Jonathan Legear à cœur ouvert avant ses adieux : “Je n’ai pas de regrets, mais j’aurais quand même dû boire plus d’eau”
Avant de boucler sa carrière pro et de disputer son jubilé ce jeudi à Visé, Jonathan Legear (36 ans) se livre dans une interview sans tabous. Il parle de son parcours, parfois étonnant, de son hygiène de vie, de la Tchétchénie, de son accident dans une station-service et même de son salaire au Standard : 1800€ par mois.
Publié le 17-05-2023 à 07h57
Il aurait rêvé d’avoir David Beckham, “une idole de jeunesse”, mais le jubilé de Jonathan Legear ce samedi à Visé (16h, entrée gratuite) aura de l’allure quand même. Avec beaucoup d’anciens équipiers du Standard, de Saint-Trond et d’Anderlecht. À 36 ans, il a décidé d’arrêter le football professionnel pour se lancer à fond dans sa deuxième vie, celle d’entraîneur. Ce sera peut-être en restant à Visé comme T2 de José Riga, peut-être ailleurs. “Les choses doivent encore se finaliser, mais ce sera d’abord comme assistant. Je veux apprendre dans l’ombre d’un coach expérimenté avant de me lancer, nous explique-t-il dans un bureau du stade de la Cité de l’Oie. J’ai dû connaître 35 ou 40 entraîneurs dans ma carrière et je vais mixer tout ça pour en tirer le meilleur.”
Qui fut votre meilleur entraîneur ?
“Je vais demander un top 3 sans ordre précis. Franky Vercauteren, Yannick Ferrera, qui n’est pas estimé à sa juste valeur, et Marc Brys, très dur, mais très fort. J’ajoute José Riga. C’est un top 4 (sourire).”
Et le pire ?
“L’entraîneur quand je suis arrivé en Turquie, à Adana (NdlR : Yilmaz Vural). À la base, c’est un acteur qui s’est lancé comme coach. C’était un peu folklorique. Il savait quand même donner un entraînement, mais c’était atypique, on va dire (rires).”
Quelle carrière d’entraîneur vous fait rêver ?
“Je n’ai pas de plan, mais j’admire le début de carrière de Vincent Kompany. Il arrive à bien montrer ses principes de jeu. On sent sa vision du foot dans ses équipes. Anderlecht avait le plus beau foot de Belgique quand il était là.”
Contrairement à Kompany, on n’aurait pas pu imaginer dès le début de votre carrière de joueur que vous finiriez entraîneur.
“On n’a pas le même tempérament, c’est sûr. Gamin, j’étais plus foufou, j’aimais profiter de la vie. Mais j’ai vieilli, j’ai eu un enfant et je me suis calmé. J’ai toujours été un amoureux du foot. J’ai toujours regardé 8-9 matchs par week-end. J’analyse très bien le foot, je suis fait pour ça. À 16 ans, on imagine que certains deviendront ingénieurs et ils finissent mécaniciens. Ou l’inverse.”
À 16 ans, vous jouez votre premier match en D1, à Ostende.
“Oui, je monte 10 minutes et je marque, un petit piqué devant Dimitri Habran.”
"Quand j'étais à Anderlecht, je sortais deux fois par semaine, mais jamais à trois jours d'un match. Aujourd'hui, je ne mets plus un pied en boîte de nuit."
Si le Jonathan Legear d’aujourd’hui pouvait donner un conseil au Jonathan Legear de 16 ans après ses premières minutes pro en 2004, vous lui diriez quoi ?
“Je n’ai pas vraiment de regrets. Mais je lui dirais quand même de vivre un peu plus comme un pro, surtout au niveau de l’alimentation. Moins de restaurants et boire plus d’eau.”
Vous avez un jour déclaré que “l’eau, c’est pour les bateaux”.
“Oui (rires). Plus jeune, je n’en buvais jamais. Maintenant, j’ai compris que c’était la base d’un sportif. Mais je préférais le coca. Je me disais que j’étais performant quand même.”
Vous sortiez beaucoup aussi.
“Pas tant que ça. Enfin, deux fois par semaine quand j’étais à Anderlecht. Mais je n’abusais pas dans le sens où je n’étais jamais en boîte trois jours avant un match. Je sais que j’ai une mauvaise réputation, mais elle est exagérée. Aujourd’hui, je ne sors plus du tout. Ça fait bien six ou sept ans que je n’ai pas mis un pied dans une boîte de nuit. C’est pour les jeunes. À 20 ans, tu ne te sens jamais fatigué. Si je bois un verre aujourd’hui, il me faut quatre jours pour récupérer (rires).”
Votre réputation s’est aussi faite à cause des accidents, surtout cette station-service démolie à Tongres en 2012.
“C’est une erreur de jeunesse, mais il faut rappeler qu’il n’y a pas eu de mort et pas eu de blessé. Tout était réglé en deux-trois jours. J’ai payé mon amende. Des accidents, on en voit 100 par jour. Je ne suis pas le seul jeune à avoir fait quelques bêtises.”
