Vuelta 2023: et si on tentait de comprendre ce qu'il se passe dans la tête des Jumbo-Visma ?
Kuss "doit"-il vraiment gagner la Vuelta ? Vingegaard fait-il vraiment tout pour l'en priver ? Roglic a-t-il tort de faire sa propre course ? Un peu d'empathie s'impose.
- Publié le 14-09-2023 à 12h00
La Jumbo-Visma agace plus que jamais. Dominatrice toute l'année, la voilà sur le point de remporter les trois grands tours sur la même saison, peut-être avec trois coureurs différents.
Le triplé sur la première étape de Paris-Nice 2022 ou les doublés van Aert-Laporte à l'E3 2022 et Gand-Wevelgem 2023 ne sont plus rien à côté d'une démonstration de force collective inédite dans le cyclisme moderne puisque les guêpes viennent de se permettre le luxe de privatiser le top 3 des deux étapes-reines de la Vuelta, avant, sans doute, d'en faire de même au classement final.
Puisque les fans de cyclisme en sont réduits à spéculer sur lequel de Kuss, Vingegaard ou Roglic va finalement triompher à Madrid, les critiques sont de plus en plus vives sur la façon dont l'équipe mène sa barque. Notamment envers "les méchants" Roglic et Vingegaard qui ne semblent pas vouloir laisser gagner "le gentil" Sepp Kuss.
Sepp Kuss, le trop gentil
Arrivé sur ce Tour d'Espagne avec son rôle habituel de sherpa, Sepp Kuss s'est émancipé presque sans le vouloir dès la 6e étape, qu'il a remportée, avant de prendre le leadership dès la 8e. "J'ai suivi cette grosse échappée pour que l'équipe n'ait pas à contrôler la course, puis j'ai pu en profiter pour remporter une superbe victoire", expliquait-il en substance. Tout heureux de lever les bras (il n'en avait pas eu l'occasion depuis la 15e étape du Tour de France 2021), il fut sans doute surpris d'être interrogé sur sa capacité à conserver le maillot rouge jusqu'à Madrid, alors que la première semaine de course n'était pas encore bouclée.
Depuis cet épisode, le longiligne américain a certes vu la tunique rouge se détricoter au fil des jours mais elle était toujours bien sur ses épaules au soir de l'Angliru, ce mercredi. Et alors que toute la planète cyclisme rêve de se consoler du manque de suspense par le sacre d'un domestique, Sepp Kuss, lui, prend un peu trop à coeur ce rôle de simple lieutenant. Lâché par Roglic et Vingegaard dans l'Angliru, le jour de ses 29 ans et alors qu'il pouvait légitimement rêver d'un succès de prestige, maillot rouge sur les épaules, il semble leur avoir dit à la radio de poursuivre leur effort avant de franchir lui-même la ligne d'arrivée un sourire aux lèvres... et d'aller s'excuser auprès de Mikel Landa pour avoir eu l'outrecuidance de sprinter pour la 3e place et les secondes de bonifications qui lui ont permis de conserver un maigre matelas (8 secondes) d'avance sur Vingegaard.
Au vu de cette scène, on commence à douter de sa capacité à taper du poing sur la table et à réclamer ce que bon nombre d'amateurs de la petite reine jugent être une juste récompense pour ses fiers services rendus à l'équipe.
Jonas Vingegaard, entre fourberie et bonnes excuses
Arrivé sur la Vuelta sans la moindre pression après sa victoire dans le Tour de France, Jonas Vingegaard ne s'était même pas donné la peine de retourner en altitude pour préparer ce Tour d'Espagne. Au vu de cet entraînement surtout axé sur la récupération après ses efforts de juillet, pendant que Roglic enchaînait les stages et les victoires dans ses courses de préparation, on imaginait le Danois dans un rôle de joker de luxe.
