Analyse: pourquoi les coureurs cyclistes de grands Tours sont de plus en plus maigres
Une étude prouve que l’indice de masse corporelle des meilleurs cyclistes des grands Tours ne cesse de baisser. Pourquoi cette tendance est-elle si marquée et où s’arrêteront-ils?
Publié le 25-05-2023 à 05h00
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La gravité est l’ennemie du cycliste. Essentiellement quand les cols s’enchaînent comme lors de cette fin de Tour d’Italie. Les scientifiques et ingénieurs défient chaque année les lois de la nature à coups d’innovations, mais celle de la pesanteur dans les cols reste immuable et force les coureurs à d’énormes efforts sur leur poids pour rester concurrentiel.
"Le cyclisme est basé sur une donnée clé: le rapport poids-puissance, résume Serge Pieters, diététicien et nutritionniste du sport, et accompagnateur de nombreux sportifs belges de haut niveau. Les watts par kilo définissent la performance dont est capable un sportif dans une côte. Et comme il n’est pas possible de jouer sur le poids de son vélo (NdlR: minimum 6,8 kg selon les règles de l’Union cycliste internationale), de ses os ou encore sa taille, c’est dans le pourcentage de masse grasse qu’on fait la différence."
Un homme lambda présente une masse grasse comprise entre 10 et 15% de son poids, soit entre 8 et 12 kg pour une personne de 80 kg. "Et même un peu plus en Belgique où il y a un problème de surpoids", précise Pieters. Les sportifs de haut niveau descendent largement sous cette barre. "On parle de 5 ou 7%, voire moins. Comment? En diminuant leur pourcentage de graisse sans toucher à leur masse musculaire et principalement du bas du corps."
Les coureurs de grands De plus en plus maigres
Primoz Roglic pèse 65 kg pour 1,77m. Joao Almeida 63 kg pour 1,78m, et Geraint Thomas dépasse tout juste 70kg pour 1,83m. Un rapide calcul permet de définir leur indice de masse corporelle (IMC) entre 19,8 pour le Portugais et 20,8 pour le Gallois. On est donc loin d’être sous la barre des 18,5 qui indique un problème de poids. Et pourtant, depuis 30 ans, l’IMC des coureurs de grands Tours ne fait que chuter.
Une équipe de chercheurs de l’université de Berne (Suisse) a calculé l’IMC du top 5 des trois grands Tours (Espagne, Italie et France) de 1992 à 2022 avec comme conclusion une chute de l’IMC. Jusqu’à 2010, l’IMC des coureurs était supérieure à 21. Elle tend progressivement à rapprocher des 20. Serge Pieters met toutefois en garde sur ces calculs : "L’IMC est une statistique de base mais elle n’est pas personnalisée. La physiologie de chacun est différente."
Éviter l’effet contre-productif
Les coureurs seront-ils plus légers à l’avenir? La tendance globale est toutefois significative d’un besoin de légèreté pour maximiser ses watts par kilos. La perte de poids a toutefois ses limites. "Les coureurs qui descendent trop bas dans leurs graisses peuvent atteindre un stade contre-productif qui impacte leur système hormonal, dit Pieters. Cela engendre plus de dépressions et augmente le risque de surentraînement. La performance est diminuée et la santé est mise en danger."
La santé mentale est une donnée clé chez les cyclistes. Tom Dumoulin et Marcel Kittel sont des exemples récents. Les deux coureurs ont pris leur retraite de manière anticipée à cause d’un ras-le-bol psychologique. D’autres sont tombés dans le piège des troubles de l’alimentation à cause de ce besoin constant de perdre du poids. "Je me sentais coupable de prendre une bière et je ne mangeais pas avant l’entraînement, le lendemain, a expliqué Rohan Dennis à The Adelaide Advertiser. Je ne pouvais donc pas m’entraîner correctement et je mangeais peu par la suite."
Un cercle vicieux.
"Cela me fait penser que nous arrivons à une limite, reprend Pieters. Descendre sous la tendance actuelle augmente les risques pour la santé. Les équipes sont de plus en plus vigilantes au bien-être de leurs coureurs."
Michael Librenz, l’un des deux auteurs de l’étude, nous a d’ailleurs précisé par mail qu’il pense que "cette tendance pourrait pousser les athlètes à adopter de mauvais comportements alimentaires qui pourraient mettre en danger leurs performances à court et long terme, écrit le chercheur de l’université de Berne. J’ignore si cette baisse d’IMC se poursuivra mais la pression de la performance, entre autres, pourrait pousser les athlètes plus loin dans leur perte de poids. Nous demandons d’ailleurs à l’UCI de considérer l’implémentation de mesures de protection du bien-être des cyclistes."
Grimpeurs et aérodynamisme
Certains coureurs font office d’exception. Hugh Carthy, présent sur le Giro, possède une IMC de 18,9. Chris Froome affiche également un tel rapport poids-taille.
"Dans le cas d’un grimpeur, par exemple, il est possible de moduler son poids en fonction de son gabarit et de ses caractéristiques, analyse Serge Pieters. Le type de course joue aussi beaucoup. Un directeur d’équipe peut demander à un coureur de perdre quelques kilos pour un exercice spécifique. Mais je ne conseille pas de maintenir un poids trop faible au long de l’année. Ce n’est pas sain."
Le poids ne sera pas l’unique élément à faire la différence dans les dernières étapes de montagne. De plus en plus, la recherche d’aérodynamisme permet de gratter quelques secondes dans les bosses. Les vélos ont été améliorés comme les maillots et la position des coureurs. Des gains marginaux qui comptent dans les pentes, surtout les plus roulantes.
L’équipe autour des coureurs est aussi cruciale. Et pas uniquement sur le plat. Le gros relais de Sepp Kuss pour Primoz Roglic ou celui de Jay Vine pour Almeida sur les pentes du Monte Bondone l’ont prouvé. Bert Blocken, spécialiste de la question à l’université d’Eindhoven, avait expliqué lors d’une étude qu’un coureur dans une pente à 8% réduisait de 46% sa résistance aérodynamique. Pour des formats proches du 1,80 m comme les trois leaders du Giro, on parle d’un gain estimé de plus de 30 watts une fois calé dans la roue d’un équipier. Pas anodin.