"On va violer ta copine", "tu vas mourir d’un cancer": quand les sportifs subissent le cyberharcèlement, qui gangrène de plus en plus le football
Entre les faux comptes sur les réseaux sociaux, les propos haineux et les insultes, le cyberharcèlement gangrène de plus en plus le monde du ballon rond. Victime de menaces après la victoire de l’Antwerp face à Genk, le cas d’Alderweireld est loin d’être isolé.
Publié le 08-05-2023 à 12h58
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Les sportifs n’échappent pas au fléau du cyber harcèlement. Après un match perdu ou une victoire face au rival, les messages de haine et d’insulte sont devenus monnaie courante sur les réseaux sociaux. Ces dernières années, les comptes des footballeurs se sont transformés en cibles privilégiées des “haters”, ces personnes malveillantes et souvent anonymes, qui déversent leurs frustrations.
Dernière victime en date, Toby Alderweireld, ancien défenseur des Diables, qui a reçu de nombreuses insultes sur les réseaux sociaux après la victoire de l’Antwerp face à Genk. Le joueur en a profité pour publier les menaces reçues par l’un d’entre eux. “Ta fille va disparaître cette semaine”, “tu ne peux pas gagner sans arbitre à tes côtés, espèce de gros cancéreux” ou encore “j’espère que ta famille mourra”, pouvait-on encore lire.
Après ce torrent de haine, l’ancien joueur de Tottenham a souhaité réagir. “Il y a des limites à tout. Je peux tolérer pas mal de choses, mais menacer ma famille, c’est vraiment exagéré. Je ne comprends pas pourquoi vous écrivez cela et ce que vous voulez obtenir avec cela”, a-t-il commenté.
“Le sport et plus particulièrement le football sont le réceptacle des plaisirs mais aussi des frustrations de beaucoup de gens, souligne Thierry Zintz, expert en pratiques sportives au sein de la Faculté des sciences de la motricité (UCLouvain). Et on se rend compte qu’il y a deux types de supporters, celui qui supporte son équipe, va au stade, suit ses joueurs préférés sur les réseaux sociaux sans animosité. Et à côté, il y a le supporter haineux pour qui le plus important n’est pas de soutenir son équipe mais plutôt de se défouler à la moindre occasion et tous les moyens sont alors bons pour détruire les autres, via notamment les réseaux sociaux”.
Le cyberharcèlement gangrène de plus en plus le monde du football
La Fifa a d’ailleurs fait de la lutte contre le cyberharcèlement dont sont trop souvent victimes les joueurs de football une priorité. Récemment, elle a dévoilé un plan de lutte contre les insultes sur les réseaux sociaux. Et les chiffres sont édifiants. Plus de 400.000 messages publiés sur les réseaux sociaux durant les demi-finales et la finale de deux compétitions internationales, l’Euro en 2021 et la Coupe d’Afrique en 2022, montrent que “plus de la moitié des joueurs ont reçu des insultes venant, pour une part importante, de leurs propres compatriotes”. Concrètement, les commentaires homophobes (40 %) et racistes (38 %) représentent la majorité des cas.
On risque de passer un jour du fantasme de la menace de mort à un acte réel"
“On l’a vu avec Lukaku récemment, les réseaux sociaux sont l’expression de toutes les frustrations et les haines chez certains, explique l’ancien vice-président du Comité olympique et interfédéral belge. Ils choisissent des boucs émissaires et n’hésitent pas à insulter les joueurs concernés via leurs différents comptes. Et le football, le sport le plus populaire, est par excellence celui qui réunit la plus grande variété de classes sociales. Il est plus logique qu’il rassemble un plus grand lot de frustrations que dans un autre sport. Même si dans les années 70, on peut se rappeler qu’Eddy Merckx recevait un coup de poing à la figure après une course car il dominait trop son sport, il avait aussi ses haters, certains avaient déjà le sentiment que tout leur était permis. Mais aujourd’hui, cela a pris d’autres proportions et les messages de haine sont devenus courants et le cyberharcèlement gangrène de plus en plus le monde du football et du sport en général”.
Mais parfois, les supporters vont plus loin que des remarques acerbes sur les réseaux sociaux et n’hésitent pas à se rendre devant le domicile du joueur pour faire passer leurs revendications. La semaine dernière, des centaines de supporters du Paris Saint-Germain se sont en effet rassemblées mercredi devant le siège du club, mais aussi devant le domicile de Neymar, dans les Yvelines, pour manifester leur mécontentement, des actions rapidement condamnées par le PSG. Selon plusieurs vidéos diffusées sur Twitter, plusieurs supporters vêtus de noirs se sont rassemblés devant le domicile de Neymar, blessé jusqu’à la fin de la saison, à Bougival dans les Yvelines, chantant “Neymar casse-toi”.
Les sportifs pas préparés à un tel flot de haine
Un phénomène qui met aussi en lumière le manque de formation des sportifs professionnels à l’égard du cyberharcèlement et plus largement de leur communication sur les réseaux sociaux.
“Avec ces nouveaux médias, il y a une réelle sociologie qui n’existait pas auparavant, indique celui qui a étudié toutes les pratiques sportives au sein de la Faculté des sciences de la motricité à l’UCLouvain. Avant, les comportements étaient exacerbés assez loin de ces sportifs mais aujourd’hui, tout est possible avec les réseaux sociaux et le cyber harcèlement. On peut avoir l’adresse du joueur, des infos personnelles, etc. On risque donc de passer un jour du fantasme de la menace de mort à un acte réel. Je crois que les footballeurs doivent aussi être davantage formés et prévenus pour ces risques mais à côté de ça, ils ont aussi une responsabilité. Neymar ne s’est par exemple jamais distingué par son sens de la délicatesse même s’il ne mérite pas ce qu’il subit. Ils ne mesurent pas toujours la portée de leur propos et ce que cela peut entraîner auprès des gens frustrés. Ils devraient dès lors être formés à deux niveaux, pour être celui qui ne doit pas mettre le feu aux poudres et pouvoir faire face à ce type de comportement”.
En ce sens, la confédération internationale et le syndicat des joueurs veulent proposer “un soutien pédagogique et des recommandations en matière de santé mentale à l’ensemble des joueurs et joueuses”. La Fifa et la Fifpro vont également proposer un service de modération, à utiliser en période de compétition, via un algorithme qui concerne aussi bien le football masculin que féminin et qui détectera automatiquement les termes haineux présents dans sa base de données et publiés sur des comptes identifiés, afin de rendre le message invisible pour le destinataire et ses abonnés”.
“Les réseaux sociaux ont un accélérateur de toutes ces frustrations et ce n’est pas propre qu’au sport de haut niveau, on a vraiment ce système à double tranchant où les stars veulent se mettre en avant dessus et de l’autre côté, ils sont accessibles à tous et pas qu’à leurs fans”, conclut Thierry Zintz.