VIDÉO | Daniel Boccar, le dernier coach du RFC Liège à avoir affronté Anderlecht
La rencontre entre Liège et Anderlecht ce soir aura un fameux parfum de nostalgie pour le dernier coach de Liège en D1, Daniel Boccar.
Publié le 03-02-2021 à 06h30
On est le 19 février 1995 et le stade de Sclessin est à peine rempli de 5 000 âmes. Venir chez l'ennemi pour un choc face au rival bruxellois, cela passe mal dans la tête de la plupart des Sang et Marine. C'est déjà la 23e journée de D1, comme on l'appelait encore à l'époque, et le RFC Liège va mal. Sur et en dehors du terrain, le matricule 4 souque. Lanterne rouge, il reçoit Anderlecht dans ce qui est, jusqu'à ce soir, le dernier affrontement en match officiel entre les deux équipes. Lesquelles ont connu des fortunes pour le moins diverses depuis lors.
Une autre époque avec ces jeunots Fadiga, Deflandre et Lenglois encadrés par quelques vieux briscards en fin de carrière face à une armada mauve emmenée par les Babayaro, Crasson, Doll, Walem, Zetterberg, Weber ou Preko au sommet de leur art. Sur le petit banc liégeois, un homme assiste, impuissant, à la déroute des siens: Daniel Boccar, alors coach sang et marine. Anderlecht est intouchable et s'impose 0-4. «En face, c'était le top niveau européen, se souvient le Stratois. Face à ça, on ne pouvait pas rivaliser. Puis, on avait dû jouer à Sclessin pour des raisons pratiques, ce qui n'est jamais un avantage quand on est le RFC Liège. Mais ce match n'est pas représentatif de notre saison. On a souvent fait jeu égal avec nos adversaires. Le souci, c'est que quand on faisait match nul, nos concurrents directs, eux, gagnaient. Au final, on était trop juste…»

La descente sportive est ainsi inéluctable au terme de ce qui sera la dernière campagne des Liégeois en D1. Un niveau qu'ils n'ont jamais retrouvé depuis. En coulisses, le train déraille aussi, peut-être davantage encore que sur le terrain. La faillite tombe comme un couperet en fin de saison. Entre les libations des grandes soirées européennes et les affres de la banqueroute, le temps semble s'être accéléré à Rocourt en 4 ou 5 saisons à peine. «Vous voyez cet arbre, là-bas?, demande Boccar, notre guide pour quelques heures autour du Kinépolis, cimetière de l'ancien Vélodromme. C'est là qu'en 1989, des supporters de la Juve s'étaient nichés pour suivre le match. On avait été dépassé par les demandes et les 32 000 spectateurs. Mais suivez-moi. J'ai des choses à vous montrer et à vous raconter.»
Visite guidée à Rocourt
Et c'est parti pour une balade dans les pourtours et les vestiges de ce qu'il reste de l'ancienne enceinte historique. L'homme est intarissable et passionnant. «J'ai commencé ici comme coordinateur des jeunes en 1985 pour coiffer plusieurs casquettes de coach de l'encadrement, à coach des jeunes, responsable de l'infrastructure et T1 de la première, rembobine-t-il. J'ai passé quelque 35 000 heures ici. Cela marque une vie. Alors, quand les supporters, que je respecte évidemment, disent que c'est leur club, ils ne se rendent pas compte à quel point, pour moi, ce fut encore autre chose. Quand l'un des leurs mourait, ils étaient des milliers à l'enterrement. Une vraie famille. Ce club avait vraiment une âme, peut-être comme aucun autre en Belgique. Oui, ça me fait quelque chose de revenir ici…»

