David Geeroms (soigneur d'Evenepoel) : “Je vois plus Remco que ma femme”
David Geeroms est le soigneur attitré du champion du monde. “Je fais un peu partie de sa famille”, dit-il.
Publié le 31-12-2022 à 14h37
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C’est l’histoire d’un type qui s’étonne presque quand on lui demande une interview. Son histoire, c’est celle d’un gars discret habitué à travailler dans l’ombre, à s’y maintenir avec plaisir et à ne prendre un peu de lumière que lorsque son leader gagne. On ne parle, pour ainsi dire, jamais de lui. Pourtant, il participe à sa manière à l’écriture des courses de celui qu’il couve comme le lait sur le feu.
Passionné de la petite reine depuis son plus jeune âge, David Geeroms en a fait son métier. Il l’exerce comme on vit une profession de foi : avec passion et dévotion. Aujourd’hui, cela lui permet d’accumuler les succès par procuration. De vivre des émotions incomparables à travers les résultats de son patron, Remco Evenepoel. Mais ne dites pas au champion du monde qu’il est son boss. Il voit en lui bien plus que le soigneur qui lui masse les cuisses. “Solide depuis toujours, notre relation a encore gagné en épaisseur ces dernières années”, explique d’ailleurs le vainqueur de la Vuelta.
Remco Evenepoel évoque ses ambitions pour le Giro : “Gagner au moins une étape et finir sur le podium”À tel point qu’aujourd’hui, David Geeroms est beaucoup plus qu’un simple soigneur. Il est devenu l’ami, le confident même, du phénomène de l’équipe Soudal-Quick Step.
Histoire de démontrer une fois de plus les liens très forts qui l’unissent au prodige brabançon, cet ancien employé de banque est actuellement avec lui à Calpe où ils passeront d’ailleurs ensemble le cap de l’an nouveau avant de poursuivre la préparation d’un nouvel exercice que Remco entamera fin janvier au Tour de San Juan (du 22 au 29).
Dans ce coin d’Argentine, Geeroms effectuera au quotidien les gestes qu’il connaît sur le bout des doigts. Il sera à l’écoute des états d’âme du champion, le rassurera si nécessaire. Bref, il apportera sa contribution aux succès du dernier lauréat de Liège-Bastogne-Liège.
David, depuis quand êtes-vous soigneur pour le Wolfpack ?
”J’ai commencé en 2016 et j’exerce cette fonction à temps plein depuis 2020. Avant, je travaillais dans une banque, mais j’ai toujours eu un goût très prononcé pour le cyclisme et tout ce qui tourne autour. Du coup, quand j’ai eu la possibilité de rejoindre l’équipe de Patrick Lefevere, je n’ai pas hésité. Et il y a trois ans, j’ai eu la chance de pouvoir en faire mon métier. J’en suis très heureux.”
Vous êtes désormais le soigneur attitré de Remco Evenepoel. Comment en êtes-vous arrivé là ?
”En fait, ça s’est presque fait naturellement. Je connais Remco depuis qu’il est né. Déjà à l’époque, j’étais un grand ami de ses parents. On vivait près les uns des autres. Et puis, j’avais noué une relation amicale avec Patrick à l’époque où nous roulions ensemble dans la même équipe chez les amateurs.”
"Parfois, je sens qu’il ne faut pas trop lui parler parce qu’il est dans sa bulle."
En quoi consiste exactement votre rôle près de Remco ?
”Je n’ai jamais vraiment analysé ce que je faisais ou pas pour Remco. Comme je viens de vous le dire, je le connais depuis toujours. Notre relation dépasse clairement le stade du cyclisme. On se voit aussi pas mal en dehors des courses. Mais pour répondre à votre question, je ne me contente pas de lui masser les jambes avant ou après une course. Je suis un peu son homme de confiance. Je suis là pour l’écouter, pour échanger aussi, sur tous les sujets dont il souhaite parler. Parfois, je sens qu’il ne faut pas trop lui parler parce qu’il est dans sa bulle. En revanche, à d’autres moments, il éprouve le besoin de se détendre en rigolant. Je m’adapte naturellement parce que ce n’est pas nouveau pour moi. Je pense qu’il est content de la manière dont nous travaillons ensemble. C’est sans doute aussi vrai parce que notre relation sort largement du cadre du travail. On se parle toujours comme deux amis le font. On se connaît très bien, cela aide.”
Parlez-vous davantage de vélo que de choses privées ?
”Non, pas du tout. Cela dépend du moment, du contexte, du résultat aussi de Remco. Parfois, il veut parler de vélo et rien que de ça. Mais la plupart du temps, nous abordons différents aspects de nos vies respectives. Durant la Vuelta, nous avions inconsciemment mis une routine en place. Après l’étape, nous faisions le débriefing du jour pendant une petite dizaine de minutes. Après, nous passions à tout autre chose. Au fil des jours, j’ai remarqué que c’était le meilleur moyen pour qu’il reste calme. Remco a besoin de parler des choses de la vie, même après une course. Cela fait partie de son équilibre. Nous parlons aussi beaucoup d’Anderlecht, dont nous sommes deux fervents supporters. Mais bon, ces derniers temps, j’ai un peu évité le sujet, car les résultats ne sont pas terribles (rires).”
Quel genre de patron est Remco ?
