Éric Gerets: "Le Standard me donnera du plaisir jusqu’à la fin de mes jours"
Éric Gerets porte un regard lucide sur son Standard, qu’il suit toujours de près, au stade ou chez lui.
Publié le 22-01-2022 à 06h32
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À Boorsem, dans le Limbourg, Éric Gerets a pris le temps, plus de dix ans, à rénover une fermette de fond en comble, pour en faire son magnifique domicile.
C’était un coup de cœur, il y a trente ans, alors que l’endroit était en ruines. Il en a fait, avec l’aide d’amis et des différents corps de métier, son havre de paix, où le calme règne. Le déplacement valait le coup d’œil, puisque c’est chez lui que Gerets nous a reçus, pour évoquer le Standard, son club, le Club Bruges, qu’il a entraîné, et d’autres thèmes.
La sœur de l’ancien Diable rouge est là, pour assurer l’accueil, servir la tasse de café et offrir un morceau de cake. Le Lion de Rekem, retiré des terrains, rugit moins fort, mais il a encore l’œil avisé.
Le Standard
Éric Gerets regarde tous les matchs du Standard, et fait toujours le déplacement à Sclessin. Dimanche passé, il a suivi le Clasico (1-1). Son analyse : "Le positif, ils n'ont pas abandonné. Le négatif, Anderlecht aurait dû gagner, car cela manque de jeu au Standard."
Le constat est lucide : "Il manque un patron derrière, au milieu et devant. Attention, ce n'est pas nécessairement un patron qui gueule, mais un gars au-dessus, qui va tirer les autres vers le haut, par sa qualité technique. Dans l'équipe actuelle, à part la mentalité qui est toujours impeccable, cela manque de classe pure. Le seul qui a ce petit truc en plus, c'est Amallah, mais il est à la CAN. Et avant ça, il a été perturbé par le Covid, les blessures et une suspension (à Louvain, pour abus de cartes jaunes)."
L'autre élément qui frappe Gerets est l'absence d'un buteur. "Comparez avec les autres équipes, et leurs meilleurs buteurs. Au Standard, c'est qui? (NDLR : Dragus, 4 buts). Et chez les autres?" Quinze équipes ont un meilleur buteur à cinq buts et plus, seuls le Beerschot et St-Trond sont dans les mêmes eaux que les Rouches.
Le retour de Renaud Emond pourra-t-il changer la donne? "C'est un finisseur, il ne va pas dribbler et multiplier les une-deux. Si on lui met des bons ballons, il va marquer. Mais il ne faut pas lui demander de revenir trop bas, comme il l'a fait contre Anderlecht. Il ne peut pas être derrière et devant en même temps…"
S'il est déçu par les résultats de son club, Éric Gerets assure qu'il n'en a pas marre. "Le Standard me donnera du plaisir jusqu'à la fin de mes jours."
Il préfère ne pas évoquer, en revanche, la situation extra-sportive. "Je n'ai pas tous les éléments et je préfère garder une certaine distance, pour laisser le président (Bruno Venanzi)et Alex(Grosjean, le directeur général)travailler sereinement."
La lutte pour le titre
Éric Gerets a mené le Club au titre, en 1998. Il a aussi été champion avec le Lierse, l'année précédente, et il voit une similitude entre l'équipe lierroise et l'Union. "Il y a à l'Union un entraîneur (Felice Mazzù) qui est un très bon people manager, et cela fait gagner des points."
La comparaison s'arrête là, "car on n'était pas dans la même situation que l'Union, avec le Lierse. On a été longtemps deuxièmes(NDLR: le Lierse a pris la première place lors de la 29e journée, l'a perdue lors de la 32e pour la reprendre ensuite). Et il n'y avait pas de play-off…"
Mais Gerets sera attentif aux prochaines semaines. "L'Union va jouer contre les concurrents (Genk, Club Bruges, Anderlecht et Antwerp, dans cet ordre); ce sera un très bon test. S'ils perdent deux ou trois matchs, cela peut se compliquer. Parler de doute serait excessif, mais le rôle de l'entraîneur sera important, pour garder le côté positif." Son pronostic : "Bruges est favori, mais j'espère me tromper pour l'Union."
Au sujet du Club, Gerets glisse, malicieux : "Je leur tire un grand coup de chapeau pour la gestion, mais je ne vais pas trop leur lancer de fleurs avant le match contre le Standard, hein."
Plus sérieux, il estime que le remplacement de Philippe Clement, par Alfred Schreuder, est un très bon choix. "Je connais un peu Alfred, de son époque de joueur. J'étais en fin de carrière au PSV et lui commençait la sienne (NDLR : Schreuder a été formé au PSV puis est parti à Feyenoord). Il peut faire du bon boulot à Bruges. Pour Philippe Clement, c'était le bon moment pour partir. Un entraîneur doit rester entre deux et quatre saisons, puis changer d'air."
Avec Charles De Ketelaere, Bruges possède aussi le golden-boy de la Pro League. "Il a toutes les qualités, un énorme talent, mais il est aussi sobre, et calme." Gerets conseille toutefois au Diable rouge de ne pas partir cet été. "Il doit rester, pour assumer encore plus de responsabilités, prendre le poids de l'équipe sur ses épaules." Et gagner le Soulier d'or? "Il aurait pu l'emporter, mais Onuachu est un beau vainqueur."
Les Diables rouges et le foot belge
"L'évolution des Diables, c'est un peu comme le Covid. Il y a eu une progression, un pic, mais désormais ça stagne", lance Éric Gerets, sceptique, au sujet de l'équipe nationale lancée dans la course à la Coupe du monde au Qatar. "Ce sera juste", craint-il.
