Phil Lowe, l'attaché de presse de Remco Evenepoel : “Après le Mondial, j'avais peur d'ouvrir ma boîte mails…”
Pendant toute la saison 2023, nous vous ferons découvrir le champion du monde Remco Evenepoel à travers les yeux de dix témoins qui ont participé à dessiner chacun des rayons de l'arc-en-ciel. Attaché de presse de la formation Soudal Quick-Step, Phil Lowe est l'un des hommes de confiance de Remco Evenepoel au sein du Wolfpack.
Publié le 20-01-2023 à 10h11
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Le destin tient décidément parfois à bien peu de choses. Né dans la grande-banlieue de Manchester il y a 41 ans, là où le cuissard lycra n'était alors pas tout à fait la tenue sportive la plus en vogue, à une époque où le Team Sky n'avait pas encore transformé le cyclisme en discipline hype, Phil Lowe est le témoin d'une apparition mystique dans son quartier. “Les rues avaient été bouclées pour le passage de la dernière étape du Tour de Grande-Bretagne, rembobine l'Anglais. J'avais alors 14 ans et je me souviens avoir fut filer Brian Smith, alors échappé en solitaire, devant mes yeux. C'était le premier coureur pro que j’apercevais en chair et en os. Quelques instants plus tard, Frondiest est monté sur la plus haute marche du podium de l'épreuve. J'étais conquis.”
Un peu plus de vingt-cinq ans plus tard, le Mancunien est aujourd'hui l'attaché de presse de la formation Soudal Quick-Step du champion du monde Remco Evenepoel après une entame de carrière professionnelle pourtant bien éloignée des pelotons. “J'ai commencé par vendre tout ce à quoi vous pouvez penser, des voitures aux téléphones. Mais j'ai toujours été habité par une profonde passion du sport. Mon grand-père a représenté Hong Kong en basket-ball lors des Jeux olympiques, c'est une sorte d'histoire de famille. Quand j'ai constaté que mon manque de qualification me fermait les portes d'un univers professionnel dans lequel je rêvais de travailler, j'ai donc repris le chemin des études.”
Un chemin qui emmène désormais ce sympathique quadra aux quatre coins du globe plus de 200 jours par an dans le sillage d'Evenepoel et ses partenaires.
Phil, depuis combien de temps maintenant êtes-vous le responsable presse du Wolfpack ?
“J'ai débuté en octobre 2018 et je m'apprête donc à attaquer ma cinquième saison avec l'équipe. À peine avais-je officialisé mon engagement qu'un ami m'alertait sur le fait que j'allais être amené à travailler avec un futur phénomène, un certain Remco Evenepoel (rires)… Je me souviens encore parfaitement du nombre de caméras et de photographes qui l’entouraient lors de notre traditionnel media day à Calpe, cet hiver-là. C'était assez fou pour un coureur qui s'apprêtait alors tout juste à donner ses premiers coups de pédale chez les pros. Cela ne faisait que cinq à six semaines que je l'avais rencontré pour la première fois, mais cela m'avait suffit pour comprendre l'engouement qu'il suscitait (sourire).”
Que voulez-vous dire par là ?
“Remco dégageait déjà une forme de confiance et de détermination qui caractérisent la plupart des grands champions, mais qui était assez surprenant de rencontrer chez un coureur de… 18 ans ! Cela avait quelque chose d'extraordinaire, dans le sens premier du terme, mais qui laissait finalement déjà deviner la suite (sourire). Je ne suis pas psychologue, mais je me suis beaucoup intéressé au développement mental et à la façon dont les gens sont conditionnés. Et une fois qu'on a rencontré les parents de Remco et son cercle le plus proche, on comprend alors très vite qu'il a grandi dans un environnement extrêmement chaleureux, un cadre propice à son plein épanouissement, mais aussi à une forme de rapide indépendance.”
Suivrez-vous Remco à la trace durant l'intégralité de la saison ?
