À la rencontre de Philippe et Pascale, les parents d’Arnaud De Lie : “Notre fils est l’homme de la traite”
Dimanche, Arnaud De Lie prendra le départ de Paris-Nice. En prélude, nous sommes allés discuter avec ses parents, dans la ferme familiale à Lescheret. Entretien décoiffant.
Publié le 03-03-2023 à 06h55 - Mis à jour le 03-03-2023 à 07h03
En ce lundi matin, Arnaud De Lie se prépare pour une sortie d’1h30 avec son frère aîné, Axel, et un ami. Philippe, le papa, abandonne ses vaches – quelque 400 bêtes – pour s’asseoir aux côtés de Pascale, sa femme. Alors que le soleil brille sur Vaux-sur-Sûre, les parents du coureur de Lotto Dstny prennent le temps de parler de leur fiston. Ils ne cachent pas leur fierté, tout en restant bien les pieds sur terre.
Comment avez-vous vécu le Circuit Het Nieuwsblad, samedi dernier ?
Philippe : “Je n’avais pas dit à Arnaud que je serais sur place. Avec la ferme, ce n’est pas très facile de nous déplacer. Il a été surpris quand il m’a vu quelques minutes avant le départ, mais je pense qu’il était beaucoup plus calme que moi. Je me suis déplacé d’un endroit à un autre, mais on ne voit pas aussi bien qu’à la télévision. Cela dit, il m’a impressionné dans le Mur de Grammont. Il est monté aussi vite que les meilleurs. En le voyant appuyer sur les pédales, je me demandais s’il n’allait pas les casser. C’est parfois frustrant de ne pas pouvoir me libérer davantage, mais je n’ai pas le choix. Quand Arnaud roulait chez les jeunes, mes parents venaient à la ferme. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible.”
Pascale : “Samedi, moi, je suis allée voir Axel et sur le chemin du retour, je me suis arrêtée sur le bord de la route pour regarder les 15 derniers kilomètres sur mon téléphone.”
Il paraît que vous faites beaucoup de bruit en regardant les courses sur le petit écran.
Ph. : “L’année passée, quand Arnaud a gagné la Egmont Cycling Race, des gens qui habitent de l’autre côté du village ont dit qu’ils nous avaient entendus crier.”
Pa. : “Il faut préciser que nous avions la fenêtre ouverte (Ils rient). Des gens sont venus voir si tout allait bien.”
Qu’est-ce qui est le plus agréable ? Le regarder à la TV ou le voir passer une fraction de seconde devant soi quand on est sur le bord de la route ?
Pa. : “Peu importe l’endroit, moi je ne me sens bien que quand il a passé la ligne entier.”
Ph. : “Mais on est beaucoup plus stressé devant la TV.”
Pa. : “Moi, je préfère ici parce qu’on est en petit comité. On n’entend pas ce que disent les autres. Dans notre fauteuil, nous n’avons pas à gérer leurs commentaires, on se concentre sur nos émotions et on peut les exprimer pleinement.”
Ph. : “Samedi, quand il est passé dans le Mur de Grammont, je parlais tout seul, je donnais mes commentaires et je voyais bien que les gens se demandaient ce que je faisais. Mais j’étais dans mon truc, je le vivais à fond.”

C’est la maman qui parle quand elle dit que sa priorité est que son gamin arrive entier…
Ph. : “Non, le papa est aussi inquiet. L’an dernier, je l’ai vu tomber à Dunkerque. Pascale était à l’école (NdlR : elle est enseignante) et elle m’avait demandé de la tenir au courant de l’évolution de la course. J’étais mal pris parce qu’il ne restait qu’un kilomètre au moment de la chute. Je ne pouvais pas demeurer une demi-heure sans lui donner de nouvelles, mais je ne savais pas comment lui faire part de la situation. Je l’ai appelée et j’ai essayé de la rassurer tout de suite, même si je ne savais pas moi-même dans quel état il était. Heureusement, il m’a téléphoné presque dans la foulée.”
Auriez-vous préféré qu’il soit grimpeur plutôt que sprinter ?
Ph. : “Non.”
Pa. : “Ah, moi non plus ! Dans les cols, ça descend quand même parfois très fort.”