”Il ne cherche pas à montrer qu’il est le patron, même si c’est le cas. Il dit clairement ce dont il a besoin, mais toujours calmement. Cette saison, il est devenu beaucoup plus calme et serein qu’avant. Il n’est plus aussi fougueux ou impulsif. Il est davantage dans l’analyse. Et très souvent, elle est juste. Il a également appris à prendre du recul sur les événements, à les accepter aussi quand il le faut. S’il estime avoir commis une erreur, il l’assume et cherche immédiatement à ne plus s’en rendre coupable la fois d’après.”
"On fait une petite compétition de Darts entre nous. Pour le moment, il mène 5-4."
Vous arrive-t-il de lui donner des conseils ? Vous écoute-t-il ?
”Je lui donne mon avis quand il me le demande. Alors, il m’écoute même si la décision qu’il prendra par la suite n’ira pas forcément dans ce sens-là.”
Il y a donc aussi des moments où il vaut mieux ne pas lui parler ?
”Oui, oui, bien sûr. Comme tous les grands champions, quand il est déçu, il faut le laisser tranquille. Mais ce n’est jamais arrivé durant les trois semaines de la Vuelta. Même quand il a connu des jours plus difficiles, comme lors de sa chute.”
On dit Remco exigeant, mais généreux avec son équipe…
”C’est tout à fait ça. Il a des objectifs très élevés qu’il partage avec ceux qui l’entourent. Et chaque fois qu’il en atteint un, il se montre toujours reconnaissant envers eux. Pour lui, c’est naturel de remercier les gens avec qui il bosse. Le dimanche soir, quand il a gagné la Vuelta, il a eu un mot pour chaque équipier et membre du staff. Et il n’a pas dû se faire violence pour y parvenir. À Madrid, au soir de sa victoire finale, il m’a offert un maillot rouge. Je pense que c’est parce qu’il fait preuve d’autant de gratitude qu’il est apprécié de tous, ce qui n’est pas le cas de tous les leaders.”
Dans quel état d’esprit était-il le soir de son triomphe à la Vuelta ?
”Il était assez calme. D’autres, au sein du groupe, étaient beaucoup plus euphoriques que lui. J’ai été impressionné par la sérénité qu’il dégageait à sa descente du podium. Au cours des trois semaines, je ne l’ai senti nerveux qu’une seule fois. Le dernier vendredi soir. Le lendemain, c’était l’avant-dernière étape, la plus importante de toutes. Il savait qu’il était en passe de réaliser quelque chose d’historique, mais qu’il pouvait encore tout perdre.”
Le samedi, à l’arrivée de cette étape décisive au sommet du Puerto de Navacerrada, il est tombé dans vos bras juste après avoir franchi la ligne. On se souvient de ses larmes à ce moment-là…
”Oh, il y en a aussi eu lors de sa victoire à Liège. J’ai la chance d’être le premier sur le coup à chaque fois (rires). Mais l’émotion ressentie en Espagne était unique. C’est assurément, pour moi, le moment le plus émouvant de son année. Parce que cela faisait trois semaines qu’il se battait pour ça. Et puis, la Belgique attendait depuis si longtemps une victoire dans un grand tour ! Remco savait tout ça. On a tous ouvert les vannes ce jour-là. Je suis aussi quelqu’un de très émotif. Donc, on pleure souvent. Heureusement, ce sont plus souvent des larmes de joie que de tristesse. À cet égard, sa chute au Tour de Lombardie (en août 2020) reste un souvenir très douloureux pour moi.”
Pour vous, sa sérénité actuelle vient-elle davantage de sa chute en Lombardie ou de son succès dans la Doyenne, en avril dernier ?
”Ce sont deux étapes importantes dans son évolution. Son accident en Italie lui a permis de relativiser des choses qu’il jugeait, à tort, fondamentales. Il est devenu plus adulte ce jour-là. Il a compris que la vie pouvait basculer d’un jour à l’autre. Sa victoire à Liège a constitué une vraie délivrance pour Remco. Il en a retiré une énorme confiance en lui. C’est là que s’est opéré le plus grand changement comme coureur.”
Il paraît que Remco et vous jouez aux Darts ?
”Oui, c’est vrai. On fait une petite compétition de Darts entre nous. Pour le moment, il mène 5-4. Mais bon, on n’a pas la possibilité de jouer chaque semaine. Il a emmené une cible chez lui à Calpe où j’espère bientôt égaliser. Ça le fera râler parce qu’il n’aime pas perdre (rires).”
"Il m’annonce souvent quand il va remporter une course. Et il se trompe rarement."
Un soigneur nous a, un jour, expliqué que le matin, il savait dire si son coureur était en forme ou pas. Il sentait ça rien qu’en lui massant les cuisses…
”Avec Remco, c’est plutôt le contraire. Je peux sentir que ses jambes sont plus dures que d’habitude, mais ça ne l’empêche pas de gagner. En revanche, lui m’annonce souvent quand il va remporter une course. Et il se trompe rarement.”
Finalement, vous accompagnez Remco partout…
”Oui, je vois plus Remco que ma femme. En quelque sorte, nous faisons partie de la même famille.”
Parvient-il encore à vous surprendre ?
”Oui. Qu’il gagne une grande classique ou un championnat du monde est exceptionnel et s’il est en forme, il est capable de battre tout le monde sur une course d’un jour. Le plus étonnant, c’est qu’il a pu tenir trois semaines en tête de la Vuelta. Ça, on ne s’y attendait pas forcément, et lui non plus.”