Mogi Bayat vit déjà dans l’après-Footgate
Depuis Londres où il réside avec sa famille depuis 2020, l’agent continue à faire tourner sa boutique, à Gand et Charleroi entre autres. Et il s’adapte pour que le verdict du procès ne l’empêche pas de poursuivre son business.
Publié le 21-01-2022 à 06h40
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Le réquisitoire du Parquet fédéral dans le dossier du Footgate n’épargne pas Mogi Bayat (47 ans). Il sera l’un des acteurs principaux du procès espéré pour 2023, probablement dans un tribunal anversois. Dans le clan du manager le plus célèbre de Belgique, on est conscient que Mogi aura du mal à échapper à une condamnation. La fin de son lucratif business? "Cela m’étonnerait, il est toujours très présent actuellement et le restera encore. Le mal est profond", répond un agent de joueurs.
Un ancien salarié d’un club où Bayat a beaucoup travaillé ajoute : "Il a toujours eu un coup d’avance sur tout le monde et ça ne va pas changer."
Cette partie d’échecs, Mogi la joue depuis Londres. En 2020, lui et sa famille ont quitté leur luxueuse villa de Lasne, rénovée à grands frais en 2017, pour la capitale anglaise. "L’endroit était chargé de souvenirs trop douloureux depuis la violente perquisition de 2018, précise un proche. En plus, Nathalie, l’épouse de Mogi, avait envie d’une scolarité de haut niveau pour ses enfants. Ce n’était pas possible en Belgique."
Si vous voulez croiser Mogi Bayat à Londres, vous aurez plus de chance en vous rendant tout au nord de la capitale, à St. Albans dans le Hertfordshire. C’est là où se trouve le centre d’entraînement du Watford FC. L’agent y est chez lui. "Il y est tellement souvent qu’on a l’impression qu’il y possède un bureau. C’était la même chose à Anderlecht époque Van Holsbeeck. On pourrait croire qu’il est le directeur sportif du club", raconte un proche d’un joueur de Premier League.
Version atténuée par Watford : "Il n’est pas employé du club mais c’est un agent qu’on utilise régulièrement et que le propriétaire Gino Pozzo apprécie", nous précise-t-on, sans vouloir s’appesantir sur le sujet.
Christian Kabasele, le défenseur belge de Watford, croise quand même régulièrement celui qui a été son agent lors du transfert d’Eupen à Genk en 2014. "Mogi est souvent au centre d’entraînement. Après, ce n’est pas surprenant non plus vu qu’il habite Londres. Quand il vivait en Belgique, on le croisait dans les bureaux des clubs belges. J’ai arrêté de travailler avec lui parce que je n’avais plus la même vision sur certaines choses mais on garde une relation cordiale. On bavarde quand on se croise. Il est toujours le même. Il faut dire que le Footgate en Belgique n’est jamais évoqué dans la presse anglaise, ni même dans le vestiaire de Watford malgré l’importance de Mogi."
Il a piqué un jeune talent de Gand à un autre agent fin 2021
Watford, 17e en Premier League, est aujourd’hui le club au sommet du réseau de Bayat. Un réseau qui ressemble à un circuit entre Udinese, Reims, Kasimpasa, le Standard, Charleroi, Gand, Courtrai, Eupen, Nantes et Toulouse. L’attaquant ivoirien Vakoun Bayo est un bel exemple, lui qui vient de passer de Toulouse à Gand puis à Charleroi en l’espace de 17 mois seulement. Depuis le mercato d’été 2019, quand l’agent d’origine iranienne s’est remis en selle après sa sortie de prison, on a compté 33 mouvements entre ces 11 clubs, en prenant soin d’enlever les 11 prêts ou transferts entre Udinese et Watford puisque les deux clubs appartiennent à la même personne. Mogi est quasiment à chaque fois impliqué dans le deal. "On lui a confié les clefs du recrutement dans la majorité de ces clubs, explique un agent. Et c’est devenu très difficile de placer un garçon sans lui là-bas." Ou de ne pas se le faire piquer comme ce manager qui, il y a quelques semaines, a reçu la lettre de résiliation d’un de ses joueurs, jeune talent de La Gantoise, le mois précédant la signature de son contrat pro. Une signature avec quel agent? Bayat bien sûr.
