Freddy Havelange, la voix du cyclisme belge : “Remco n’a rien voulu entendre et il les a presque tous doublés”
Pendant toute la saison 2023, nous vous ferons découvrir le champion du monde Remco Evenepoel à travers les yeux de dix témoins qui ont participé à dessiner chacun des rayons de l’arc-en-ciel. Commentateur des courses de jeunes et de pros, Freddy Havelange a assisté à l’avènement du phénomène.
Publié le 21-02-2023 à 07h53 - Mis à jour le 21-02-2023 à 12h51
Freddy Havelange est la voix du cyclisme belge depuis des lustres et commente avec un égal bonheur les courses de jeunes et celles des pros. Que ce soit dans la voiture des commissaires ou depuis la ligne d’arrivée. “Avant, je tablais sur 110 à 115 jours de course par an, dit-il fièrement. Maintenant que je suis retraité, j’en fais encore une soixantaine.” Il a donc été au premier plan quand Remco Evenepoel a effectué ses débuts au sein du peloton junior. Il se souvient…
Vous souvenez-vous de votre rencontre avec Remco Evenepoel ?
”C’était sur Aubel-Thimister-Stavelot, la course par étapes la plus réputée pour les juniors en Belgique. C’était en août 2017 et Remco avait commencé le vélo en avril. Il avait d’ailleurs rapidement obtenu une belle troisième place sur une course à Neufvilles, en mai. Il avait également attiré l’attention lors du Grand Prix Igor De Craene, un contre-la-montre. Il était parvenu à s’intercaler entre Loran Cassaert et Sébastien Grignard qui, pourtant, dominait la catégorie. Tout le monde se demandait un peu d’où il sortait. Pour en revenir à Aubel-Thimister-Stavelot, il a concédé huit minutes lors de l’étape initiale. On disait que c’était normal. Mais le deuxième jour, il a gagné en solitaire. Là, on a commencé à être intrigué. Et le dernier jour, il s’est classé troisième. On s’est dit que ce gamin avait quelque chose. Ensuite, je l’ai revu en 2018 à l’occasion d’un test national en contre-la-montre dans la région de Chimay. Et là, sur 28 kilomètres, il a mis 2 minutes au deuxième. C’était épatant. Je n’avais jamais vu ça venant d’un jeune homme qui n’avait débuté le vélo qu’un an plus tôt.”
Qu’avez-vous pensé à ce moment précis ?
”On s’est dit qu’on avait tout intérêt à suivre l’affaire (rires). Et les réponses n’ont pas tardé à venir, puisqu’il a réalisé le doublé aux championnats de Belgique, d’Europe et du monde. Lors du National de chrono à Vresse-sur-Semois, il est devenu champion de Belgique après avoir rattrapé les cinq coureurs partis avant lui. Or, les coureurs partaient de minute en minute. Ça vous donne une petite idée de sa domination ce jour-là.”
Avait-il une attitude particulière sur le vélo ?
”Disons qu’il n’avait pas le plus beau style sur sa machine. Mais quelle efficacité ! Et puis, il s’est tout de suite fait remarquer par une très grande discipline. Ça devait lui venir de ses années passées dans des équipes du top en football.”
Ce n’est pas lassant à la longue de commenter des courses quand on sait qui va les gagner ?
”S’il est devant et d’une manière aussi dominante, c’est la classe. On ne peut que s’incliner et apprécier. On a eu le cas récemment avec Arnaud De Lie, qui m’a beaucoup impressionné. Il n’est pas comparable à Remco. C’est un tout autre coureur. Mais quel champion en devenir ! Arnaud, c’est une bête ! Et je dis ça avec toute l’affection et l’admiration que je lui porte. Chez les De Lie, on ne fait pas les choses à moitié. Pour en revenir à votre question : non, ce n’est pas ennuyant de commenter une course quand un gars la domine du début à la fin. Était-on ennuyé de relater les exploits d’Eddy Merckx ?”
“Remco, c’est un régal à l’interview. Il est bavard, comme son papa.”
Souvenez-vous de votre première interview de Remco Evenepoel ?
”Oui. C’était au test national à Chimay, en avril 2018. Il avait été charmant et disponible, comme son papa. Je l’ai revu lors du Tour de Belgique 2021 et il était toujours aussi adorable. Franchement, quelle chance d’avoir un gars comme ça. Remco, c’est un régal à l’interview. Il est bavard, comme son papa (rires).”

Avez-vous le souvenir d’un junior aussi dominant que Remco ?
”Il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps, avec Fons De Wolf et Daniel Willems. Et puis, Jan Bakelants avait dominé toutes les épreuves majeures dans la province de Liège.”
Pour les parents, ça ne devait pas toujours être gai de voir Remco Evenepoel au départ d’une course…
”On a connu ça avec d’autres coureurs. Quand Eddy Merckx était là, les coureurs savaient qu’ils roulaient pour la deuxième place. D’un autre côté, c’était peut-être plus valorisant pour un gamin de terminer deuxième derrière Remco que de gagner une course où il n’y a pas de répondant.”
