Interview: le papa Mazzù raconte son Felice
Un succès de plus au palmarès de Felice Mazzù. Après une année difficile, son père Pasquale est très fier. Nous les avons réunis.
Publié le 13-01-2022 à 06h31
Rencontrer Pasquale Mazzù est une réelle immersion en Italie. Le soleil est à peine levé quand son fils, Felice Mazzù, nous ouvre la porte de la maison familiale située à quelques centaines de mètres du stade du Sporting Charleroi.
À l'intérieur, où le patriarche vit seul depuis le décès de sa femme il y a quelques mois, l'odeur de café se mélange avec celle de la sauce tomate cuisinée à l'huile d'olive. "Je l'ai faite hier pour manger des tagliatelles ce midi."
Dans la cuisine, Pasquale s'assied à sa place habituelle, à droite de celle où Felice a passé toute son enfance. L'accueil est chaleureux et la grappa, cet alcool italien, n'est jamais bien loin, peu importe l'heure de la journée. "On peut bien boire un petit coup, non?", lance-t-il, avec son accent italien chantant, au milieu de l'interview.
L'homme de 88 ans, "89 dans trois mois", est un père loquace et surtout fier de la réussite de son fils dont des photos dans le costume d'entraîneur de Charleroi et de l'Union trônent au milieu du salon.
"Ne dis pas trop de bêtises, hein, papa", lance Felice, qui jouera par moments le rôle de traducteur français-italien. " On peut y aller, de toute façon je ne dis jamais de bêtises", se marre Pasquale.
Quand est-ce que Felice a été attiré par le football?
Pasquale Mazzù :«Au début, il aimait surtout le cyclisme et le coureur italien Felice Gimondi. Un jour, il a voulu un vélo de course mais à cette époque, je ne gagnais que 22 francs de l’heure. Ma femme et moi avons fait des économies pour lui acheter son vélo… puis il a voulu passer au football. Il était tout le temps dehors avec son ballon de foot, pas très loin de la maison.»
Felice Mazzù :«Il y a une vingtaine d’années, les terrains d’entraînement du Sporting Charleroi étaient à 500 mètres d’ici, au Stade Jonet. C’est là-bas que je passais la plupart de mon temps.»
P.M. :«Il voulait jouer au football mais il fallait de l’argent pour cela et encore faire des économies. Je me rappelle qu’un jour, il est rentré fâché du football. En dialecte wallon, je lui ai demandé : “Fiston qu’est-ce qu’il se passe?” Il m’a dit qu’il avait joué contre un adversaire qui devait être tenu par deux ou trois adversaires tellement il était fort. C’était Enzo Scifo.»
Quel était son caractère à cette époque?
P.M. :«C’était un bon garçon et c’est toujours le cas. Maintenant, il a beaucoup évolué et est même devenu le premier coach de Belgique (sourire). Cela me rend très fier. Toute la famille Mazzù est fière de la réussite de Felice. Surtout que ce n’est pas facile de devenir ce qu’il est devenu, connaissant notre histoire. Je vais vous expliquer d’où je viens.»
F.M. :«Attends qu’on te poste les questions, papa (sourire).»
Allez-y, expliquez-nous!
P.M. :«Mon village d’origine est Scido, en Calabre. Je suis arrivé en Belgique à l’âge de 18 ans, le 15 novembre 1951, un jour où il faisait noir… Directement, on m’a dit : “Soit tu vas à la mine, soit tu retournes en Italie.” J’ai commencé à travailler puis je me suis marié avec ma femme, 61 ans de mariage! Même s’il ne faut pas oublier que de nombreux mineurs sont morts dans les mines, la Belgique est un beau petit pays qui a donné du travail à beaucoup d’étrangers. À l’époque, j’aimais le football mais pas comme maintenant. Désormais, mon fils travaille dans ce milieu donc je m’y intéresse plus. Quand il entraînait à Charleroi, je m’asseyais même en tribune juste derrière son banc.»
Est-il le même le long du terrain et dans la vie de tous les jours?
P.M. :«Quand le match ne tourne pas en sa faveur, il peut parfois s’énerver. Dans la vie de tous les jours, il ne s’énerve pas souvent, même s’il ne faut pas non plus lui marcher sur les pieds. C’est un chic garçon et je ne le dis pas parce qu’il est assis à côté de moi.»
Vous vous rendez compte qu’il est l’entraîneur de l’actuel meilleur club de Belgique?
P.M. :«(sourire) Ah oui, je m’en rends compte. J’y pense tous les jours. Cela me donne beaucoup de plaisir et c’est beaucoup d’honneur pour toute la famille Mazzù. Nous sommes très fiers de lui, il a bien travaillé.»
Vous l’avez accompagné à la remise du Trophée Raymond Goethals. Comment avez-vous vécu ce moment?
P.M. : «Je vais être honnête, j’ai pris une cuite ce jour-là (rires). Quand je mange, il me faut du vin. Et ce jour-là, c’était du très bon vin. J’ai rencontré pas mal de personnes connues comme Eddy Merckx ou Rodrigo Beenkens. Il y avait aussi Éric Gerets, l’ancien joueur du Standard.»