Mogi reste très présent sur le marché belge. Parfois de manière indirecte, comme ce fut encore le cas mercredi lors du prêt de Lucas Ribeiro Costa de Charleroi à Waasland-Beveren où c’est son bras droit Karim Mejjati qui a réglé le dossier en compagnie de trois autres agents. Depuis Londres, il peut diriger son réseau sans trop de problèmes, malgré la crise sanitaire qui l’empêche de traverser la Manche aussi souvent facilement qu’il le voudrait. Il a plusieurs hommes de confiance qui sillonnent la Belgique, même si l’une de ses collaborations les plus anciennes, avec Anthony Feuillade, s’est arrêtée au début de l’année dernière. "Cette armée bien rodée pourrait l’aider à continuer à bosser en sous-marin s’il venait à être empêché d’exercer le métier de manager par la justice", anticipe déjà un agent.
S’il reste le maître absolu à Gand, l’arrivée de Gilles Dewaele au Standard la semaine dernière prouve qu’il est possible de faire un deal sans Mogi en bord de Meuse. L’agent Peter Verplancke a tout réglé sans lui. "Pas un coup de fil, pas un message, rien. Je pensais quand même croiser Mogi puisque Dewaele et Emondpassaient leurs tests médicaux en même temps mais il n’était pas présent. Je sais pourtant qu’il était en Belgique à cette période."
D’autres managers restent persuadés que Mogi a le même pouvoir à Sclessin qu’à Gand. "C’est lui qui a mis Elsner au Standard et Elsner avait envie d’avoir Dewaele. Il s’est donc juste effacé sur le coup", nous dit l’un d’eux.
Ce qui est certain, c’est que la boîte de Mogi Bayat, Creative&Management Group, se porte très bien. Elle a même réussi à obtenir ses plus beaux résultats financiers depuis qu’il est sorti de prison. "Contrairement à Veljkovic qui est carbonisé dans le milieu, Mogi continue tranquillement à bosser", peste un agent. Comme vous l’aurez remarqué, la majorité des témoignages recueillis sont anonymes. Ce qui prouve deux choses : Bayat inspire toujours la crainte et personne ne l’imagine fini malgré le futur procès. Il est donc plus pratique de ne pas se le mettre à dos.
Même s’il réside à Londres et qu’il est plus souvent aux matchs de Watford et de Nantes qu’en Pro League, Mogi reste important en Belgique. La présomption d’innocence, à laquelle il a droit, semble être un argument plus pratique que déontologique pour justifier son omniprésence. "Parce que le problème ne vient pas des agents mais des dirigeants, sourit un agent. Si les 18 directeurs sportifs de D1A affirmaient ne plus vouloir franchir la ligne rouge, les agents ne pourraient plus rien faire. L’impulsion pour changer les choses ne peut venir que des clubs."
Parmi les joueurs historiquement clients de Bayat, beaucoup lui sont restés fidèles. L’arrivée de Guillaume Gillet à Waasland-Beveren s’est réglée via Nico Vaesen, Evert Maeschaelk et Daniel Striani mais c’est bien Mogi qui reste le représentant du médian liégeois. Bayat se concentre juste sur les deals qui vont lui rapporter le plus, ce qui n’est plus cas de Gillet, à 37 ans. "Pourquoi est-ce que je devrais le quitter?", s’interroge le défenseur mouscronnois Jérémy Taravel, un autre de ses clients. "Mon transfert de Lokeren à Zagreb est l’un des mouvements suspects selon la justice mais je n’ai rien à voir là-dedans. Avec moi, Mogi a toujours été réglo. C’est grâce à lui que j’ai pu jouer en Ligue des champions. Et c’est encore grâce à lui que j’ai pu trouver une solution quand ma famille a voulu quitter la Croatie. Il est efficace et à l’écoute. Je ne suis pas le seul à le penser vu son énorme activité sur le marché belge. On se téléphone encore régulièrement et Mogi n’a pas changé malgré les ennuis avec la justice."