La balade est sinueuse dans le dédale des arbres et ronces qui garnissent désormais le complexe. Elle regorge de trésors antiques estampillés sang et marine. «Regardez, ici, c'est ce qu'on appelait l'autoroute, un terrain en cendrée où toutes les équipes venaient se faire manger par nos jeunes techniciens, poursuit Boccar. Et cette route dans les bois qui relie le terrain au stade était celle empruntée par les supporters hesbignons. Puis, là, avec les dirigeants de l'époque, on avait créé un parcours santé dont il ne reste plus rien. Quand je vois les investissements incroyables réalisés pour finalement tout raser, c'est dingue. Sincèrement, je n'ai rien vu venir même si André Marchandise, sur la fin, me semblait gagné par une certaine forme de sinistrose. Je sais que les supporters du club ont du mal à l'entendre, mais il ne faut jamais oublier ce que lui et d'autres ont fait pour mettre en place une équipe du top européen. Avec des méthodes, pour la période, novatrices. Liège vivra-t-il de nouveau ça un jour? Je le souhaite. Je pense d'ailleurs que parmi les 24 clubs actuels dans notre foot pro, il y a de la place pour deux de notre province…»

L'espace d'un instant, en fermant les yeux, on croit revivre l'épopée légendaire du mythique club liégeois à l'écoute de ses exploits narrés par un de ses plus valeureux druides. «Je suis quasi sûr de moi, même s'il ne reste plus rien de tout ça, mais, là, derrière ce mur du cinéma, il y avait une énorme boîte électrogène, assure celui qui, depuis, est devenu un des boss de l'ACFF. C'était l'époque ou Canal + commençait à retransmettre ces matchs à la TV. Et comme les plombs sautaient sans cesse, André Marchandise a décidé de doter le club de cette énorme cabine. Une cabine qui, selon un spécialiste venu sur place, aurait pu donner de l'électricité à toute la Ville de Liège (rires). C'est vous dire comme on était bien et comme le club voyait grand.»
La suite de l'histoire, les fans sang et marine la connaissent par cœur avec cette lente agonie dans les tréfonds du foot amateur. Ce soir, Kevin Debaty et ses coéquipiers ont rendez-vous avec l'histoire, celle avec un grand H. Et peuvent, l'espace d'une soirée, remettre des paillettes dans les yeux de leurs supporters. Avec un parfum de nostalgie éternel. «Bon, je vous quitte, glisse Daniel Boccar en s'engouffrant dans sa voiture. On ne refera de toute façon pas l'histoire.» Cela, c'est une certitude.


Dont, bien sûr, celui qui finira sur le toit du monde à l'Inter Milan et avec le Sénégal, Khalilou Fadiga. «Éric Gerets n'en voulait pas au départ en équipe première, sourit Boccar. J'ai alors dû lui faire ranger son frein en réserve. Il n'a eu que peu d'occasions cette année-là de montrer son talent. Et la situation de 94-95 m'a permis de l'aligner plus qu'à son tour. Il devait mûrir, comme beaucoup de jeunes à cet âge-là. Et il fallait le laisser en confiance, le laisser dans son jus même quand c'était moins bon. Regardez Nicolas Raskin face à Bruges. Il s'est fait manger par Noa Lang mais laissez-le bien dans l'équipe la semaine suivante. Sinon, vous allez le perdre pour six mois…»
La remarque vaut aussi sans doute pour le Marchinois Christophe Kinet cette saison-là à l'occasion. «Kiki était déjà fantastique, mais je me souviens de son premier match face à Bruges. Il a 18 ans et on avait entraînement le samedi matin. Pas de Kinet. On s'inquiète et il arrive en fin de séance pas du tout en état de s'entraîner. Je lui fais la morale. Wégria, qui était capitaine et un de mes piliers dans le noyau, me dit: 'Coach, vous n'allez pas l'aligner quand même?'. Je lui réponds: 'Laisse-moi faire.' J'annonce alors la nouvelle à Kiki à moitié endormi qu'il commencera le match le lendemain vu son excellente semaine à l'entraînement. Le lendemain, il est l'homme du match face aux Gazelles et sa carrière était lancée.»
C'est aussi Daniel Boccar qui fera du Remicourtois Éric Deflandre un arrière droit. «Je suis alors le T2 d'Éric Gerets et il me demande, pour sa première, si je n'ai pas un back gauche correct chez mes jeunes, se souvient-il. Je lui propose alors Éric Deflandre qui était mon… médian défensif. Mais avec sa capacité de métronome, il allait s'imposer, certain, selon moi. À condition de l'aiguiller. Gerets l'a alors coaché le long de la ligne pendant 3 ou 4 matchs. En septembre, Deflandre commençait en D1 à l'arrière gauche et… explosait.»