“Je l'accompagnerai sur la plupart de ses courses, en effet, puisque je serai présent sur le Tour de San Juan, où il ouvrira sa saison ce week-end, avant d'enchaîner avec l'UAE Tour, puis le Giro. Mais comme vous le savez certainement, Patrick Lefevere n'a jamais été partisan de créer des équipes dans l'équipe. Je ne serai donc, par exemple, pas sur les Ardennaises où ce sera ma collègue qui officiera.”
“Je suis aussi fier de l'homme qu'il est devenu que du coureur qu'il incarne.”
Ces nombreux jours passés ensemble vous permettent-ils de construire un lien privilégié avec les coureurs que vous accompagnez ?
“Oui, forcément. Même si je n'aime pas qualifier celui-ci d'amitié, car il convient parfois de savoir faire la part des choses. J'ai envoyé il y a quelques jours un message à Remco pour lui communiquer certaines infos autour de la manière dont nous allions travailler sur le Tour de San Juan. Il m'a aussitôt remercié. Cela peut apparaître très naturel et anodin, mais je vous assure qu'avec des champions de cette envergure, ça ne l'est pas nécessairement. Le Brabançon est quelqu'un d'extrêmement conscient du travail que les autres mettent en œuvre pour lui et de l'importance de celui-ci. C'est un mec chaleureux. L'autre jour, il a vu sur mon profil Strava que j'étais passé pas loin de son domicile. Il m'a alors envoyé un petit message pour me demander pourquoi je ne m'étais pas arrêté boire un café. Ça, c'est Remco, un mec bien. Après son succès sur la Vuelta, j'ai soufflé à un proche que j'étais aussi fier de l'homme qu'il est devenu que du coureur qu'il incarne désormais. Vraiment.”
Votre travail est-il devenu plus compliqué depuis le titre mondial de Remco et le surcroît d'intérêt médiatique que celui-ci a fatalement généré ?
“Je vous avoue que lors des jours qui ont suivi son sacre australien, j'ouvrais ma boîte mails avec une certaine appréhension (rires)… Le nombre de sollicitations était gigantesque ! Encore deux semaines plus tard, je recevais quotidiennement entre cinq et dix demandes émanant des médias. Je ne savais, par exemple, pas qu'il existait autant de podcasts consacrés au cyclisme dans le monde (rires). Il n'est pas toujours facile de dire non, mais c'est absolument nécessaire. C'est assez particulier pour moi, car j'ai auparavant travaillé pour une agence qui représentait des marques sportives et j'étais alors en quête d'attention médiatique. Et voilà que quelques années plus tard, je dois expliquer à des journalistes qu'il ne sera pas possible de répondre favorablement à leur requête… Je crois que si on disait oui à tout, Remco pourrait passer 24 heures sur 24 face à un micro (rires). Il nous faut donc trouver la balance la plus équilibrée possible.”
“Bien sûr que Remco a dit des bêtises à ses débuts. Mais on oubliait qu'il avait 19 ou 20 ans !”
Pour un journaliste, le champion du monde est ce qu'on appelle un bon client, car il est sincère et franc dans son discours et ne manie pratiquement jamais la langue de bois. Cela signifie-t-il qu'il est, pour vous, plus difficile à manager ?
“Non, même s'il a évidemment fait des erreurs dans sa communication à ses débuts chez les pros et dit certaines bêtises. Mais son talent sur le vélo était tel que beaucoup avait parfois tendance à oublier qu'il n'avait alors que 19 ou 20 ans. Aujourd'hui, même en privé, je ne le sens plus jamais habité par une quelconque forme de colère. Sans vouloir virer dans le discours mystique, il a vraiment atteint une sorte de paix intérieure, de plénitude. Nous n'avons jamais donné de cours de media coaching à Remco, mais l'avons plutôt guidé quand cela s'avérait nécessaire. C'est comme cela que l'on se construit souvent le mieux. Et comme pour le reste, Remco apprend vite.”
Vous parlez de la sérénité qui l'habite désormais. Pouvez-vous identifier le moment clé de ce déclic ?
