Commission, tranches, factoring, clearing house: les transferts pour les nuls
Comment clubs, joueur et agent s’arrangent-ils pour finaliser un transfert et quelles obligations administratives doivent-ils remplir?
Publié le 27-01-2022 à 07h00
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En cette période de transferts, nombreux sont les “deals” qui se concluent. Une fois qu’un club a jeté son dévolu sur un joueur, il reste encore beaucoup de travail pour finaliser la transaction et contenter les trois parties, voire les quatre, si l’on compte le ou les agent(s) en plus. Il y a, aussi, de plus en plus de travail administratif à remplir pour passer les différents sas de contrôle. Explications.
1Le paiement entre clubs : tranches, bonus et factoring
Un club A qui vend un joueur 4 millions à un club B reçoit-il un virement de 4 millions en provenance de l’acheteur dans les jours qui suivent la transaction? C’est de plus en plus rare, ce serait trop simple. La majeure partie des transferts d’un certain montant voient leur paiement être échelonné sur plusieurs mois, par tranches. Certains clubs paient en deux fois, sur un an. D’autres étirent les virements sur quatre à cinq ans, suivant les montants et les ressources du club acheteur. Et si le joueur est reparti dans l’intervalle? On continue à payer pour un joueur que l’on ne possède plus, mais que, idéalement, on a réussi à revendre plus cher.
Ne pas avoir les moyens n’est pas toujours un obstacle. Il “suffit” de se tourner vers une banque ou un autre organe prêteur. “C’était assez rare il y a dix ans, mais c’est de plus en plus fréquent maintenant. Et cela montre que le foot est malade”, nous explique cet ancien dirigeant de club de D1. L’opération a été utilisée pour ce joueur de D1A transféré en Italie récemment : le club belge, vendeur, souhaitait toucher les 5 millions€ négociés le plus rapidement possible et non pas sur deux ans, comme le voulait le club italien. Ce dernier a donc trouvé un accord avec une société qui lui a avancé deux fois 2,5 millions, à la signature et dix mois plus tard. À charge pour le club transalpin de lui rembourser cette avance. Avec un taux d’intérêt, évidemment.
Tendance plus récente, encore : faire de l’affacturage. C’est le club vendeur qui s’arrange avec un organe financier pour réaliser du “factoring”, comme on dit en finance, pour disposer directement de l’ensemble ou d’une grande partie du montant de transfert dû, sans devoir attendre le paiement des tranches. “C’est un crédit, mais sous forme d’avance sur un revenu qui est certain d’arriver plus tard”, poursuit notre ex-dirigeant. “Seul problème : le club doit laisser un pourcentage, environ 5 %, à la société prêteuse et touche donc moins.”
À charge de la société prêteuse de gérer les créances et récupérer les sommes dues.
Le montant d’un transfert peut encore évoluer plus tard, puisque presque tous les contrats entre clubs contiennent des clauses, comme un pourcentage dû lors de l’éventuelle revente de joueur, un pourcentage sur la plus-value, avec ou sans plafond en valeur absolue ou, encore, une prime de performance généralement liée au classement (qualification européenne, titre, maintien, etc.), voire aux performances du joueur.
2Rémunérer l’agent : pas de limite réglementaire
Qui paie l’agent? Un gros désaccord traverse le foot belge, à ce sujet, en ce moment. Depuis le Footgate, certaines règles ont changé. La fédération souhaitait que ce soit le joueur qui paie son agent, ce qui paraît logique, puisqu’il travaille pour lui et pas pour le club. Mais, dans les faits, les clubs payaient directement les agents… parfois même sans que le joueur ne sache combien exactement, d’où certaines dérives et des dossiers ouverts en justice par des Diables comme De Bruyne ou Meunier contre leurs ex-représentants.
En Belgique, cela a changé depuis le 1er juillet. C’est désormais le joueur qui doit payer la commission de son représentant, que ce soit pour un transfert ou pour la signature d’un nouveau contrat. “Plus exactement, la facture est émise au nom du joueur par l’agent, mais envoyée au club, qui la fait suivre à la Clearing house pour accord. Une fois que celui-ci est obtenu, le club règle alors la facture à l’agent. C’est considéré comme un avantage en nature pour le joueur, qui doit donc payer des impôts sur ce paiement”, nous explique cet agent bruxellois.
Par ailleurs, un agent de joueur ne touche pas un montant sur l’indemnité de transfert, mais sur le salaire, uniquement. En théorie, du moins. “Avant, certains négociaient un montant supplémentaire avec le club de façon relativement ouverte. C’est désormais interdit.”
La commission d’un agent sur un salaire moyen est de 10-12 000€ par an. Il est temps d’avoir plusieurs joueurs.