Roberto Martinez a souvent été confronté aux critiques ces derniers mois, mais Gerets n'embraie pas : "Je le connais un peu car je le croise parfois au Standard (NDLR: le fils de Gerets, qui travaille pour Lieven Maeschalck, fait aussi partie du staff médical de l'équipe nationale), et je peux dire que c'est un vrai gentleman. Mais je ne connais pas assez la préparation, les réunions, les entraînements, pour faire une analyse tactique précise."
Du football belge, plus globalement, il regrette les départs des jeunes joueurs, trop tôt, et est partagé quand il parle de la Beneleague. "Pour les matchs du top, cela peut être intéressant. Financièrement, certains clubs belges pourraient s'y retrouver. Mais qui va se passionner pour NEC – Charleroi?"
Ses souvenirs
Au fil d’une carrière de quarante-cinq ans, comme joueur puis entraîneur, Éric Gerets a amassé les souvenirs et les distinctions. En novembre, il a été mis à l’honneur, comme d’autres Diables rouges, avant le match contre l’Estonie. Il a apprécié l’attention, mais n’a pas conservé la médaille qui lui a été offerte.
"Je n'ai gardé que deux trophées, chez moi. Le Soulier d'or (remporté en 1982) et une réplique de la petite Coupe des champions (gagnée avec le PSV en 1988). Les autres médailles, trophées ou distinctions, je les ai distribuées à des gens à qui cela pouvait faire plaisir."
Quand il rembobine le film de sa carrière de joueur, il retient deux noms marquants : Romario et Ruud Gullit. "Romario est arrivé au PSV en 1988, dans la foulée de sa finale olympique perdue avec le Brésil (contre l'URSS, 2-1). Je n'ai jamais vu un joueur aussi rapide sur les premiers mètres. Il avait la vitesse, la technique en mouvement. Il était impressionnant. J'étais le capitaine à l'époque, et j'ai parfois dû éteindre quelques incendies(sourire). Romario ne buvait pas, mais il aimait les petites sorties. Cela provoquait quelques tensions avec des équipiers, peut-être un peu de jalousie, aussi. J'ai dû intervenir quelques fois pour calmer tout le monde."
Au sujet de Gullit, également équipier de Gerets au PSV, l'ancien arrière droit lâche : "Quelle classe! Je l'ai vu jouer avant-centre et il a fini meilleur homme du match; je l'ai vu jouer au milieu et il a fini meilleur homme du match; je l'ai vu défenseur central, et il a fini meilleur homme du match. Il n'y avait pas de discussion, il était le meilleur."
Comme entraîneur, Éric Gerets a connu des beaux moments partout il est passé, mais "le Lierse gardera une place à part, jusqu’à la fin". Humainement, Marseille restera, dit-il joliment, "un petit bijou dans mon cœur". Il y avait, dans le Sud de la France, la même ambiance qu’au Standard, "en plus grand".
Au sujet du club liégeois, le Lion de Rekem, interrogé sur un éventuel regret, glisse : "Je peux aborder la question de deux manières différentes : soit je me dis que c'est un regret de ne pas avoir entraîné le Standard, alors que j'ai eu deux fois la possibilité – la première fois j'ai refusé parce que ma situation privée n'était pas bonne. La deuxième fois, j'ai refusé parce que j'étais encore sous contrat, et je voulais l'honorer – soit je me dis que je peux être content avec ce que j'ai fait. Mon regret, c'est de ne pas avoir entraîné le Standard, mais avec le recul, et en raison de mon état physique, je préfère relativiser, et ne pas être nostalgique."
Son quotidien
Victime d’une hémorragie cérébrale en 2013, Éric Gerets est fortement diminué dans ses mouvements. Mais si le pas est plus lent, et l’élocution moins rapide, il demeure un combattant aux idées claires.
Il reste en action autant qu'il le peut. "Avec mon ami, qui habite à quelques centaines de mètres de chez moi, on a notre petit rituel. Il vient le matin, pour lire sonBelang van Limburg et moi le Laatste Nieuws. Il vient ensuite l'après-midi pour faire du sport avec moi."
Un kiné vient également deux fois par semaine pour aider Gerets dans sa mobilité. Un de ses plaisirs reste d'aller à Sclessin. "C'est émotionnellement parfois difficile, avoue-t-il. Et, physiquement, ce n'est pas toujours simple de monter et descendre les escaliers. Mais cela me fait du bien d'aller voir les matchs. Je suis d'ailleurs déçu par l'attitude de certains supporters qui vont empêcher les autres d'aller au stade (NDLR : le Standard a été condamné à disputer deux matchs à huis clos)."
S'il reste attentif au football, Gerets ne s'y accroche pas pour autant. "Si je dois choisir entre un bon film et un match, je peux choisir le film, c'est vraiment 50-50. Dernièrement, j'ai revu pour la cinquième fois Une bouteille à la mer (avec Kevin Costner). C'est beau."
S'il accepte de parler de sa santé, Éric Gerets prévient toutefois : "Je ne veux pas qu'on s'apitoie sur moi. Je vis encore, et je peux être content de ce que j'ai, car il y a des gens qui sont dans une situation moins bonne que la mienne, physiquement."
L'ancien joueur occupe aussi son esprit en jouant au scrabble, avec son fils, Chris. "On joue en ligne, mais pour le moment je n'ai que 32 % de victoires. Je reste un gagneur, donc je veux remonter le déficit, sourit-il. Gagner contre mon fils au scrabble, c'est comme gagner une Coupe d'Europe, parce qu'il est vraiment fort."