“Je crois que son succès à Liège-Bastogne-Liège l'a totalement libéré. Remporter cette course constituait un réel rêve pour Remco et j'ai eu le sentiment qu'une fois atteint cet accomplissement, tout était devenu plus léger pour lui.”

Quelle est la plus forte émotion que vous avez partagé à ce jour avec Remco ?
“Je n'oublierai jamais les minutes qui ont suivi son arrivée au sommet de Puerto de Navacerrada, au terme de l'avant-dernière étape de la Vuelta, même si la puissance des émotions a quelque peu brouillé mon esprit pendant ces instants (rires). Il y a pas mal de larmes qui ont coulé ce jour-là, et je n'étais pas mécontent d'avoir des lunettes de soleil sur le bout du nez.”
Vous assumez parfois un peu le rôle de body-guard sur un Grand Tour pour Remco en éloignant les micros ou les caméras trop oppressantes, car on sait à quelle point la récupération est déterminante sur une épreuve de trois semaines…
“J'ai beaucoup appris sur le sujet lors de mon premier Tour de France, en 2019. Julian Alaphilippe y avait porté le maillot pendant 14 jours... Il faut parfois savoir montrer les crocs et dire stop à certaines interviews.”
Avez-vous un code avec Remco afin de lui faire comprendre qu'il doit clore un entretien et passer à un autre micro ?
“Le petit coup de coude dans le flanc marche assez bien (rires)... Sur la Vuelta, j'ai d'ailleurs commis un bel impair. Le jour de sa chute, Remco était assis sur une sorte de tabouret haut pour répondre à la presse. Machinalement, je lui ai mis une petite tape… mais sur le genou sur lequel il était tombé (rires). Un peu douloureux comme message.”
“Cet hiver, on a dit non à une émission télé culinaire.”
L'intérêt autour de la personne de Remco dépasse très largement le cadre du cyclisme en Belgique. Quelle est la demande médiatique la plus surprenante que vous ayez reçue dernièrement ?
“C'est vrai que des magazines de mode et de bien d'autres thématiques s'intéressent à lui. Cet hiver, nous avons dit non à une chaîne de télévision qui aurait aimé attiré Remco dans… son émission culinaire. Je dois bien dire que le fait qu'il vive désormais une bonne partie de l'année dans le sud de l'Espagne facilite tout de même une partie de mon travail. Il est plus facile d'expliquer que Remco ne pourra être présent sur une émission… Ce choix est une excellente décision sur bien des plans. En termes de terrain d'entraînement et de vie privée par exemple.”
Avez-vous noté cet hiver un intérêt médiatique émanant de ‘nouveaux’ pays ?
“Oui, tout à fait. Nous avons reçu pas mal de demandes d'interviews émanant d'Amérique du Sud et de Colombie principalement. Les émissions sportives à la radio y sont extrêmement populaires. Mais Remco a toujours bénéficié d'une certaine popularité dans cette région du monde, puisqu'il a déjà disputé le Tour de San Juan à deux reprises en Argentine et y lancera sa saison dimanche.”
Le foot en autre passion commune

La coque du téléphone personnel, représentant le blason de Manchester City, ne laisse pas planer grand doute quant aux autres affinités sportives de Phil Lowe. “C'est un oncle qui m'a emmené pour la toute première fois à Maine Road (NdlR : l'ancien stade des Sky Blues) alors que la très large majorité de ma famille supporte United, sourit le Mancunien. Depuis ce jour, j'ai du sang bleu dans les veines (rires).”
Une passion pour le football que Lowe partage avec Remco Evenepoel. “Il nous arrive régulièrement de regarder des matchs ensemble sur les courses. Cet automne, il m'a invité à l'accompagner à Anderlecht lorsqu'il a donné le coup d'envoi de la rencontre opposant les Mauves à West Ham. Nous avons déjà réfléchi à l'idée d'assister ensemble à une rencontre de City à domicile, mais cela ne s'est pas encore concrétisé. Le projet est toutefois dans les tuyaux.”