Le football doit-il s’inspirer de la NBA et arrêter le chrono ?
La Coupe du monde au Qatar et son temps additionnel à rallonge ont laissé la porte ouverte à des modifications plus globales du temps de jeu.
Publié le 02-01-2023 à 08h04 - Mis à jour le 02-01-2023 à 08h05
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“On a donné l’ordre aux arbitres d’être plus attentifs au temps perdu. S’il y a une blessure, la célébration d’un but ou une intervention de la VAR, le temps devra être ajouté à la fin de la rencontre. Il ne sera pas anormal de voir des rencontres avec huit, neuf ou dix minutes d’arrêts de jeu.” Pierluigi Collina a ainsi ouvert la porte à la Coupe du monde la plus longue de l’histoire.
La planète foot a ouvert grand les yeux dès la deuxième journée du tournoi qatari lorsque les règles annoncées par le président de la Commission des arbitres de la Fifa ont débouché sur un Angleterre-Iran rallongé de 27 minutes et 4 secondes.
Des matchs de 55 minutes
Et malgré tout, le ballon n’a roulé, selon Opta, que pendant 55 grosses minutes sur la pelouse du stade Khalifa International. Un match dure 90 minutes, mais on joue en moyenne moins d’une heure. Au Qatar, malgré plus de 13 minutes d’arrêts de jeu en moyenne, le temps de jeu effectif dépassait à peine les 57 minutes.
Sortons les calculatrices pour constater que les 22 acteurs ont perdu, lors du Mondial 2022, 46 minutes par rencontre. La Coupe du monde ne fait pas exception à la règle. Le temps de jeu effectif d’un match en club (championnats et coupes d’Europe mélangés) est de moins de 55 minutes.
"Les gens paient pour 90 minutes de football. Si un match en dure 50, il y a des choses à revoir."
“Nous ne voulons pas de matchs où le ballon est en jeu pendant 45 minutes”, a lancé Collina avant le mondial. Et Gianni Infantino, président de la Fifa, d’ajouter : “Si on demande aux spectateurs de payer des billets pour regarder 90 minutes de football, et qu’un match dure 50 minutes, il y a quelque chose qu’il faut revoir. ”
Ne pas fustiger la VAR ou les changements
La première interrogation qui vient à l’esprit est : mais où disparaissent ces minutes ? Toujours selon Opta, ce sont les rentrées en touche et les coups de pied de but qui causent les principales pertes de temps. L’éternel calcul d'“un changement équivaut à 30 secondes d’arrêts de jeu” est donc faux vu que les remplacements empiètent en moyenne de moins trois minutes sur le jeu.
Et la VAR dans tout cela ? Si on retient souvent les interventions à rallonge pour des décisions parfois compliquées à prendre, les échanges entre l’arbitre et ses assistants vidéo ne durent qu’une bonne minute par match.
"Pas à la hauteur de sa mission", "des décisions extrêmement précises": l'arbitrage de la finale divise la planète footballLa Belgique prête à s’adapter
À l’heure actuelle, des modifications sont en cours d’étude. “Le choix de rallonger le temps additionnel à la Coupe du monde n’est pas anodin, lance un membre de la fédération. C’était un premier test grandeur nature. Chaque année, l’Ifab (The International Football Association Board, NdlR) fait évoluer ses règles et il ne serait pas étonnant que les arbitres aient pour consignes de laisser plus de temps de jeu à la fin de chaque mi-temps pour compenser les moments creux.”
Le changement ne s’opérera pas avant l’exercice 2023-2024. L’instance dépositaire des règles du jeu a toutefois ouvert certaines portes lors de son assemblée générale annuelle, précisant dans un communiqué envoyé aux fédérations en fin de saison qu’elle étudiait “un calcul potentiellement plus précis du temps de jeu”.
Laurent Colemonts, ancien arbitre et désormais match delegate pour la fédération belge, acquiesce : “Cela ne me choque pas qu’on joue plus de temps. Sur le fond, c’est une bonne solution. Mais comment faire pour gérer ça de la meilleure des manières ? La Coupe du monde a tenté le coup, mais sans que l’impact soit énorme sur le temps de jeu effectif. Et je trouve même que les arrêts de jeu à rallonge du premier tour (les onze plus longs étant en phase de poule, NdlR) ont laissé progressivement place à un retour à la norme. La Belgique pourrait suivre, mais avec des règles claires.”

Et si on passait au temps de jeu effectif
La solution ci-dessous ne semble pas pouvoir corriger tous les défauts du système actuel. C’est pour cette raison qu’Arsène Wenger, chef du développement du football mondial à la Fifa, plaide pour un passage au temps de jeu effectif.
Une méthode inspirée d’autres sports et notamment le basket où il est impossible de perdre du temps vu l’arrêt du chronomètre à chaque interruption. Un virage à 180 degrés qui a du bon, mais aussi des défauts.
"Le temps de jeu effectif est le plus juste au niveau de l'éthique sport."