Il y a quand même quelque chose qui n’est plus pareil entre le Mogi avant et après-Footgate : sa communication. Depuis sa sortie de la prison de Louvain le 27 novembre 2018 après 48 jours de détention, il a disparu de la place publique. Plus d’interview fracassante et plus de tweet pour casser ses détracteurs. Même plus de messages moqueurs aux journalistes. "Beaucoup de personnes lui ont conseillé d’être plus discret et il s’y tient", explique l’un de ses joueurs. À deux exceptions près quand même.
Il récolte 100 000€ en une demi-journée, notamment grâce à Hazard
En avril 2020, son compte Twitter endormi depuis plusieurs mois se réveille subitement. Mogi Bayat lance l’opération "Les Souliers du cœur" pour aider les plus démunis face à la crise sanitaire. "Il s’est offert une publicité positive, se souvient l’un des participants au projet. Il s’est juste immiscé dans un projet naissant et l’a accéléré à sa façon. En une demi-journée, il a récolté 100 000€. Il avait contacté une cinquantaine de personnes qui acceptaient de mettre de 1000 à 2000€, notamment Eden Hazard et Roberto Martinez. Pendant la première semaine, il était omniprésent. Beaucoup de gens en ont parlé. Puis il a vite disparu. L’opération a duré trois mois avec plus de 70 actions mais on ne l’a plus vu. Ce qui ne l’a pas empêché de tourner ça à son avantage."
Deux mois plus tard, Mogi retombe dans ses travers impulsifs. Quand il entend qu'on parle de son rôle au FC Nantes dans l'After Foot sur RMC, le plus grand talk-show sur le ballon rond en France, il prend son téléphone et appelle le standard de l'émission. Avec beaucoup d'assurance et un peu d'arrogance, il essaie de se défendre. Mais sans réellement convaincre. Il n'a aussi pas pu s'empêcher d'envoyer quelques messages privés aux journalistes suiveurs de Nantes. Notamment une menace ("Vous allez apprendre à me connaître").
Son amitié avec les Kita, propriétaires des Canaris, est si forte que les émotions peuvent encore parfois le déborder. Il est pourtant dans une situation délicate là-bas : adoré par les boss mais détesté par l’entraîneur, Antoine Kombouaré. "Le coach ne veut pas entendre parler de Mogi et ne veut même pas regarder les joueurs qu’il propose, précise un suiveur du FC Nantes. Ils ne s’adressent pas la parole. Mogi n’utilise d’ailleurs plus son pass pour aller dans les vestiaires après les matchs. Il faut dire que Kombouare peut faire peur (rires). Comme il est tout-puissant avec son bilan actuel, il n’y a pas de problème. Mais sa position sera plus vite fragilisée quand les résultats seront moins bons. Mogi ne fera rien pour l’aider en tant que directeur sportif officieux du club."
"Directeur sportif officieux": l’expression est revenue plusieurs fois chez nos interlocuteurs. Ce n’est peut-être pas un hasard. Beaucoup l’imaginent un jour abandonner son métier d’agent pour travailler dans un club. "Je le vois bien directeur sportif mais je crois qu’il pourrait carrément devenir CEO d’un des clubs de son réseau. Et le pire, c’est qu’il serait probablement très bon", conclut un agent. Les pistes de rebonds post-Footgate sont nombreuses et laissent penser que Mogi Bayat, condamné ou non, restera encore longtemps dans le milieu du ballon rond.