Et contrôlé par la Clearing house. Le règlement prévoit que “la rémunération […] est calculée sur base du revenu total brut à percevoir par le joueur sur la durée du contrat et payé en tranches.” Mais aucun montant ni pourcentage n’est fixé. “C’est une négociation”, poursuit notre interlocuteur. “La tape, c’est entre 7 et 10 %.” Un pourcentage calculé sur le salaire brut annuel reçu par le joueur. “En D1 belge, le salaire moyen avoisine les 200 000,00€ bruts par an. Cela fait donc environ 14 000-20 000,00€ brut de commission pour l’agent. Il reste donc à peu près 10-12 000,00€ nets par joueur. Vous avez intérêt à en avoir quelques-uns, vu les frais du métier…”
Tout le monde ne peut se prétendre agent, même si l’examen qui existait au début des années 2000 a été rayé par la FIFA. Il est interdit d’être représenté par un agent qui n’est pas enregistré auprès de l’Union belge; de rémunérer un parent de mineur qui n’est pas reconnu comme agent et, surtout, de voir “un même intermédiaire exercer une transaction à la fois pour le joueur et pour le club, ou pour le club sortant et le nouveau club du joueur”, précise le règlement belge.
Les clubs peuvent mandater un agent pour rechercher un joueur, mais “ils doivent le rémunérer en lui versant une somme convenue au plus tard avant la conclusion de la transaction.” Une somme “forfaitaire ou proportionnelle au montant de la transaction”. Mais cela ne peut donc être pour l’agent du joueur.
Fini de toucher à différents postes, comme c’était parfois le cas avant. Du moins, en théorie. Aucun système ne permettra à des dirigeants et des agents véreux de se glisser des enveloppes remplies de billets, ni des montres, avec ou sans boîte, même si c’est moins discret.
Le montant négocié n’est pas versé en une fois. Le règlement et l’usage prévoient un payement par tranches. “En général, tous les six mois…. Comme ça, si le joueur part en janvier, l’agent ne touche pas le montant de la deuxième moitié de la saison à la fois dans l’ancien et dans le nouveau club du joueur”, explique notre agent. Dans la pratique, certains agents faisaient autrefois inscrire l’obligation de payer l’intégralité de leur commission par le club. Si le joueur avait signé un contrat de trois ans et partait après un an seulement ailleurs, le bénéfice était assez stupéfiant pour celui qui cumulait les commissions.
3Clearing house: les commissions en question
Depuis décembre 2019, de nouvelles règles permettent de contrôler ce qui est versé aux agents. “Tous les paiements en faveur d’un intermédiaire doivent obligatoirement transiter par la Clearing House et indiquer à quelle transaction ils se rapportent” endéans les dix jours, explique le règlement. Cela passe par une plateforme digitale et coûte 500€ aux agents et 5 000,00€ aux clubs, par saison.
“Ce système a fait partie de la réforme du règlement sur les intermédiaires lancée après le footgate et géré par le panel d’experts, à savoir Pierre François, Melchior Wathelet et Wouter Lambrechts”, explique Stijn Van Bever, porte-parole de la Pro League. “L’idée était de créer un système où chaque transfert doit répondre à des critères précis. Un transfert de joueur, et, donc, d’argent, ne peut se faire sans contrôle.”
La FIFA travaille d’ailleurs à la création d’une chambre de compensation similaire au niveau international, dans le même but : réguler les commissions. Et, éventuellement, l’interdiction de dépasser un certain montant, ce qui n’existe actuellement pas dans les règlements.
C’est seulement après avoir reçu un paiement sur son compte et vérifié que tout est conforme que le “clearing department” transfère l’argent sur le compte de l’intermédiaire. Les paiements ne peuvent se faire que sur un compte bancaire européen.
J’ai déjà dû attendre 2 ans pour être payé par un club belge.
“Cette Clearing house est une bonne chose pour les agents propres, qui sont en règle, qui respectent les lois. C’est plus embêtant pour les autres. Donc je vois plutôt ça d’un bon œil”, poursuit notre agent bruxellois. “C’est assez lourd administrativement et je ne suis pas sûr que ça évite les magouilles”, nuance cet autre. “Le gros avantage, c’est que cela oblige les clubs à payer ce qu’ils nous doivent puisque tout est enregistré. Il faut savoir que certains clubs paient avec des mois… voire des années de retard. Même en Belgique. J’ai eu une transaction où j’ai dû attendre deux ans avant d’être payé.”
4TMS: contrôle FIFA, même pour les amateurs
Il existe un autre système de contrôle, toujours en ligne, lancé par la FIFA en 2010 : le TMS (transfert matching system). Celui-ci ne vise pas à contrôler l’argent versé aux intermédiaires, mais à s’assurer que les deux clubs sont sur la même longueur d’onde sur les montants, ce qui n’est déjà pas simple en soi. “Il s’agit d’un programme qui permet de vérifier de nombreuses données dans le cadre de transferts internationaux uniquement”, nous explique-t-on au département compétition et affiliation de l’Union belge, où l’on vérifie toutes les transactions impliquant un club de notre royaume avec un cercle étranger, y compris pour un joueur amateur, depuis 2021. Autant dire que ce mois de janvier est chargé. “Dans le cadre d’un transfert de joueur pro, les clubs doivent rentrer toutes les données financières et de contrat qui concernent le joueur et la transaction. Cela doit ensuite être confirmé par l’autre club. Et seulement si c’est fait, alors la Fédération du club cédant charge le passeport du joueur et le certificat international de transfert (CIT) est émis. Ce système permet de s’assurer que les clubs sont d’accord sur les montants et, également, de payer les indemnités de formation et de solidarité.”
Beaucoup de paperasse au moment d’un transfert pour espérer moins d’ennuis et de petits arrangements plus tard.