Malgré tout, êtes-vous surpris du champion qu’il est devenu ?
”Je ne suis pas vraiment étonné, mais je suis un peu rassuré, car il a confirmé au plus haut niveau. Jadis, les jeunes n’osaient pas rouler chez les pros comme ils l’avaient fait avant. Remco a balayé cette peur. Il a ouvert une porte et un peu changé les mentalités. Aujourd’hui, ça roule à fond dès le début, même en jeunes. Les gars osent. Et puis, certains veulent passer directement des juniors aux pros. Regardez Cian Uijtdebroeks !”
Justement, parlez-nous un peu du dernier vainqueur du Tour de l’Avenir.
”J’ai le sentiment qu’on tient là un autre futur champion. Si vous voulez le comparer à Remco, j’ai l’impression qu’ils se valent au contre-la-montre, mais que Cian est plus fort en haute montagne. Mais bon, n’en tirons pas de conclusions trop hâtives. On sait qu’une carrière ne se fait pas que sur les qualités intrinsèques.”
“Cian m’impressionne tout autant que Remco.”
La domination qu’exerçait le Hannutois en juniors vous a-t-elle rappelé celle d’Evenepoel ?
”Non, ce n’était pas pareil. Mais gagner le Tour de l’Avenir comme il l’a fait, c’était impressionnant. Cian n’avait pas de repères. Remco, lui, a toujours vécu comme un sportif professionnel et son papa a pu lui expliquer comment fonctionnait le milieu cycliste. Cian n’avait pas tout ce bagage. J’ai le sentiment qu’il découvrait l’étendue de ses capacités au fil des courses. Mais ils ont le même panache et Cian m’impressionne tout autant que Remco.”
Vous dites que Remco Evenepoel vous fait plus penser à Jacques Anquetil qu’à Eddy Merckx.
”Remco a en commun avec le Cannibale un incroyable caractère de compétiteur et les sacrifices qu’il consent à faire. Ce sont deux maniaques. Mais il me rappelle davantage Anquetil, parce que ce dernier n’était pas un pur grimpeur. Le Français est parvenu à remporter cinq fois le Tour de France en faisant la différence au contre-la-montre et en s’accrochant en haute montagne. Ah, si Remco pouvait reproduire ça…”
Quel souvenir gardez-vous de la victoire de son papa, Patrick, au GP de Wallonie ?
”Un souvenir fabuleux. Ce jour-là, je commentais la course depuis la ligne d’arrivée. Quand Patrick a gagné en solitaire, il était comme fou. Il a transmis son euphorie au public. Il est entré en communion avec les spectateurs. Je me souviens de son interview au pied du podium, avec son accent bruxellois. C’était savoureux.”
“Remco avait mis un bazar pas possible.”
Que s’est-il passé au Tour du Condroz 2018 ?
”Ah ça ! Le matin de la course, Remco avait étudié le parcours. Il avait dit à sa maman qu’il allait essayer de doubler tous les autres coureurs. Quand la course a commencé, il est parti comme une balle. À un moment donné, c’était la panique parmi les organisateurs parce qu’on se rendait compte qu’il allait mettre tous les autres hors délai. À un moment donné, le directeur de course s’est porté à sa hauteur en lui disant : ‘Ça va gamin, tu peux ralentir, tu as gagné’. Mais Remco n’a rien voulu entendre et il les a presque tous doublés. Seuls quatre ou cinq sont parvenus à finir dans le même tour que lui. Même la police avait été dépassée par les événements parce qu’il y avait des coureurs un peu partout sur le parcours. Remco avait mis un bazar pas possible. Il avait gagné avec 4'30" d’avance sur le second et plus de 6 minutes sur le troisième. Vous imaginez le temps qu’il a dû attendre avant de monter sur la plus haute marche du podium. Il l’a fait sans s’énerver. Il était content d’avoir tenu la promesse faite à sa maman le matin. Je me souviens de la conversation que j’avais eue avec son papa au départ. Il m’avait dit qu’il pensait parfois à Justine Henin et à Frank Vandenbroucke. J’ai encore ses mots en tête : ‘Comme parents, on n’est pas prêts à gérer un tel phénomène’.“
Vous avez également été marqué par sa victoire à la Philippe Gilbert Classic 2017.
”C’est clair. Grignard en était le grand favori. Il a attaqué avec Remco. Je me disais que Sébastien allait le lâcher quand il le voudrait. Mais à l’approche des dix derniers kilomètres, il ne prenait plus un relais et Remco a fini par le distancer pour gagner avec 25 secondes d’avance. À l’arrivée, j’ai demandé à Sébastien ce qu’il s’était passé. Il m’a répondu qu’il avait roulé à bloc et qu’il avait sauté à la pédale. Tout simplement.”
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