ANALYSE | Charleroi, un mal mental?
Les Zèbres ont changé de visage depuis que l’Europe leur a filé entre les doigts. Ont-ils vraiment tourné la page? Éléments de réponse avec Manuel Dupuis, psychologue du sport et coach mental.
- Publié le 23-11-2020 à 16h03
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/O5SSDXVOWJAWVHD46YH3J7MWGM.jpg)
Il y a un avant et un après Coupe d’Europe dans le parcours carolo actuel en championnat.
Quelques chiffres appuient le constat: avant que l’Europe n’entre dans les têtes, durant la deuxième partie du mois de septembre, les Zèbres ont réalisé un sans-faute historique avec six victoires consécutives pour entamer la saison.
«À ce moment-là, le discours du staff était le bon: rester les pieds sur terre, prendre match après match», commente Manuel Dupuis, psychologue du sport, coach et préparateur mental. Un leitmotiv convenu dans le football mais pas désuet. Ni innocent. «Pour être efficace, ce discours doit être incarné par l'entraîneur et le staff. Empêcher le trop-plein de confiance permet d'éviter la déconcentration, et je pense que cela a été bien mis en pratique à Charleroi.»
Il faut vivre et accepter la frustration pour la digérer
Sauf qu’en septembre, les préliminaires européens ont commencé à occuper les esprits. Avec l’influx nerveux que cela a suscité. Après l’élimination face au Lech Poznan (2-1, le 1er octobre), le bilan carolo en championnat est mystérieusement retombé à 4 points sur 15. Et même à 5 sur 18 si l’on tient compte du partage à Mouscron entre les deux échéances européennes. Plus l’échec est grand, plus il met du temps à être surmonté.

«L'impact psychologique et émotionnel influence grandement le physique, confirme Manuel Dupuis, qui connaît bien le Sporting. Mentalement, après une déception, il faut pouvoir accepter l'émotion suscitée et la ressentir. C'est humain de vouloir évacuer la frustration rapidement, de l'isoler, voire de la rejeter. Mais pour la digérer, avant de retrouver un état d'esprit neutre et de se projeter vers un nouvel objectif, il faut la vivre, l'accepter, l'analyser, mettre des mots. On appelle ça le zapping.»
Les joueurs ont-ils zappé complètement et définitivement cette lourde déception? Ressurgit-elle parfois? Peut-elle expliquer (en partie) leurs difficultés actuelles?
Le contenu s’est dégradé
Parallèlement aux chiffres, le contenu des matchs s’est dégradé. C’était à nouveau le cas, dimanche contre Gand (0-1). Charleroi a égaré son efficacité dans les deux rectangles.
Si le Sporting se basait jusque-là sur une solidité défensive à toute épreuve pour construire ses victoires, il est interpellant de constater que les erreurs se multiplient dans ce secteur: une approximation cruelle à Mouscron, une perte de balle coupable contre le Standard, un mauvais positionnement et une faute de main volontaire dans le rectangle à Malines, une bavure contre Gand… On est loin des quatre clean sheet en six matches du début de saison.
Manuel Dupuis: «Il faut enrayer les spirales négatives, que ce soit pour un attaquant qui ne marque plus ou pour un défenseur qui retient ses gestes. Chaque joueur réagit différemment, mais il existe des outils pour développer cette stratégie mentale. C'est un élément capital pour un sportif, même si, dans le milieu du football, le coach mental est souvent assimilé à une faiblesse. Et donc plutôt mal vu.»

L’imaginaire peut s’enflammer
Selon ce spécialiste, l'absence de public peut également jouer un rôle psychologique majeur. «Les plus introvertis sont moins déstabilisés, mais ceux qui ont besoin de sons et d'ambiance pour décupler leur motivation peuvent être impactés.»
Dans tous les cas, la réponse doit se trouver en équipe. «Il faut se recentrer sur ce qui a fonctionné, ce qui a fait la force du collectif, sur son potentiel et l'esprit d'équipe. Rester serein.» Avec les titulaires, mais également les remplaçants, pour éviter de les perdre en cours de route. «La communication est primordiale. Quand un joueur ne joue pas et ne reçoit pas d'explication, il fantasme. Son imaginaire s'enflamme. Pour garder la confiance, les feedbacks sont essentiels, et les non-dits prescrits. Mais à Charleroi, j'ai toujours entendu dire qu'il y avait du dialogue.»
Une bonne piste.