Biniam Girmay, un an après sa victoire à Wevelgem: “Je ne savais pas que cette course était si importante…”
Retour sur le succès historique de Biniam Girmay, premier vainqueur africain d’une classique flandrienne, et sur l’énorme émotion qui a suscité dans son équipe.
Publié le 26-03-2023 à 08h00
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On entend encore José De Cauwer frapper avec vigueur sur la table. En plein direct de Gand-Wevelgem, sur Sporza, l’ancien coureur, directeur sportif et sélectionneur national reconverti en consultant pour la télévision flamande a plusieurs fois donné des coups répétés et enthousiastes qui donnaient l’air d’applaudir cette victoire retentissante de Biniam Girmay sur la classique flamande.
Ce succès était à la fois une surprise sans en être une. L’Érythréen, pour sa découverte des courses flandriennes, avait été un des grands animateurs du Grand Prix de l’E3, deux jours plus tôt. Il y avait impressionné sur les pavés, se classant cinquième de ce petit Tour des Flandres. Confirmant l’étendue de son talent sur le vélo et de ses qualités physiques. Mais sa victoire à Gand-Wevelgem a été une sensation : elle a été l’œuvre d’une grande première. Le sympathique coureur de la formation Intermarché-Wanty Gobert (le nom de la formation de Jean-François Bourlart l’an passé) a été le premier coureur africain à remporter une classique d’envergure.
Un an plus tard, même si son Grand Prix de l’E3 ne s’est pas bien déroulé, avec un abandon ("Il a eu un jour sans", nous indique son équipe), la pépite d’Asmara revient avec la même ambition, avec le dossard numéro 1. Il accorde peu d’importance à ce numéro emblématique. Mais il reconnaît que ce sera spécial, pour lui, de retrouver les terres de son exploit.
Des exploits, il veut en réussir d’autres. Et ne pas être reconnu uniquement comme un coureur à la peau noire. Il veut qu’on parle de lui comme un des leaders du peloton. S’il reconnaît que ce succès de prestige a changé sa renommée et forcément sa vie, il estime que, personnellement, il n’a rien modifié. "J’ai cependant juste plus confiance en moi, en mes capacités", explique-t-il. D’autant plus qu’il a confirmé ce succès avec une victoire d’étape au Tour d’Italie, dans un sprint d’anthologie face à van der Poel.
Quel souvenir garde-t-il de sa victoire à Wevelgem ? Il répond par un large sourire. "Tout s’est déroulé à la perfection ce jour-là, avance-t-il. J’y roulais de manière libérée après ma cinquième place décrochée à l’E3. Je venais déjà de réaliser un super résultat. Dans le final, quand j’ai vu Christophe Laporte attaquer, j’ai décidé d’y aller avec lui."
À 25 kilomètres de l’arrivée. Une décision prise avec son instinct de vainqueur, sur un profil de course qu’il ne connaissait pas, sur ces Flandriennes dont on dit que la connaissance du terrain est primordiale pour être bien placé aux moments clés.
Soudain, dans la conversation, le regard de Biniam Girmay s’éclaire. Et il nous raconte cette anecdote. "Au matin de la course, au briefing, on m’a expliqué les grandes lignes du parcours, que je ne connaissais pas. Mais quand le directeur sportif m’a demandé si j’avais compris, j’ai répondu non !"
Il éclate de rire. "Ces parcours, en Flandres, vont vraiment dans… tous les sens. J’ai juste demandé qu’on me tienne informé des endroits stratégiques à l’oreillette. Chez moi, en Érythrée, il y a aussi des routes qui tournent. Mais nous n’avons pas de pavés. Bizarrement, même si c’est difficile, j’aime assez rouler sur les pavés. Peut-être parce que j’aime bien souffrir sur le vélo… Ou que j’aime bien ce type de course, sur lesquelles il faut frotter pour se placer. Je ne connaissais pas le parcours, mais j’avais quand même pris soin de regarder des courses flandriennes à la télé. On voit bien qu’il faut toujours y être bien placé, sinon, c’est fini."
