Hernan Losada analyse l’Argentine : “Contrairement à Roberto Martinez, Lionel Scaloni n’a pas eu peur du changement dans cette Coupe du monde”
L’ancien médian d’Anderlecht et ex-entraîneur du Beerschot salue le travail du sélectionneur argentin et croit son équipe capable de résister aux qualités des Néerlandais en quart de finale.
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Publié le 09-12-2022 à 08h49
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Revenu en Argentine, chez lui, à Buenos Aires, pour la fin d’année, Hernan Losada (40) est un spectateur attentif de ce Mondial et particulièrement de son Albicelste. L’ex-médian d’Anderlecht et de Charleroi, notamment, devenu entraîneur (Beerschot, DC United) s’est posé avec nous, par écran interposé, pour revenir sur cette première partie de tournoi et évoquer le quart de finale contre les Pays-Bas.
Hernan, comment analysez-vous le tournoi de votre équipe jusqu’ici ?
”L’Argentine joue comme je l’attendais. J’ai vu tous ses matchs de Copa America et de qualifications pour ce Mondial. Elle a construit un style que l’on retrouve ici : une bonne organisation avec une défense en place, une équipe qui aime garder le ballon en faisant des passes latérales… puis qui accélère pour créer une occasion. Et qui dépend beaucoup de Messi. Et puis on découvre de nouveaux joueurs que l’on n’attendait pas forcément mais qui ont intégré le onze : Enzo Fernandez et Julian Alvarez.”

Ces deux jeunes vous impressionnent ?
”Oui. Alvarez est à Manchester City depuis six mois seulement. On s’attend à ce qu’un Sud-Américain ait besoin d’un temps d’adaptation, mais pas dans son cas. Emiliano Martinez est très important dans les buts, aussi : il montre du caractère et de la confiance en lui. Par ailleurs, Thiago Almada, jeune joueur de MLS (Atlanta) peut être un facteur X. S’il faut revenir au score, il peut monter et provoquer en un-contre-un. Idem pour un Dybala, qui n’a pas encore reçu une seule minute.”
Notre Messi-dépendance m'inquiète plus que la défense.
Votre défense passera un gros test contre les Pays-Bas, non ?
”Ce sera le premier gros test pour toute l’équipe. Scaloni pourrait aligner une défense de cinq, en remettant Lisandro Martinez (Manchester United) aux côtés de Romero (Tottenham) et Otamendi (Benfica). Cela donnerait plus de liberté aux latéraux et compenserait le manque de vitesse, qui n’est pas importante quand vous avez une bonne organisation et une bonne couverture entre joueurs. En fait, notre difficulté à marquer et notre dépendance à un Messi en forme m’inquiètent plus. Que se passera-t-il la fois où il ne sera pas dans un bon jour ou sera marqué de très près ? A-t-on d’autres joueurs, comme la France, l’Angleterre ou le Brésil, pour faire la différence ? Parmi les candidats suprêmes au titre, il y a quatre ou cinq “game changers”. Je ne pense pas que nous les ayons. L’Argentine est plus une équipe qui repose sur le collectif. Voilà pourquoi 90 % de ses résultats sont des 1-0, 2-1 ou 2-0. Vous ne la verrez jamais gagner comme le Brésil sur la Corée. Car une fois qu’elle prend l’avance, elle préfère fermer le match.”
Est-ce un regret ?
”Non, c’est le plan de jeu. C’est un outil pour gagner des matchs. C’est comme ça que l’Argentine a remporté la Copa America après plus de 20 ans sans trophée.”
Il faut un bon gardien, un buteur et une bonne défense pour gagner un Mondial. Et on a ces 3 éléments.
Mais quel était votre sentiment après la défaite initiale contre l’Arabie saoudite ?
”C’était un choc pour tout le monde vu la série de 36 matchs sans défaite. Si l’Arabie saoudite rejoue cette rencontre dix fois, elle la perdra neuf fois, mais sa tactique a fonctionné. Autant que cela arrive au premier match. C’était un signal d’alarme pour le sélectionneur. Scaloni n’a plus aligné ceux qui n’étaient pas à 100 %. Et grâce à ce match, Fernandez et Alvarez ont pu gagner leur place, amener du sang frais. Les adversaires qui ont suivi n’étaient pas les plus gros qui soient, ce qui a permis de reprendre de la confiance et être, je l’espère, prêt à affronter une équipe comme les Pays-Bas ou le Brésil. Pour avoir une chance de gagner un Mondial, il vous faut un bon gardien, un bon buteur et une défense solide. On a ces trois éléments. Par rapport à 2018, il y a une grande unité et une synergie dans ce noyau. Tout le contraire du Mondial russe. On voit que les remplaçants soutiennent l’équipe à 100 %.”
Sentez-vous Lionel Messi plus impliqué que jamais ?
”On a vu qu’il a préparé très sérieusement le début de saison en pensant à ce Mondial, qui devrait être son dernier. C’est l’ultime trophée qu’il n’a pas remporté. Scaloni a précisé qu’il ne sera remplacé que s’il le demande. On sait que Messi choisit ses moments pour faire un effort. C’est, avec Lewandowski, un des deux joueurs qui a marché le plus durant ce Mondial, mais ce n’est pas un problème, c’est ça façon de sauver de l’énergie pour d’autres moments.”
Comment Messi a évolué pour redevenir central.Savoir que ce sera probablement le dernier tournoi, voire les derniers matchs en sélection de Messi ajoute-t-il de la tension, en Argentine ?
”Absolument. Cela explique en partie pourquoi il y a tant de supporters argentins au Qatar. Ils savent tous que c’est la dernière Coupe du monde de Messi : ‘Dépensons toutes nos économies, vendons notre voiture s’il le faut, pour aller le voir jouer’.”