On a compris que l'intéressé avait une idée derrière la tête lorsqu'il est allé rechercher Roglic lui-même dans la 6e étape (remportée par Kuss). On a pourtant douté de sa condition lors du contre-la-montre de Valladolid (42 secondes concédées sur Roglic et seulement onze prises à Kuss)... mais Vingegaard a eu l'intelligence de se servir de son débours et de l'ambition débordante de son équipe, qui rêve du triplé à Madrid depuis plus longtemps qu'elle veut bien le faire croire, pour aller cueillir deux succès grâce à des attaques "tactiques". Au nom d'un véritable triomphe collectif au Tourmalet, puis en celui d'un cadeau offert à son "meilleur ami" Nathan Van Hooydonck, gravement accidenté le matin de l'étape de Bejes.
Vingegaard, qui continue de jurer qu'il rêve de voir Kuss s'imposer à Madrid, a ainsi pris le soin de prendre une minute d'avance sur Roglic à l'entame de la dernière ligne droite de cette Vuelta. Juste au cas où...
Roglic, l'ambitieux qui se sent floué
A ce jour, Primoz Roglic est clairement le plus frustré des trois Jumbo-Visma. Arrivé sur la Vuelta avec l'ambition d'égaler le record de quatre victoires de Roberto Heras, le Slovène a d'abord dû lever le pied pour attendre Vingegaard, victime d'un souci mécanique dans le contre-la-montre par équipes. Il a ensuite vu l'étape de Barcelone, qui lui convenait comme un gant, neutralisée après un forcing... du Danois auprès de l'organisation. Tout comme la 9e, d'ailleurs, que son équipe offrait à l'échappée dans des conditions particulières, avec une ligne d'arrivée fictive finalement tracée à deux kilomètres du sommet de la dernière ascension. Roglic s'y montrait pourtant le plus costaud des favoris...
Le Slovène, qui avait vu Kuss s'envoler dans la 6e étape, a ensuite dû accepter de ronger son frein dans le Tourmalet, lorsque Vingegaard a attaqué pour consolider le podium 100% Jumbo-Visma. Mais le plus dur à avaler fut sans doute d'entendre sa direction sportive autoriser le Danois à attaquer dans l'étape de Bejes, mardi, alors que c'est pour lui que l'équipe avait travaillé toute la journée. Le contexte, avec l'accident de Van Hooydonck, ne permettait pas de taper du poing sur la table pour réclamer sa part du gâteau. Mais on imagine qu'il a dû bouillonner intérieurement en voyant Ayuso et Mas laisser l'écart grimper à 1'15" en quelques hectomètres, permettant à Vingegaard d'effacer définitivement le retard accumulé à la pédale dans le contre-la-montre. C'est d'ailleurs Roglic lui-même qui a finalement sonné la révolte à 1,5km de l'arrivée... faisant craquer Kuss.
Et c'est encore le Slovène qui a donné l'impulsion dans l'Angliru pour lâcher le maillot rouge. Il faut dire que Roglic n'est pas vraiment van Aert: on ne l'a jamais vu faire de cadeaux à ses équipiers, si ce n'est à Laporte dans la première étape de Paris-Nice 2022 mais la décision avait été prise par le Belge. Tout au plus a-t-il joué le jeu d'équipe le jour du Granon, au Tour de France 2022, mais il savait déjà qu'il finirait par abandonner quelques jours plus tard. Même à Milan-Sanremo, on ne l'a jamais vraiment vu sacrifier ses maigres chances pour van Aert.
Egoïste, comme doivent probablement l'être les grands champions, Roglic n'en reste pas moins honnête. Il est le premier à avoir rompu la communication "bisounours" de son équipe, ce mercredi, en avouant que les trois leaders ont "la liberté d'attaquer" et que c'est "la route qui décidera de l'identité du vainqueur à Madrid", le tout avec un sourire malicieux. Et tant pis si cela lui donne le mauvais rôle pendant que Vingegaard joue celui du gentil leader qui veut distribuer les cadeaux. Après tout, Roglic a l'habitude qu'on lui reproche de gagner des courses. Cela avait déjà été le cas lorsqu'il avait repris le regretté Gino Mäder, qui était pourtant son adversaire, à quelques mètres du sommet de La Colmiane, sur Paris-Nice 2021.