De Buyst, le poisson-pilote de De Lie, évoque son sprinteur: "C’est facile et chouette de bosser avec Arnaud"
Jasper De Buyst, l’expérimenté coureur de 29 ans apprécie de lancer le Taureau de Lescheret.
Publié le 24-02-2023 à 07h03
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C’est une de ses marques de fabrique. Arnaud De Lie ne manque jamais de remercier ses coéquipiers après un succès. La valeur montante du cyclisme belge et mondial aime l’esprit collectif et fédérer un groupe soudé autour de lui. Au sein de la formation Lotto-Dstny, on sent que le jeune leader wallon est très apprécié pour ses qualités humaines, au-delà de ses énormes capacités physiques. Entretien avec Jasper De Buyst, un de ses précieux poissons-pilotes, qui avait parfaitement lancé vers la victoire le Taureau de Lescheret sur sa première course de la saison, sur la Classique de la Communauté de Valence 1969, avant de remettre le couvert sur l’Étoile de Bessèges. Il sera aux côtés d’un Arnaud De Lie très ambitieux sur le week-end d’ouverture. Ce samedi, sur le Circuit Het Nieuwsblad, et ce dimanche, à Kuurne-Bruxelles-Kuurne.
Arnaud De Lie, on en parle de plus en plus. En Wallonie, forcément. En Belgique. Mais aussi dans toute la planète cyclisme, désormais. Il n’a que 20 ans mais est déjà un leader incontesté. Il vous surprend ?
Oui ! Enfin, il m’a surtout étonné l’an passé. Maintenant, je le connais ! Mais c’est vrai qu’il a surpris tout le monde, même lui-même je pense, avec sa superbe première saison, en 2022, avec ses magnifiques débuts chez les pros. J’avais entendu que c’était un très grand talent avant de le voir pour la première fois au stage de l’équipe, l’an passé. À le voir rouler avec nous, j’étais persuadé qu’il allait gagner une course dès sa première année. Ce qui est déjà très fort ! Mais parvenir à s’imposer neuf fois, c’est énorme… Mais ce n’est pas avec le nombre de succès qu’il m’a le plus étonné. Il m’a vraiment surpris au Grand Prix de Plouay. Il s’y est classé quatrième, au bout d’une course de 260 kilomètres. Elle n’est pas très connue en Belgique, mais je peux vous dire qu’elle est dure. D’un très haut niveau. Pogacar y était, van Aert, le futur vainqueur, aussi…
Comment expliquer que tous ces jeunes arrivent et gagnent tout de suite ? C’est le fruit d’une meilleure formation ?
Oui. Quand je suis passé chez les pros il y a dix ans, les jeunes avaient besoin de trois à quatre années pour bien apprendre le métier. À l’époque, quand on était junior ou même espoir, on avait un entraîneur de notre village. Mais ce n’était pas avec les connaissances d’aujourd’hui. Maintenant, les gars de 17 ans bossent déjà avec des nutritionnistes, avec des entraîneurs spécialisés. Ils sont déjà pros chez les cadets. Nous, on devenait pros… en arrivant chez les pros. Cela me surprend parfois encore un peu. En décembre, j’ai loué une maison avec ma famille en Espagne. Et j’y voyais déjà des gars très jeunes venir s’entraîner, au début du mois de décembre. Moi, à l’époque, mon premier stage, c’était début février…
Vous êtes ce qu’on appelle un poisson-pilote. Avec une longue expérience. Quel regard avez-vous sur De Lie ? C’est facile de travailler avec lui ?
Oui, vraiment ! Il est jeune, mais on sent qu’il veut vraiment apprendre. Il sait que des mecs avec dix années d’expérience chez les pros comme moi ou d’autres peuvent lui apporter quelque chose. Et c’est un bon mec ! C’est chouette de bosser pour lui. Au niveau de son profil, je pense que ce n’est pas un sprinter comme Caleb Ewan. Il est différent. Je le compare plus à un Alexander Kristoff, ou à un André Greipel. Il n’est peut-être pas le plus rapide à la fin d’un sprint, mais il est capable de faire un long sprint de 300 mètres. En force. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que ce sera un sprinter comme Ewan, qui va déboîter des roues à 50 mètres. Je serai beaucoup avec Arnaud De Lie dans la première partie de la saison. Avant de me tourner vers le Tour de France, que je ferai au service de Caleb Ewan.
C’est différent de travailler pour Ewan et pour De Lie ?
C’est encore difficile de répondre. Pour l’instant, j’ai principalement travaillé pour Arnaud dans des petites courses. C’est assez différent des grandes épreuves World Tour. Sur les petites épreuves, Arnaud était souvent bien plus fort que la plupart de ses adversaires. Il pouvait se permettre de faire des efforts non nécessaires, d’aller trop rapidement dans le vent et d’encore gagner la course. Il pouvait se permettre de perdre subitement dix places et de remonter pour quand même s’imposer. Au plus haut niveau, sur des épreuves comme celles du week-end d’ouverture ou des étapes Paris-Nice, il faut vraiment gérer son effort, bien utiliser sa tête. Mais aussi ses coéquipiers. Ce qu’Arnaud fait déjà. Mais je suis persuadé qu’il va y arriver. J’ai confiance en De Lie. Quand tu es fort comme lui…
Comment jugez-vous le train de Lotto-Dstny ?