”Au niveau de l’éthique sportive, il est difficile de faire mieux, affirme Colemonts. Il n’y aurait plus toutes ces pertes de temps. Dans certains matchs, ça ne joue parfois plus au football. Mais si les instances veulent jouer tous les arrêts de jeu, il faudra prendre une décision dans ce sens.”
L’ancien arbitre prévient par contre qu’il sera impossible de maintenir des rencontres de 90 minutes. Arsène Wenger portait l’idée de deux mi-temps de 30 minutes. Les U21 du Club Bruges ont effectué un test en ce sens en juillet 2021 lors d’un tournoi aux Pays-Bas. Rik De Mil, coach de l’équipe à l’époque, avait apprécié l’expérience. “Cela a donné de la vitesse au jeu, les joueurs n’essayaient pas de gagner du temps. Cette règle peut rendre le temps de jeu plus attractif.” Il avait même calculé le temps total qu’avait duré la première mi-temps : 43 minutes.
Quelques voix se sont élevées au sein du football professionnel. À commencer par Jan Vertonghen. Le Diable rouge a tweeté que le “football doit changer pour se mettre au temps de jeu effectif au plus vite. Les équipes qui tirent profit du fait de simuler et de pleurer retirent toute la joie des fans qui veulent regarder un bon match de football et pas une pièce de théâtre.”
Xavi a également réalisé l’une ou l’autre sortie. “Avec le temps de jeu effectif, il n’y aurait plus de simulations, plus de perte de temps. On en finirait avec le 'nous avons perdu 4, 3, 6, 10, 12 minutes'.”
Football (@FIFAcom) really really needs to change to effective playing time ASAP!! The teams taking advantage of constantly diving and crying taking all the joy away from the fans who want to watch a good football game and not a theatre play!!!
— Jan Vertonghen (@JanVertonghen) April 21, 2022
Vers une solution intermédiaire proche du hockey ?
La révolution ne se fera pas en un jour. L’exemple de l’introduction de la VAR est le meilleur exemple. Il a fallu convaincre du monde, passer par des phases de test dans certains tournois.
Laurent Colemonts lance une idée. “Commencer par couper le chrono lors des interventions de la VAR, par exemple.” Il s’agirait d’un premier pas largement inspiré d’un autre sport que notre spécialiste des hommes en noir connaît bien : le hockey. Colemonts est le patron de l’arbitrage à la fédération belge de hockey.
Nos Red Lions évoluent avec un système hybride lors de leurs tournois à l’étranger. Les strokes (penaltys), penalty-corners et les interventions de la VAR forcent l’arrêt du temps de jeu. Par contre, le chrono se poursuit lors d’une faute dans le jeu ou une sortie de la balle. “Mais il existe encore beaucoup de différences entre les ligues, explique Colemonts. La D1 néerlandaise arrête le chrono pour la VAR, mais pas en D1 belge. Et on sait qu’implanter cela dans les niveaux inférieurs sera compliqué.”
Un exemple transposable au football. La D1 pourrait facilement, avec quelques ajustements, s’adapter à un nouveau système. Uniformiser le système à tous les niveaux du sport semble nettement plus complexe.

Un énorme impact sur les diffuseurs télé
L’impact d’un changement de manière d’appréhender le temps de jeu des matchs se fait aussi sur les télévisions. La RTBF l’a compris lors du fameux match Angleterre-Iran et ses 27 minutes d’arrêts de jeu lors de la dernière Coupe du monde.
Cela avait surpris Benjamin Deceuninck et ses chroniqueurs. “La Fifa avait prévenu de l’ajout de minutes à la fin des mi-temps, mais on ne se doutait pas que ce serait aussi marqué”, explique le présentateur.
Son émission était articulée comme suit entre les rencontres : un débriefing, un magazine et une préface de la rencontre suivante. “On a toujours réussi à s’adapter, mais on devait couper pas mal de choses prévues. On a parfois perdu près d’un tiers de notre émission.”
Coupe du monde : voici comment les analystes de la RTBF réalisent leurs palettesDes habitudes ont finalement été prises, mais il a fallu jongler avec le scénario du match. “Plus que les décisions de l’arbitre, ce sont les joueurs qui influençaient le plus notre travail. Et le paradoxe était que les matchs les moins spectaculaires duraient le moins longtemps… Par contre, les variations de durées de match étaient assez énormes. L’idéal pour nous serait un canevas aussi précis que possible afin de nous adapter plus facilement. Puis on a repris en Pro League (il commente des matchs pour Eleven ; NdlR) pour revenir à des arrêts de jeu comme avant. C’est dommage de ne pas avoir des consignes plus globales.”
Lors du passage du basketteur Maxime De Zeeuw sur son plateau, Deceuninck a parlé au joueur des Belgian Lions de l’impact que pourrait avoir l’arrêt du chrono sur le football. “Clairement, c’est la solution la plus éthique et celle qui éviterait d’avoir des fins de match coupées à l’extrême par des équipes qui veulent à tout prix casser le rythme du jeu. Par contre, cela sera encore plus compliqué à gérer pour nous.”