Ph. : “Je trouve que les efforts demandés en montagne frôlent parfois l’inhumain. Mais c’est vrai que quand ils sont lancés à fond au sprint, on a peur également. De toute façon, Arnaud n’est pas un pur sprinter. Il a plutôt le profil d’un Wout van Aert ou d’un Peter Sagan.”
“Que ça va vite avec Arnaud ! Heureusement qu’il y a Remco pour prendre de l’attention.”
Qu’est-ce que cela vous a fait de voir votre fils avec les meilleurs dès sa première participation au Circuit Het Nieuwsblad ?
Ph. : “À un moment, je me suis demandé si tout cela était bien réel. Que ça va vite avec Arnaud ! Heureusement qu’il y a Remco pour prendre de l’attention parce que sinon, ce serait déjà un peu la folie. Ça diminue un peu la pression qu’il y a sur Arnaud.”
On a justement l’impression qu’il est hermétique à cette pression…
Ph. : “Arnaud est quelqu’un de très calme. Il tient ça de sa maman, pas de moi.”
Pa. : “Il est naturellement comme ça.”
Ph. : “Quand il était plus petit, il lui arrivait de râler parce qu’il n’avait pas gagné. Mais son énervement ne durait pas.”
“Sur le vélo, il n’est qu’à moitié gentil.”
Quel garçon est Arnaud vis-à-vis de ses parents ? On sait que les champions ont un caractère bien trempé.
Pa. : “C’est un garçon très facile à vivre. Et puis, il est très autonome. Il gère son alimentation, il a ses habitudes. C’est tout à fait naturel chez lui. Il a son caractère, mais ce n’est pas un tyran, pas du tout.”
Ph. : “Je dirais qu’il exprime son fort caractère quand il est sur le vélo, pas une fois qu’il en est descendu. Il n’a pas hésité à répondre à un coureur comme Luke Rowe. En course, il ne faut pas lui marcher sur les pieds. Sur le vélo, il n’est qu’à moitié gentil (Ils rient tous les deux).”
Quand on en fait déjà le grand favori d’une course comme Het Nieuwsblad, comment réagissez-vous ?
Ph. : “Avec fierté, mais on ne s’emballe pas.”
Pa. : “Moi, ça me fait un peu peur. Je me dis que si ça ne se passe pas bien, qu’il n’obtient pas le résultat escompté, on va lui tomber dessus. Les gens peuvent être terriblement cruels sur les réseaux sociaux. J’aurais préféré qu’on ne le pointe pas comme un favori.”
Vous attendiez-vous à ce qu’il grimpe aussi vite les échelons ?
Ph. : “Non, mais c’est comme ça depuis qu’il fait du vélo. Il a toujours eu une ascension fulgurante. Sa courbe de progression est très raide. J’imagine qu’il ne s’améliorera plus pendant dix ans sinon… S’il progresse pendant 4, 5 ans, ce sera génial.”
Comment est-il venu au vélo ?
Ph. : “J’en faisais et son grand frère aussi. Alors, c’était naturel.”
Pa. : “Quand nos enfants étaient plus jeunes, nous faisions beaucoup de promenades à vélo. Nous partions à 5 (NdlR : avec Edwige, la fille cadette). Et nous, on a adoré quand il s’est mis au VTT. C’était du pur bonheur.”
Ph. : “Et puis les chutes y sont souvent moins graves que sur la route. C’est mieux pour les enfants.”
Quand avez-vous compris qu’il avait un don pour le vélo ?
Ph. : “Dès sa première course, à 7 ans. C’était une course de trois tours de trois minutes. Après un tour, il était remonté de la 20e à la 6e place. À la fin du 2e, il pointait à la deuxième place.”
Quand vous a-t-il dit qu’il voulait devenir cycliste professionnel ?
Pa. : “Je pense qu’il a toujours eu ça dans un coin de la tête et c’est devenu plus concret quand Lotto est venu le chercher (en 2021). Mais nous ne l’avons jamais poussé. Je n’aurais pas spécialement voulu qu’il fasse autre chose parce qu’il a toujours été heureux sur un vélo. Alors, nous l’avons soutenu dans son choix.”