Dans le final de ce Gand-Wevelgem qui restera dans l’histoire, le duo composé de Laporte et de Girmay sera rejoint par Jasper Stuyven et Dries Van Gestel. Quand ce quatuor se présente dans la dernière ligne droite, Bini ne se voit pas s’imposer, même s’il dispose d’une solide pointe de vitesse. "Je ne pensais pas gagner face à des gars rapides comme Laporte ou Stuyven. J’espérais terminer troisième. Voire deuxième. Cela aurait déjà été un super résultat…"
Il va faire mieux. Bien mieux. Avec cette première place qui fait toute la différence. "J’ai lancé le sprint, mais je pensais que j’allais me faire remonter. J’ai été surpris de m’imposer. Et surpris de l’euphorie qui a suivi mon succès. Avant de la gagner, je ne savais pas qu’elle était considérée comme une épreuve si importante. Mais quand j’ai vu la réaction de mes coéquipiers après, mais aussi celles des gens de mon équipe, j’ai compris."
Un cinéma en Erythrée a diffusé Milan-Sanremo
L’anecdote fait sourire Maxime Segers. L’ancien attaché de presse de l’équipe wallonne, devenu aujourd’hui le directeur opérationnel d’Intermarché-Circus-Wanty, avait été un des premiers à tomber dans les bras de Bini à l’arrivée… "Il ne connaît pas toute l’histoire du vélo, raconte le Liégeois. L’an passé, on pouvait l’envoyer à La Route Tourangelle ou à Gand-Wevelgem, pour lui, c’était la même chose… En Érythrée, dans son pays, il n’y a que les grands tours à la télévision… Mais depuis son succès à Gand-Wevelgem, il est encore plus suivi, plus populaire. D’ailleurs, pour la première fois, Milan-Sanremo a été diffusé cette année dans un cinéma. Suivre Biniam, c’est devenu un événement, un peu comme un match des Diables rouges dans un grand tournoi chez nous…"
Cette victoire avait été très forte, d’un point de vue émotionnel, pour tous les membres de cette grande famille. "Il y avait l’ampleur de cette victoire dans une grande classique, mais il y avait aussi cette force supplémentaire sur cette épreuve, qui restera toujours spéciale pour nous, car nous y avons perdu Antoine six ans plus tôt", ajoute Maxime Segers.
Le Liégeois Antoine Demoitié avait succombé à ses graves blessures suite à une chute sur cette classique, en 2016. "Gagner là, six ans plus tard, c’est un bel hommage. Gand-Wevelgem reste donc à part, pour nous."
Si le courant passe bien entre Girmay et le Liégeois Loïc Vliegen, il y a aussi un fort lien entre l’Érythréen et Maxime Segers. "On s’entend bien, confirme-t-il. Une anecdote nous a rapprochés au début. Une fois, en discutant, il m’avait dit : ‘Tu sais que j’ai gagné une étape de Liège-La Gleize quand j’étais chez les juniors ? J’y avais battu Remco Evenepoel’. Je lui ai répondu que je le savais et que j’étais même sur place ce jour-là."
Wevelgem reste à part dans l’histoire de l’équipe
Après avoir été coureur au VC Ardennes, Segers a été journaliste cyclisme, et couvrait la course internationale pour les 17 et 18 ans pour www.directvelo.com. "Il m’a alors montré une photo de son salon, dans laquelle on voit une… photo de sa victoire à La Gleize. Il m’a dit qu’il a longtemps cherché qui en était le photographe… Et c’était moi…"
Pour le patron de l’équipe, Jean-François Bourlart, cette victoire conquise à Gand-Wevelgem reste un moment fort de l’histoire de sa formation. "Il y a eu des grands événements dans notre parcours, à des échelons divers, en fonction des périodes de notre évolution, comme notre première victoire pro, notre première classique à l’Amstel Gold Race, notre première participation au Tour de France, notre premier succès sur un Grand Tour, mais Gand-Wevelgem est aussi à part", raconte le manager d’Ath. "C’est une très grande classique, disputée en Belgique, avec un solide palmarès. Et Biniam a été chercher ce succès avec la manière. Quand je l’ai fait signer chez nous, je sentais qu’il allait nous gagner de très grandes courses. Mais je ne m’attendais pas à ce que cela soit aussi tôt… Ce jour-là, à Wevelgem, tout s’est parfaitement bien déroulé."
Segers confirme. "Nous étions bien présents dans tous les coups. Enfin, sauf après le dernier passage du Mont Kemmel. Mais heureusement pour nous, c’est rentré. Vu les circonstances, avec un Laporte en superforme et la solidité d’un Stuyven, on se disait que quatrième serait déjà beau… Mais Bini a été le plus rapide. Pour un succès qui reste. De notre saison 2022, notre meilleure, on nous reparle souvent de sa victoire au Giro face à van der Poel, de l’incident qui a suivi avec le bouchon reçu dans l’œil. Et bien évidemment de Gand-Wevelgem."