé place à la fatigue.
5. Il a longtemps protégé Hoedt
Mazzù perd face à son ancienne équipe. Une nouvelle fois les Mauves ne brillent pas. "Ça s’est joué à peu de chose, poursuit Diawara. Deux décisions de l’arbitre, un peu de chance, des détails quoi. Mais j’ai senti une baisse de confiance dans le groupe après (2-1)." Elle s’est confirmée quelques jours plus tard dans le match de la rupture. Contre Gand, la réussite de début de saison n’est plus au rendez-vous et Anderlecht s’effondre (0-1).
Le manque de leaders se fait plus que jamais sentir. Wesley Hoedt est celui qui se rapproche le plus d’un patron en l’absence de Trebel. Problème : certains l’apprécient, d’autres se plaignent de son comportement. Felice Mazzù l’a pourtant longtemps soutenu. Le coach lui a demandé d’être plus constructif dans ses critiques mais voyait en lui un exemple de professionnalisme.
6. Des jeunes qui ne savent pas perdre Et de caractère. Une denrée rare dans ce jeune groupe. Plusieurs produits de Neerpede ont été qualifiés "d’étudiants qui ont réussi sans forcer en humanités avant de se prendre le mur à l’université" par un formateur du club.
Le staff pointe cette tendance lors d’une réunion avec Peter Verbeke à Londres après la défaite à West Ham. Le CEO, actuellement arrêté pour maladie, n’a pas l’intention de le renvoyer mais lui explique que la pression est forte. "On savait qu’on aurait du mal à survivre vu les résultats, dit Deraedt. Verbeke aimait pourtant beaucoup Mazzù. La direction a été derrière nous le plus longtemps possible."
Le staff a, par contre, eu plus de mal avec l’attitude de certains, considérés comme trop dilettantes. Les statistiques l’ont prouvé. Anderlecht est une des pires équipes quand il faut aller au duel, là où l’Union de Mazzù brillait.
Le coach sait que ses joueurs ne sont pas les uniques responsables. On nous glisse qu’il s’est certainement trop longtemps entêté dans son schéma de jeu, qu’il aurait dû davantage prendre en considération les qualités de son groupe. Son passage à quatre défenseurs à Malines combiné à un sursaut d’orgueil de son groupe n’a été qu’un feu de paille.
7. Le ciel, la pluie et le destin Le déplacement à Zulte le 20 octobre est le dernier clou dans le cercueil de Mazzù. "On avait pourtant fait mal à Bruges juste avant", se souvient Deraedt. Au stade Arc-en-ciel, Anderlecht a appris ce qu’était la loi de Murphy. "Tout ce qu’on devait éviter s’est passé, raconte Diawara. Nous maîtrisons le match puis tout s’est effondré avec le but victorieux de Gano, pourtant écarté du groupe jusque-là, en fin de match (3-2)."
Certains vont même plus loin et y voient une intervention divine. Anderlecht a prié toute la semaine pour que le match se déroule sans pluie pour ne pas favoriser le jeu moins rapide du Essevee sur un terrain gras. Il est tombé des cordes durant 90 minutes.
La fin, tout le monde la connaît. "Nous avions encore un mince espoir, raconte Diawara. Si nous battions le Standard chez lui et que nous enchaînions avec une qualification européenne, nous pouvions espérer être enfin lancés. Quand j’ai vu le but dévié de Raskin, je me suis dit qu’on pouvait tout essayer, cela ne fonctionnerait pas. Quand le match a été arrêté par les jets de fumigènes, nous savions tout que c’était la fin."
Le lendemain, Mazzù est mis à pied par la direction dans une salle de l’hôtel des Diables à Tubize. "Wouter Vandenhaute a appelé Felice, se souvient Deraedt. Puis ce fut mon tour car nous étions les seuls à recevoir notre C4. J’étais très déçu mais je comprenais le président. Il voulait continuer de nous soutenir mais la situation n’était plus tenable."
8. Il ne voulait que Charleroi
Mehdi Bayat n’a même pas attendu 24 heures pour rappeler Mazzù et lui offrir l’opportunité de rebondir chez lui, à Charleroi. Son hésitation est de courte durée malgré l’intérêt d’autres formations étrangères comme Reims, par exemple. Il veut signer à Charleroi et nulle part ailleurs. Se remettre le plus rapidement en selle. Après avoir donné son accord à Bayat, il a pris quelques semaines pour lui.
"Felice croit au destin, explique un proche. Si les choses se sont passées de la sorte, c’est qu’elles le devaient." Et comme le destin fait bien les choses, il effectue son retour chez les Zèbres face aux Mauves.