Le portrait d'Efrain Juarez, l'entraîneur adjoint du Standard : “J'ai conscience d'être un privilégié et je veux partager mon vécu”
Rencontre avec l'attachant T2 des Rouches, Efrain Juarez, qui explique sa vision du foot et du job de T2.
Publié le 06-12-2022 à 15h54
Il fait partie de ces amoureux du ballon qui pourraient vous parler de football durant des heures entières. “La prochaine fois, on prend un verre et on discute plus longuement”, nous glisse-t-il. Il, c’est Efrain Juarez, l’adjoint mexicain de Ronny Deila. L’homme se veut accessible, honnête, extrêmement jovial et partageur. Durant plus d’une heure, il nous a expliqué sa relation avec le coach norvégien, mais aussi ses principes et sa vision du football.
Son bilan de la première partie de saison
Sixième à cinq points du top 4 et qualifié pour les 8es de finale de la Coupe, le Standard est à créditer d’une bonne première moitié de championnat. Mais comme l’a très justement précisé Arnaud Bodart, les Liégeois n’ont pas d’interdit. Ils peuvent avoir des ambitions plus élevées. De son côté, le staff analyse froidement la situation.

”On est heureux mais pas satisfait. On ne sera jamais satisfait de nos performances, lance Efrain Juarez. On connaissait la situation du club et on savait que le challenge était risqué. On a apporté des nouveaux joueurs mais, pour 70 %, ce sont les mêmes que la saison dernière. Cela veut donc dire qu’ils ont été convaincus par ce qu’on leur a proposé. Tout le monde est toujours à 100 %, chaque jour. Mais encore une fois, on n’est pas satisfait. Si tu ne crois pas que tu peux devenir un jour champion de Belgique, alors tu n’évolueras jamais.”
“Si tu ne crois pas que tu peux être champion, tu n’avanceras jamais.”
Autrement dit, les Rouches ont faim de succès. “On en veut toujours plus. C’est notre mentalité. En football, il y a trois choses : ton rêve, ce pour quoi tu travailles et la réalité. Notre réalité, c’est que nous sommes une équipe qui se bat et qui doit encore progresser dans plein de domaines, notamment dans le secteur offensif. Si on y arrive, on pourra commencer à penser à nos rêves. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’avec pratiquement la même équipe, on se battait contre la relégation la saison dernière. On est sixième et on doit regarder la cinquième place, puis la quatrième. C’est un process, pas après pas. Pour le moment, on doit se poser la question : comment faire pour gagner une place au classement ? En étant meilleur offensivement. On se questionne énormément sur ça. Comme vous pouvez le voir, on essaie différentes choses durant ce stage à ce niveau (NdlR : comme le 4-3-3 aligné contre l’Olympiacos). On a eu pas mal de meetings ces derniers jours, incluant tout le staff et le directeur sportif. Que faisons-nous ? Continuons-nous de la sorte ou faisons-nous bouger les choses pour en avoir plus et peut-être changer certaines choses ? On veut se donner les moyens d’être plus performants.”
Un homme dévoué à son T1, dévoué au jeu
Le rendez-vous était fixé sur le coup de 18 heures après une grosse journée d’entraînement à Marbella. “Tout le monde est fatigué. Si les joueurs ne le sont pas, c’est qu’on a mal fait notre boulot, fait remarquer Efrain Juarez. Si vous me dérangez ? Pas le moins du monde. Parler de football, c’est une bénédiction.” Car l’homme de 34 ans sait parfaitement bien d’où il vient. Jamais il ne rechignera par rapport à un aspect de son métier. Et pour cause : ”Je suis un homme reconnaissant. Aujourd’hui, je suis assis avec vous, dans le lobby de ce bel hôtel de Marbella à parler de football. Mais j’aurais très bien pu me retrouver dans un car-wash mexicain à laver des voitures.”

Les proches du T2 des Rouches sont unanimes à son sujet : Efrain Juarez est un homme de partage. “Je fais ce que j’aime, c’est une chance inouïe. Je suis un privilégié et j’en ai conscience, chaque jour. Ce serait donc égoïste de ma part de ne pas partager mon expérience, tout ce que le football m’a donné. Cette passion, je veux la transmettre. Je sais comment les joueurs se sentent, ce qu’ils pensent, ce dont ils ont besoin, car j’ai été à leur place il n’y a pas si longtemps encore.”
Il a connu la gloire et la crainte de la relégation
Durant sa carrière de joueur, longue de plus de 12 ans, Efrain Juarez est passé par toutes les émotions. De la peur écrasante de la relégation avec le Real Saragosse à l’ivresse du titre avec le Celtic Glasgow ou encore le nirvana procuré par la participation à une Coupe du monde avec le Mexique en 2010. “J’ai tutoyé les sommets et connu l’enfer. J’ai joué une Coupe du monde avec le Mexique. Celle que tu joues étant gamin, dans la rue en positionnant des pierres sur le sol pour faire les buts. Et là, tu t’imagines au Mondial devenir le héros de ton pays. Au Mexique, on est 130 millions et j’ai eu la chance de faire partie des 11 qui ont pu représenter le pays. À l’inverse, j’ai connu la crainte de la relégation en Espagne. Ce sont deux mondes différents. Mais à l’arrivée, on veut la même chose dans les deux cas : être meilleur et gagner. C’est une richesse pour moi d’avoir pu vivre ces situations.”
“Dans ma carrière, j’ai tutoyé les sommets et connu l’enfer.”
De quoi être l’interlocuteur idéal en ce début de saison pour des Rouches encore touchés par la saison compliquée vécue quelques mois plus tôt. “Exactement. C’est le message que je veux délivrer aux joueurs : la défaite et le succès sont des frères et sœurs, ils vivent ensemble, ils vont de pair. Si tu veux être champion, comme c’était le cas au Celtic, tu dois être meilleur. Mais si tu veux éviter de descendre en seconde division, c’est pareil : tu dois t’améliorer pour gagner des matchs.”