Qu’aurait-il fait s’il n’était pas devenu cycliste professionnel ?
Pa. : “Je suis presque certaine qu’il aurait travaillé à la ferme. Il aime bien les animaux. Mais la question ne s’est jamais posée.”
La presse, belge mais aussi étrangère, lui consacre déjà pas mal d’articles. Comment vivez-vous cette popularité naissante ?
Ph. : “Cela fait très plaisir. Et voir qu’on parle de lui en bien en Flandres me rend plein de fierté. C’est quand même la terre du vélo par excellence.”
“Je crains les dérives des réseaux sociaux.”
N’avez-vous pas peur de cette popularité ?
Ph. : “Non. Parce qu’il gère très bien ça.”
Pa. : “Je pense qu’il a la tête bien sur les épaules. Arnaud sait ce qu’il fait. Il est très mature. En revanche, je me répète : je crains les dérives des réseaux sociaux.”
Justement, le mettez-vous en garde par rapport aux réseaux sociaux ?
Pa. : “Non. Arnaud est sans filtre, c’est un gamin entier et je ne pense pas qu’il peut commencer à calculer ce qu’il peut ou ne peut pas écrire. S’il doit dire quelque chose, il le dira. Je trouve que c’est mieux qu’il reste vrai. Mais il a cette faculté à ne pas faire attention à ce qui se dit sur lui. On lui conseille de rester comme il est, c’est le mieux.”
“Il s’exprime déjà en flamand. Cela m’épate.”
Il s’exprime déjà en flamand. Cela vous surprend ?
Pa. : “Cela m’épate. D’autres auraient peur de faire des fautes, lui pas. Il ne sent aucune pression.”
Ph. : “Avant le Nieuwsblad, il a donné des interviews en flamand et ses équipiers l’ont félicité parce qu’il y avait très peu de fautes. Nous, on est fiers qu’il ose. Arnaud, comme nous, est Belge et très attaché à son pays. Il a commencé à parler le flamand en équipe nationale de jeunes.”
Les agents commencent à lui tourner autour. Vous estimez devoir le protéger par rapport à ce milieu ?
Ph. : “Ils sont plusieurs à être venus frapper à la porte. Mais ça ne nous fait rien. Le papa peut être l’agent du coureur, non ? Dans ce cas, il aurait un manager à 0 %. Ce ne serait sans doute pas plus mal.”
Pa. : “Nous allons voir ça au jour le jour. Une chose à la fois. Nous privilégierons toujours la stabilité d’Arnaud. Il ira toujours où il se sentira le mieux. C’est la base.”
Quel est votre rôle aujourd’hui dans l’évolution de sa carrière ?
Pa. : “Être là quand il en a besoin, pas plus. Il faut pouvoir rester à sa place.”
Ph. : “Nous devons nous mêler de nos affaires. Nous sommes ses parents, pas ses conseillers en cyclisme.”
Pa. : “Nous le laissons libre de ses choix.”
“S’il craint de perdre la tête, qu’il me donne l’argent, je vais m’en charger.”
Il va sans doute gagner beaucoup d’argent. Est-ce un sujet dont vous parlez avec lui ?
Ph. : “On en parle malgré tout parce que de telles sommes, ça fait un peu peur. S’il craint de perdre la tête, qu’il me donne l’argent, je vais m’en charger (Il rit).”
A-t-il encore du temps pour vous aider à la ferme ?
Ph. : “Oui. Arnaud, c’est l’homme de la traite. Il la fait le matin et le soir. Quand il est à la maison, bien sûr. Je ne sais pas s’il en est fou, mais il le fait de bon cœur, sans râler.”
D’où lui vient son incroyable force physique ?
Ph. : “Pascale m’a dit que ça venait de la maman. C’est bien possible. Donc, moi, je fais le rapprochement avec sa maman, sa grand-mère et son arrière-grand-mère, Victorine, que j’ai connue. Eh bien, je suis étonné de la force que Victorine avait (Pascale éclate de rire).”
Pa. : “Franchement, je n’en sais rien, mais il a toujours été très fort. Tout petit, on lui disait d’être calme avec les autres enfants parce qu’il ne se rendait pas compte de sa force.”
Ph. : “Il a toujours eu une force pas possible.”