Son départ sera une révolution pour l’Albiceleste.
”Tôt ou tard ce jour viendra. Espérons qu’on trouvera un jour quelqu’un de similaire (rires). Ce ne sera pas facile. Mais après Maradona, personne ne s’attendait à retrouver un joueur de ce niveau. Espérons qu’il termine son histoire en sélection avec un trophée : ce serait la cerise sur le gâteau.”
Mais on sent que vous ne placez pas l’Argentine parmi les tout grands favoris, c’est juste ?
”Pour être honnête, je vois le Brésil et la France un ou deux crans au-dessus. Mais quand vous avez Messi dans votre équipe et autant de supporters qui vous donnent l’impression de jouer à domicile, ce sont des éléments qui jouent un rôle. Dans un match à élimination directe, l’Argentine a ses chances. Les Pays-Bas, c’est un gros adversaire, avec un van Gaal invaincu en onze rencontres de Coupe du monde, mais du niveau de l’Argentine, pas du niveau de la France ou du Brésil. Je m’attends à un match très serré, qui se jouera sur des détails, aux prolongations ou aux tirs au but comme la dernière fois qu’ils se sont affrontés, en demi-finale 2014 (0-0, 4-2 t.a.b.).”
Quelle sera la clé tactique, d’après vous ?
”Les Oranje ont laissé le ballon aux États-Unis et ont marqué deux buts en contre-attaque. Il ne s’agit pas d’une équipe dominante comme à l’époque de Cruyff, ni d’un 4-3-3 comme on en a connu avant avec des ailiers collés à la ligne. On est plus sur un 3-4-3 ou 3-5-2 qui joue de façon très verticale en contre. Ce sera tactique, avec deux équipes qui aiment profiter des erreurs de l’autre et essayeront d’aller dans la verticalité dès qu’elles le pourront.”
J’aimerais que le prochain sélectionneur des Diables soit belge.
Qu’est-ce qui explique que Lionel Scaloni ait mené votre équipe à de si bons résultats ?

”Il était dans le staff de Sampaoli en 2018 et a vu ce qui n’a pas fonctionné. Il savait exactement ce qu’il fallait pour réparer cette équipe : ne plus appeler certains anciens et créer une atmosphère positive. C’était très important de trouver une nouvelle énergie pour Lionel Messi. Et il n’a pas peur de faire des changements. Cinq après le match contre l’Arabie ; quatre après le Mexique. Si vous comparez avec Roberto Martinez, c’est le contraire : on avait le sentiment qu’il avait du mal à changer Hazard, Witsel, Vertonghen. Scaloni, pas.”
Aviez-vous vu venir ce plantage des Diables rouges ?
”Je pensais que vous sortiriez de ce groupe, mais quand j’ai commencé à lire les déclarations de De Bruyne, Courtois, Hazard, Vertonghen, etc., j’ai compris que ça ne passerait pas. C’est dommage, car le talent était là. J’aimerais que le successeur de Roberto Martinez soit belge. J’apprécie particulièrement Philippe Clement et Wouter Vrancken, deux très bons jeunes entraîneurs qui font du super boulot. Mais bon, ils sont pris avec Monaco et Genk en ce moment. Dans une autre catégorie, il y a aussi Hein Vanhaezebrouck ou Michel Preud’homme, qui a beaucoup d’expérience… s’il a encore envie d’entraîner. Des pays comme l’Arabie saoudite ou la Corée du sud n’ont pas un top coach chez eux, mais en Belgique, bien. Vous savez, j’ai passé tous mes diplômes d’entraîneur en Belgique et la formation y est très bonne.”