Nous avons un bon train, mais nous avons aussi deux solides sprinters. On aura donc quasiment toujours deux programmes de sprinters. Ce sera un peu limite sur l’ensemble de la saison. Sur le papier, on a assez de mecs pour ce type de boulot, mais il ne faut pas trop de malades ou de blessés. Mais nous avons des coureurs d’expérience. Et de bons renforts, comme Jacopo Guarnieri.
Arnaud est plus qu’un sprinter, il rêve aussi des classiques. Mais comment jugez-vous le niveau mondial du sprint ?
Le plus costaud dans la dernière ligne droite, l’an passé, pour moi, c’était Fabio Jakobsen. Il y a aussi le cas Wout van Aert. Ce n’est pas un pur sprinter, mais il gagne des sprints massifs ! La différence entre les grands sprinters devient cependant de plus en plus réduite. Chaque détail compte vraiment. Cela rend les sprints compliqués.
Et vous ? Vous êtes uniquement un poisson-pilote ou vous avez aussi envie de retrouver la victoire au sprint comme avec vos succès sur une étape du Tour de Wallonie ou à Binche-Chimay-Binche ?
Je sors d’une saison compliquée, avec une grosse chute, une fracture de la hanche et une de la clavicule. Mais quand je suis revenu en août, j’ai su faire quelques places d’honneur. Cela m’a permis de ressentir un peu le feeling de sprinter pour une victoire pour moi. Je suis connu pour mon lead-out. Mais si une occasion se présente de gagner à nouveau, je veux la saisir…
C’est important de garder les automatismes de la victoire au sprint, pour soi, quand on est poisson-pilote ?
C’est différent. Totalement. Quand tu emmènes un leader au sprint, tu ne peux pas penser à la victoire, tu es vraiment dans un autre rôle.
Quel est votre rôle, finalement ? C’est quoi, un poisson-pilote ?
Ce travail peut se résumer à emmener son sprinter en position parfaite au bon moment, dans la dernière ligne droite. Moi, dans ce rôle, ce que je préfère, c’est remonter les premières places du peloton à pleine vitesse pour déposer mon leader à cent mètres de la ligne. C’est un de mes points forts. Comme je viens de la piste, je pense avoir une bonne vision de la course, de l’amorce du sprint, je sais comment me placer. Analyser tout ce qui se passe. Et ma force, c’est aussi de savoir rester calme. Quand j’ai l’air calme, le gars dans ma roue va me faire d’avantage confiance. Et être calme lui-même.
Comment pouvez-vous être calme dans… le chaos du peloton à l’approche de la dernière ligne droite, dans cette guerre typique avant un sprint ?
La panique, cela n’aide pas ! Dans toutes les circonstances de la vie. Bon, je ne suis pas toujours calme. Mais si tu ne l’es pas, il faut vraiment ne pas le montrer à ton leader ! Il faut lui donner confiance. Cela ne se joue d’ailleurs pas que sur le vélo. Il faut aussi lui donner confiance en dehors de la course. Quand on regarde les vidéos des sprints, quand il doute. C’est important de discuter. Lui dire de se concentrer que sur son sprint, que nous, ses coéquipiers, on s’occupe du reste. Qu’il ne perde pas d’énergie à réfléchir à toute l’approche des virages. Ça, c’est notre rôle.
C’est plus facile d’être poisson-pilote sur une petite course ou sur une grande épreuve ?
C’est clairement plus chaotique sur les petites épreuves. Sur les grandes courses, c’est plus facile au niveau des risques. En tant que sprinters, nous en prenons tous. Mais au plus haut niveau, la plupart savent quelle est la limite. Dans les petites épreuves, c’est différent. Des jeunes vont se battre et sont prêts à tout pour aller chercher un contrat. C’est plus facile de lire la course au plus haut niveau. Si je suis enfermé et bloqué par un Soudal-Quick Step, je peux prédire qu’il va par exemple ensuite vouloir aller à droite. Si je le laisse passer, je vais pouvoir aller à gauche pour retrouver mon équipe. Même si tu as des gars seuls de leur petite équipe, tu ne sais pas ce qu’ils vont faire.
Comment décidez-vous des roues que vous allez prendre ? En regardant la liste des partants ? Ou cela se fait à l’instinct, dans le final ?
On analyse bien évidemment la liste des partants. Mais oui, dans le final, il y a une part d’instinct. Tu dois bien voir les valeurs des équipes. Quand tu sais que certains ne sont pas au top, il faut s’adapter. Quand tu abordes un sprint avec trois coureurs et que le train de Jakobsen a six mecs, tu sais que tu ne peux pas faire la moindre… connerie si tu veux avoir une chance. Finalement, c’est un petit monde : c’est toujours les mêmes gars pour aborder les sprints…