Faire passer l’homme avant le footballeur
On a pu s’en apercevoir depuis son arrivée : Ronny Deila est un coach proche de ses joueurs, qui accorde énormément d’importance au bien-être dans un groupe, à la bonne humeur. “On doit tous avoir le sourire en venant au club tous les matins”, précisait-il l’été dernier. Une philosophie partagée par son fidèle adjoint. “Avant d’être un footballeur, un joueur est avant tout un humain. On a parfois tendance à l’oublier. On a tous des problèmes privés qui peuvent nous affecter et ainsi influencer nos performances. Donc, si tu ne traites pas les joueurs comme des êtres humains avant tout, tu n’as rien compris. Les joueurs doivent se sentir libres de parler, d’exprimer leurs craintes, leurs problèmes. Ils ne doivent pas être effrayés par les erreurs. Le management par la peur, cela n’apporte rien.”
Pourtant, en mettant un pied dans le vestiaire cet été, Efrain Juarez a trouvé un groupe de joueurs encore traumatisés. “Lorsqu’on est arrivé, on a vu un groupe qui, au lieu de tenter de s’améliorer et de corriger la situation, était plus effrayé par la punition qu’il allait recevoir. Pourquoi ? Je ne connais personne qui ne commet pas d’erreurs. Les joueurs doivent se sentir importants, avoir l'impression qu’ils font partie d’une famille. Je dis souvent qu’un joueur joue trois matchs : le premier, c’est celui qu’il imagine faire dans sa tête. Le deuxième, c’est celui qu’il joue et le troisième, le plus important à mes yeux, celui qu’on se repasse dans la tête quand on est sous la douche. À ce moment-là, si tu te dis : ‘j’aurais dû faire ça, agir comme ceci’, alors tu es dans le faux. Par contre, si tu te dis : ‘je suis mort, j’ai tout donné’. Là, tu peux aller dormir avec la conscience tranquille et penser au prochain match.”
“Le management par la peur n’apporte rien de bon.”
Son entente avec Ronny Deila
Depuis le début du stage, et c’est d’ailleurs souvent le cas, Ronny Deila délègue énormément au duo Juarez-Valenne. “Ronny est le leader, il planifie quasiment tout. On fait tous partie de son projet. Je le connais depuis plus de cinq ans, je sais exactement ce qu’il attend de moi. Ronny est au sommet de la pyramide et nous, on doit lui apporter notre soutien. Je sais parfaitement ce qu’il attend de chaque exercice. Ensuite, il délègue beaucoup. Ronny est un leader, il apprend énormément aux joueurs, mais pas uniquement”, assure le T2. Ce dernier explique avoir énormément appris aux côtés du Norvégien, plus qu’il ne l’aurait jamais imaginé.
”Ronny a changé ma vision du football. Je suis issu d’une famille où la planification n’avait pas sa tâche. On pensait au jour le jour. Par exemple, planifier des vacances était improbable, car on ne savait pas ce qu’on allait manger le soir même. Être un footballeur et un adjoint, ce sont deux mondes différents. Avoir eu une grande carrière de joueur ne fait pas automatiquement de toi un grand coach. Quand j’ai commencé à travailler avec Ronny, j’ai commencé à comprendre des choses que je ne remarquais même pas lorsque j’étais joueur. Préparer un meeting vidéo par exemple. Je n’avais aucune espèce d’idée de comment le faire. J’ai appris tant de choses et notamment à évoluer rapidement. En arrivant à New York City, un groupe énorme, je me suis dit : ‘tu dois être meilleur tous les jours car, du jour au lendemain, ils peuvent dénicher un meilleur adjoint que toi’. Savoir comment capter l’attention des joueurs, par des mots simples, pas de longues phrases. Tout ça, je l’ai appris via Ronny. Tout doit aller vite.”
“Ronny a changé ma vision du foot.”
Ne comptez pas sur notre homme pour faire de l’ombre au T1 des Liégeois. “Si tu veux entrer dans la lumière, alors tu n’as rien compris au métier et tu mets toute l’institution en péril”, assène-t-il. Avant d’embrasser cette nouvelle carrière, Juarez a pris ses renseignements. “J’ai appelé plusieurs coachs que j’ai eus. Je leur ai demandé ce qu’ils attendaient d’un adjoint. Tous m’ont répondu la même chose : ‘être proactif et soulager le T1 de certaines tâches’, car un coach a tellement de choses à penser qu’il peut se perdre. Son esprit doit être clair pour prendre les meilleures décisions.” Un homme dévoué…