Charleroi: Morioka, les secrets d’une force tranquille
Sagesse et rigueur définissent celui qui s’est érigé en métronome et vice-capitaine du Sporting Charleroi.
Publié le 28-01-2022 à 07h32
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L’anecdote nous a été racontée. Le 6 janvier dernier, comme pratiquement chaque année depuis qu’il est l’administrateur délégué du club, Mehdi Bayat fête son anniversaire lors du stage hivernal du Sporting. Et comme chaque année, après le repas du soir, il partage un gâteau avec son staff et ses joueurs dans une ambiance décontractée. Sauf que, cette fois, à Belek (Turquie), le dessert tardait un peu à être servi. Pas du goût de Ryota Morioka qui avait justement un rendez-vous avec la diététicienne du club dans la foulée. Le Japonais, réglé comme une montre suisse, craignait ce léger contretemps – dont beaucoup d’autres joueurs ne se seraient pas souciés. Il serait discrètement venu trouver le staff et aurait glissé, en substance, que si le gâteau n’arrivait pas rapidement, il ne pourrait pas rester, sous peine d’être en retard à sa "consultation". L’heure, c’est l’heure. Tant pis pour le délice pâtissier.
Cet épisode dresse les contours de la personnalité de Ryota Morioka. Minutieux, professionnel, discret et perfectionniste. À Charleroi, il est souvent le premier arrivé et à passer par la salle de musculation pour le pré-échauffement. Et toujours à l’heure aux repas.
Vice-capitaine
Une personnalité qui, si elle n’a pas véritablement changé depuis son arrivée à Charleroi en 2019, s’est ouverte. Le "Ryo" des premiers mois n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui. "Il occupe une place importante sur le terrain mais aussi en dehors, affirme Edward Still. Il est unique, c’est certain. Chaque personnalité a un impact différent sur un groupe. Ryo, au fur et à mesure des semaines, s’est ouvert de plus en plus."
Au point que l’entraîneur carolo, après le départ de Dorian Dessoleil et la nomination de Marco Ilaimaharitra comme capitaine, a désigné le Japonais vice-capitaine. "Cela lui a donné plus de responsabilités. Et il les a tout de suite assumées en prenant plus de place dans la vie du groupe, à sa manière. C’est quelqu’un qui est très respecté et apprécié. Cela ne se sait probablement pas en dehors de l’équipe mais il a un super sens de l’humour, très fin." Loïc Bessilé, son voisin de vestiaire, pourrait en témoigner.
Pour voir Ryota Morioka s’énerver, il faut se lever tôt. "Cela m’arrive parfois. Presque jamais, mais parfois, nous avouait-il lors d’une précédente interview. Quand je crie ou que je m’énerve un peu, c’est sur le terrain, en match ou à l’entraînement, mais jamais dans le vestiaire." Une force tranquille.
Edward Still confirme : "Ryo fait le lien entre les joueurs et le staff sur le terrain. Il ose parfois faire des remarques pertinentes que d’autres joueurs n’oseraient pas faire. Cela donne de la vie au groupe." Le groupe et les règles. Voilà bien deux notions cruciales aux yeux de Ryota Morioka.
Une autre anecdote. Elle se passe à l’aéroport de Charleroi, début janvier 2020. Les Zèbres embarquent pour leur stage hivernal à El Saler (Espagne). Alors qu’ils ont droit à un couloir privé pour passer les contrôles de sécurité, Ryota Morioka et le tout aussi discret Stergos Marinos – son ancien compagnon de chambre – se trompent de file et s’avancent dans celle destinée au grand public. Agglutinés dans la queue, on leur fait remarquer leur erreur et la possibilité de court-circuiter l’attente en rejoignant le reste de l’équipe. Morioka ne bronche pas. Zen, il assume et refuse poliment la proposition de voyageurs tout heureux de lui céder le passage. Il attendra patiemment son tour là où d’autres joueurs, écouteurs vissés aux oreilles, auraient sauté sur l’occasion pour faire valoir leur "statut". Ou rouscailler.
Épanoui à Charleroi
Après son éclosion à Waasland-Beveren lors de la saison 2017-2018, son échec à Anderlecht l’a peiné. Mais Morioka a ensuite trouvé à Charleroi un environnement propice à son épanouissement. Et à celui de sa petite famille – il a deux enfants – établie dans le Brabant wallon. À 30 ans, et avec un contrat récemment prolongé jusqu’en 2024, a-t-il tiré un train sur son rêve de découvrir la Liga? On l’ignore.
En attendant, sa légitimité n’est plus à prouver chez les Zèbres, que ce soit comme médian défensif ou plus haut dans l’entrejeu. "Il doit être l’un des meilleurs joueurs de notre équipe, assure Edward Still. Il a récemment connu un passage plus délicat, pour différentes raisons qu’il n’arrivait pas à cerner. Il a perdu de la puissance physique mais, depuis le match de Gand, on a revu le Ryo qu’on attend tous. Je le sens prêt à remontrer qu’il peut être décisif dans les deux rectangles."
Avec 4 buts et 8 passes décisives – déjà – cette saison, il présente ses meilleures statistiques depuis qu’il est à Charleroi.
Mieux, d’après la plate-forme Wyscout, ses pourcentages d’actions réussies (64,6 %) et de précision dans les passes (84 %) n’ont jamais été aussi élevés au Sporting. Selon les chiffres de la Pro League, il est aussi le Carolo qui gagne le plus de duels aériens et qui réussit le plus grand nombre de tacles. Par contre, en moyenne, il cadre moins de tirs et récupère moins de ballons que les saisons précédentes.
Perfectionniste
Sa condition physique et les soins qu’il apporte à son corps ne sont pas étrangers à la régularité de ses prestations. Il est appliqué dès l’échauffement, ne carotte pas. À Belek, on l’a vu rentrer en courant du terrain à l’hôtel, en guise de décrassage, alors que ses équipiers bavardaient en marchant. Morioka accorde aussi une grande importance à sa sieste quotidienne.
Et à l’analyse du jeu. " On ne peut pas toujours faire exactement ce qu’on veut sur le terrain, parce qu’il y a un adversaire. Mais j’essaie toujours d’analyser mes matchs, nous disait-il y a quelques mois. De voir ce que j’aurais dû faire à tel moment. Telle course, tel choix… Comment je peux essayer de contrôler le match plus facilement."
Il est probablement l’un des joueurs les plus intelligents du championnat, celui qui sent le jeu et voit les choses plus vite. "Si on encaisse, ce n’est pas juste à cause d’un fait. Cela dépend de plusieurs choses. Et j’essaie de remonter jusqu’à la source initiale de l’action. Le but étant, quand cela se reproduira, d’identifier et de résoudre le problème le plus tôt possible, par une faute ou un meilleur placement." Et ça, ce n’est pas anecdotique.