F.M. :«Et ton histoire avec la joueuse de tennis, Sabine Appelmans, tu ne la racontes pas?»
P.M. :«(rires) Cette dame était à côté de nous à table et a salué Felice. À ce moment, j’ai dit : “Et moi Madame, vous ne me saluez pas?” On dit bonjour à Felice car c’est un champion… mais elle m’a quand même salué! Dans la vie, il faut travailler et c’est ce qu’il a fait. Malgré son succès actuel, il n’a pas changé. Il est toujours très proche de sa famille. Il vient me voir souvent et me donne un coup de fil tous les jours. Ici à Charleroi, on me parle encore souvent de lui. Le dimanche, il y a un grand marché en ville et quand j’y vais, on me dit souvent : “Monsieur Mazzù, il faut qu’il revienne ici! »
Comment vivez-vous la grande médiatisation qu’il y a autour de l’Union et de Felice?
P.M. :«Je trouve que c’est mérité. Il a commencé avec ce club en deuxième division. Cela faisait 48 ans que l’Union n’avait plus joué en D1 et arrive alors ce gamin-là : mon fils. En D1, il est en tête du classement… Il y a dix-huit équipes et ils sont premiers, vous imaginez, c’est magnifique! Il reste combien de matchs désormais? Dix?»
F.M. :«Il en reste treize jusqu’à la fin de la phase classique.»
P.M. :«Treize, oulalah! Alors c’est encore trop tôt pour pouvoir dire si l’Union peut être championne. Mais j’espère que mon fils va être champion, c’est quelque chose de possible. Si l’Union y arrive, ce ne sera pas seulement grâce à lui, ce sera grâce à toute l’équipe qui fait un travail magnifique depuis le début de saison. Je suis tous les matchs à la télévision.»
F.M. :«Et quand on joue à domicile, il vient au stade avec mon beau-frère.»
P.M. :«Samedi, à 18h30, je serai assis devant ma télévision (NDLR : l’Union se déplace à Seraing). Peu importe l’heure, je regarde les rencontres. Quand ils jouent à 13h30, je me fais quelque chose à manger et je me mets devant la télé. Je suis assez calme durant les matchs mais quand l’équipe perd, mon cœur s’emballe un peu… Heureusement, cela n’a pas trop été le cas depuis le début de la saison.»
Quel est le joueur de l’Union que vous appréciez le plus?
P.M. :«J’aime beaucoup le numéro 13 (NDLR : Dante Vanzeir). Lors du dernier match, contre la Gantoise, il a touché le poteau en début de rencontre. Si c’était goal, je pense que l’Union aurait gagné la rencontre. Mais un match nul contre Gand, ce n’est déjà pas si mal…»
Comment avez-vous vécu son passage compliqué à Genk?
P.M. :«Quand il est arrivé là-bas, l’équipe venait de vendre trois joueurs importants (NDLR : Trossard, Malinovskyi et Aidoo). Je trouve qu’il n’a pas reçu assez de temps que pour se faire une place. Genk est une équipe qui doit enchaîner les victoires rapidement et il fallait être performant très vite. Quand l’équipe perd deux ou trois matchs d’affilée, on dit au coach : “Au revoir! Il a parfois été critiqué et cela m’a fait de la peine. Pour moi, Felice n’est pas responsable. Quand tu es nouveau quelque part, il faut te laisser un peu de temps.»
Comment qualifieriez-vous la relation que vous avez avec votre fils?
P.M. :«Nous sommes très proches. Pour moi, la relation père-fils est très importante. Il y a des conflits dans certaines familles mais chez les Mazzù, tout se passe bien. Quand il vient me voir, nous parlons de football, mais aussi d’autres choses.»
F.M. :«Je l’aide à faire ses papiers ou ses paiements. Quand maman était encore là, je venais aussi souvent manger.»
P.M. :«Sa maman aimait bien le regarder à la télévision. Avant que Felice n’entraîne Charleroi, elle ne s’intéressait pas au football. Mais quand son fils a commencé à entraîner au plus haut niveau, elle restait accrochée à la télévision tout le temps (sourire). Je ressens beaucoup le soutien de Felice ces dernières semaines (NDLR : la femme de Pasquale Mazzù est décédée en août dernier). Malgré son emploi du temps surchargé, il trouve le temps de venir me voir. Il est comme cela (il lève son pouce en l’air). Il a une famille et une maison mais il sait que j’ai deux chambres de libre à l’étage (rires). Felice est aussi un peu le patron de la maison.»
Quel est votre plus grand souhait pour la suite de sa carrière?
P.M. :«Il pourrait devenir comme le monsieur qui fumait des cigarettes, Raymond Goethals! Ou comme l’entraîneur anglais qui mâchait toujours son chewing-gum, je ne sais plus comment il s’appelle (NDLR : Alex Ferguson). Et qu’il aille en Italie pour entraîner la Juventus de Turin, ce serait magnifique. J’ai envie qu’il arrive le plus loin possible dans sa carrière d’entraîneur. Quand on emprunte une route, il faut aller tout droit sans prendre de détours. Bien compris? (sourire).»