Ça vous colle quand même à la peau.
“Les gens retiennent d’abord le négatif, c’est ainsi. On oublie vite tout ce que tu as fait de bien. C’est le revers de la médaille quand on est médiatisé. Personne ne peut dire quelque chose de mal sur moi dans ceux qui me connaissent.”
"Il y a vraiment des gens qui me croient bête?"
Les gens qui ne vous connaissent pas imaginent souvent que vous êtes bête. Ce n’est pas le cas quand on vous connaît. Comment expliquez-vous ce contraste ?
“Il y a vraiment des gens qui me croient bête ? On ne me l’a jamais dit en face en tout cas. Il faut aussi analyser ça en voyant ma carrière. J’ai joué à Anderlecht puis au Standard. Des supporters ont été blessés par ça et ils aiment encore me critiquer. Regardez Eden Hazard. Sur les réseaux sociaux, des gens disent que c’est un paresseux et un gros. Pareil pour Vincent Kompany quand il coachait Anderlecht. Il était critiqué, on disait qu’il était hautain et qu’il se prenait pour Guardiola. Je le connais bien et il n’a jamais été hautain. Ce n’est qu’une minorité de gens qui critiquent, mais une minorité visible malheureusement.”
N’avez-vous jamais souffert de cette image ? La dépression touche aussi les sportifs.
“Je ne m’en suis jamais soucié. Je ne suis jamais resté chez moi en déprimant. C’est une chance parce que la pression mentale peut être forte. Regardez ce qu’il arrive à Stromae. J’ai aussi eu la chance d’être bien entouré avec mes parents, qui ont fait beaucoup de sacrifices, et ma compagne Lorraine.”
Lorraine a parfois été fâchée sur vous ?
“Très souvent (rires). Je l’ai rencontrée quand j’avais 16 ans et elle a toujours été là, quand ça allait bien et quand ça n’allait pas. Sans elle, je pense que ma carrière n’aurait pas été aussi belle.”
Quelle cote donnez-vous à votre carrière de joueur ?
“Vu mon potentiel, je me donne un 6,5/10. J’aurais pu aller plus haut. Mais quand je regarde ma carrière globalement, je dirais un 7 ou même 7,5. J’ai toujours rebondi après mes blessures, j’ai été trois fois champion de Belgique, j’ai gagné la Coupe de Belgique et j’ai été un moment le meilleur joueur de l’Europa League… J’arrête aussi ma carrière sans avoir mal nulle part. À mon âge, certains doivent mettre des hanches en plastique.”
Et il y a aussi l’aspect financier.
“Est-ce que je suis à l’abri financièrement ? Je ne sais pas. Pas avec le même train de vie que quand j’étais joueur en tout cas.”
"Au début au Standard, j'avais 1 800€ par mois."
Vous regrettez votre transfert à Grozny en Tchétchénie ?
“Je regrette surtout de ne pas avoir signé au Dinamo Moscou un an plus tôt. On m’avait déconseillé d’y aller pour, au final, quand même me retrouver dans le championnat russe. J’aurais été dans une meilleure équipe et dans une meilleure ville. Je n’aurais pas dû écouter les gens. Ce que je regrette le plus, c’est le moment où j’ai quitté la Russie. J’avais 20 clubs sur moi, mais mon agent Christophe Henrotay m’a dit d’aller à l’Olympiakos qui ne voulait pas de moi. J’aurais pu signer au Standard ou à Genk. Même à Bruges via Mogi Bayat qui pouvait faire le deal. Et à la place, je suis resté un an et demi sans jouer au foot.”
Mais vous finissez quand même par aboutir au Standard après cette période compliquée.
“Oui, mais avec un salaire 100 fois plus petit. La proposition du Standard après Grozny en 2014 aurait fait de moi le troisième plus gros contrat du club. Quand j’ai fini par signer là-bas, une grosse année plus tard, c’était avec le plus petit salaire du vestiaire. J’avais 1 800€ par mois. À l’époque, je m’en foutais. Je voulais juste pouvoir montrer que j’avais encore le niveau. Et c’est ce que j’ai fait. On a gagné la Coupe de Belgique. J’aurais encore plus joué au Standard si Henrotay n’était pas venu dans la direction à un moment. Vu ce qu’il s’était passé, ce n’était pas une bonne chose pour moi.”
Vous en voulez à Christophe Henrotay ?
“C’est la vie. Tous les agents dans le foot profitent du système. Tant que ce n’est pas bien régulé, tout le monde essaie de gagner plus d’argent. Je ne me dis pas 'bien fait pour lui' en voyant ses problèmes judiciaires. Ce n’est pas un gangster non plus. Il s’est senti au-dessus des lois un moment et tu le paies toujours, tôt ou tard.”
