Les métiers de l'ombre (5/6) - Kiné : « Certains athlètes feraient de super biomécaniciens »
L’ostéopathe Julien Scheuer (34 ans) travaille avec Nafi Thiam et bien d’autres sportifs depuis quelques années.
Publié le 02-01-2023 à 06h00
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Depuis sept ans, nombreux sont les athlètes francophones de haut niveau, de Nafi Thiam à Eliott Crestan en passant par Soufiane Bouchikhi, à s’être succédé sur la table de Julien Scheuer. Ce kiné-ostéopathe français de 34 ans, qui reçoit au Centre Physio Sport d’Oupeye, participe à sa manière, au travers de son métier, aux performances et aux succès des élites de notre athlétisme.
"À l’époque, j’avais fait un remplacement pour un stage à Spa. Et quelque temps plus tard, Stéphanie Noël, alors responsable du haut niveau à la LBFA, m’avait demandé d’accompagner les jeunes à Reims. Parmi ceux-ci, il y avait Thomas Carmoy, Eliott Crestan ou encore Elise Vanderelst. L’idée était que je les suive d’année en année afin de les connaître le mieux possible avant leur arrivée chez les pros."
Une mission taillée sur mesure pour ce licencié en éducation physique arrivé en Belgique en 2008, en provenance du Lavandou, afin d’accomplir ses études de kiné. Il a, ensuite, suivi différentes formations chez nous.
"Après la kiné, j’ai enchaîné avec la thérapie manuelle sportive et l’ostéopathie, qui sont des spécialisations longues, puis j’ai fait d’autres formations plus courtes, dont le dry-needling (NDLR : la puncture par aiguille sèche), explique Julien Scheuer. En ce moment, je me forme aussi à la prévention des blessures en course à pied à la clinique du Coureur. Vous savez, à l’heure actuelle, il faut posséder un bagage énorme pour s’occuper d’un athlète. Avec Nafi Thiam, par exemple, je ne vais pas faire que de l’ostéo, je vais faire aussi de la kiné, je vais mobiliser, etc. On ne peut plus se cantonner à un seul aspect des choses. Notre métier évolue tout le temps ! À l’école, on t’apprend une certaine base, mais rien ne remplace le terrain. Acquérir une certaine maîtrise prend du temps, ça vient avec l’expérience."
Sa pratique a, dès lors, fortement changé depuis ses débuts. "Je suis plutôt footeux à la base, mais l’athlétisme m’a énormément ouvert l’esprit et m’a permis d’avoir un regard différent sur la biomécanique, reprend notre interlocuteur. J’ai, par exemple, eu la chance d’accompagner le groupe de Jacques Borlée lors de différents stages, en remplacement de leur kiné attitré Didier Verhasselt qui m’a intégré dans le team, et ce qui me frappe chez les athlètes de haut niveau, à l’image de ses fils Kevin, Jonathan et Dylan, c’est la connaissance incroyable qu’ils ont de leur corps. Avec tout ce qu’ils ont appris, ils pourraient faire de super biomécaniciens ! Ils sont très proactifs. Quand ils ont un petit blocage, ils en trouvent par exemple assez facilement l’origine. Et ils savent jusqu’où leur corps peut aller ou quand il faut lever un peu le pied."
Ce sont également l’expérience du terrain et la pratique qui façonnent la relation que le kiné entretient avec les différents sportifs dont il s’occupe. "Chaque athlète va ressentir les choses différemment. Je sais comment fonctionner avec Nafi, comment fonctionner avec Soufiane et ce sera complètement différent de la manière dont je fonctionne avec Kevin, Jo ou Dylan par exemple. Tous les corps sont différents ! Même les jumeaux ne sont pas du tout pareils."
Les échanges avec les athlètes constituent sans doute l’aspect du métier que Julien Scheuer préfère. "C’est vraiment un partage. Je discute avec eux de la manière d’améliorer telle ou telle chose, on réfléchit pour trouver l’origine d’un problème et pour dégager des solutions. Ce n’est pas toujours évident ! Mais quand on trouve la solution, c’est un bonheur. Dans le sport de haut niveau, le moindre coup d’arrêt dans la préparation se révèle très ennuyeux, du coup on est toujours sur un fil. Mais ça vaut le coup ! Quand j’ai vu la vidéo des frères Borlée qui allaient poursuivre encore deux saisons, jusqu’aux Jeux olympiques de Paris, je me suis dit que c’étaient vraiment des mecs en or. Quelle carrière ! Des gens comme ça, il faut les aider, même si c’est juste une fois dans l’année."
En championnats, le stress est forcément plus présent, mais le travail du kiné reste globalement le même. "À travers les manipulations, on sent que la tension est beaucoup plus présente dans ces moments-là. Aux Mondiaux d’Eugene, en juillet dernier, cela s’est très bien passé entre les quatre kinés présents. Tout le monde se connaissait, le travail était bien réparti. C’est important parce que les athlètes ne vont généralement pas chez un kiné qu’ils ne connaissent pas. Je me souviens qu’à mes premiers championnats, quasi tous les athlètes allaient voir Davy Lambrechts et je n’ai pas compris tout de suite pourquoi. Heureusement, j’avais Cynthia (Bolingo), Robin (Vanderbemden) et quelques autres qui venaient chez moi (rires)… Depuis, un stage fédéral a été organisé à Belek et cela a permis de briser certaines barrières. Un véritable esprit de groupe s’est mis en place, ça a soudé tout le monde. J’avais, par exemple, noué une relation de confiance avec Eline Berings, puis je me suis occupé un peu de Ben Broeders. Quand un athlète essaie et qu’il est content, en général, il reste."
Le kiné-ostéo, à qui il ne déplairait pas d’intégrer un jour le staff médical du Team Belgium, dit "s’être nourri" des expériences successives qu’il a eu la chance de vivre dans le milieu de l’athlétisme. "Par rapport à la vie privée, ce n’est pas toujours évident parce que je bosse énormément – je fais 7h-22h tous les jours – et que je m’adapte au maximum aux horaires des sportifs dont je m’occupe. Mais c’est un métier très enrichissant. Est-ce que je fais aussi du bien au mental des sportifs ? Je ne suis évidemment pas psychologue mais, dans mon rôle, on doit en tout cas toujours veiller à dégager des ondes positives. Si quelque chose ne va pas, on en parlera plutôt au médecin ou au coach…"