Cyclisme - Les métiers de l’ombre du sport (4/6) : les guideurs du peloton
Veiller à ce que la course cycliste arrive à bon port en empruntant le bon itinéraire, tel est le rôle des flécheurs.
Publié le 29-12-2022 à 06h00
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Le cyclisme sur route est un sport particulier. Les compétitions n’ont pas lieu dans un endroit délimité, comme un stade, un terrain, une patinoire ou un vélodrome. Ni sur un circuit dessiné sur quelques kilomètres comme ceux de cyclo-cross ou de Formule 1. La course cycliste est itinérante. Elle se lance en peloton d’un point A pour désigner le vainqueur à un point B, celui de l’arrivée. Entre ces deux points, la distance peut être longue sur un tracé qui traverse de nombreuses communes, plusieurs régions, voire pays.
Les coureurs qui connaissent le parcours ont un avantage: ils se font moins facilement piéger, savent où ils peuvent récupérer, reprendre leur souffle et quand ils doivent remonter aux premières places avant un endroit stratégique, une côte, un secteur pavé ou une ligne droite exposée à un vent latéral. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les coureurs reconnaissent à l’avance le parcours des plus grandes épreuves. Mais il n’y a pas que pour les cyclistes que l’itinéraire est important. Il doit être précis pour l’ensemble du cortège de la course, pour le bon déroulement de l’épreuve. Pour le véhicule qui ouvre la compétition, pour les voitures de la sécurité, de la police, pour les signaleurs mobiles, pour les voitures des directeurs sportifs, celles des commissaires ou du camion balai…
Loin des projecteurs, et bien avant le passage des coureurs, il y a une équipe qui se charge du fléchage de la course. Sur toutes les épreuves. "Cela fait une vingtaine d’années que je place des flèches", nous raconte Pierre Huys, actif sur le Tour de Wallonie ou sur le Grand Prix de Wallonie. "C’est effectivement un travail de l’ombre, en préparation de la course, mais qui est important. Si on se trompe, si on ne place pas de manière claire une flèche à certains endroits, cela peut provoquer une erreur de parcours…" Un cas de figure qui s’est déjà produit, avec des coureurs échappés qui n’empruntent pas la bonne route ou même parfois avec un peloton qui prend la mauvaise direction, comme cela était arrivé sur l’Eneco Tour (l’ancien nom du Tour du Benelux), en 2005, sur l’étape Landgraaf-Verviers. "Heureusement, cela ne nous est jamais arrivé !" souffle Pierre Huys.
Comment fonctionne son rôle, comment se déroule le fléchage d’une course cycliste ? "Nous travaillons en deux fois", répond celui qui travaille au quotidien comme responsable administratif à l’ASBL Futur Aux Sports, à Mouscron. "On réalise un préfléchage plusieurs jours avant la course. Et on repasse sur le parcours le jour J, trois à quatre heures avant le passage des coureurs, pour compléter ou ajuster le flé chage. On reçoit de l’organisation le parcours, sur feuille. Un itinéraire avec un descriptif, mentionnant les points particuliers, les directions à prendre aux carrefours… On part à trois ou à quatre. Un qui roule, un qui prépare le matériel à l’arrière du véhicule, moi je regarde le parcours et les endroits où placer les flèches. Bon, après vingt ans, je commence à connaître par cœur certains endroits… On indique les directions principales dans les carrefours. La base, c’est de mettre une flèche avant le changement de direction, une au changement et une après pour confirmer que c’est la bonne route. Le matin de la course, on refait le fléchage trois à quatre heures avant le passage de l’épreuve. On rajoute des flèches quand cela ne nous semble pas suffisamment clair, on vérifie que tout est bien en place. On doit parfois remettre une flèche qui a été enlevée entre notre premier passage et le jour de la course. On peut aussi devoir remettre dans le bon sens un panneau qui aurait été tourné par le vent. Ou réagir si une camionnette s’est garée devant la flèche préalablement placée. On doit veiller à placer la flèche assez haut, au-dessus des voitures, pour qu’elle soit bien visible, mais pas trop haut non plus, pour faciliter le boulot du déflécheur." Car il y a deux équipes. Une qui travaille avant la course et une qui bosse et reprend les flèches après l’épreuve, qu’elle redonne à l’équipe de Pierre Huys au soir.
400 flèches en moyenne sur une course de 200 bornes
Combien de panneaux sont placés sur le parcours ? "On met en moyenne 400 flèches sur une course de 200 kilomètres. Quand nous plaçons nos panneaux, nous sommes à une moyenne de trente kilomètres/heure. Cela nous prend donc la journée. Mais après, on voit l’arrivée. Sur une course par étapes comme le Tour de Wallonie, on rejoint ensuite l’hôtel et on repart le lendemain pour l’étape suivante. C’est le côté convivial du cyclisme: on loge à l’hôtel avec les membres de l’organisation, parfois même avec des coureurs. On vit l’intérieur de la course. Cela me plaît, comme j’ai toujours aimé le cyclisme. On passe donc beaucoup de temps pour ce rôle, mais c’est très convivial quand on fait ça avec des copains. On passe toujours de bons moments ensemble, sur la route et une fois que notre boulot est terminé, à pouvoir rester sur la course et à nous retrouver à l’hôtel."
La révolution du Colson
Quand il a commencé, placer des flèches prenait plus de temps qu’aujourd’hui… "Il y a vingt ans, on attachait les panneaux avec du fil de fer qu’il fallait serrer avec une tenaille… Cela prenait un temps fou. Les Colson ont bien facilité le travail." Le jour de la course, il faut bien gérer le timing: bien suivre l’évolution de l’épreuve. "Il y a toujours une petite part de stress quand on sent que la course se rapproche. Mais nous veillons toujours à démarrer avec assez d’avance. Quand l’écart diminue trop, on profite des portions sur des nationales en ligne droite pour reprendre de l’avance. On a eu quelques épisodes plus compliqués, quand nous avons manqué de flèches par exemple et qu’il avait fallu trouver une solution. Mais cela s’est toujours bien passé. On s’amuse, aussi, entre nous. Une fois, nous avions fait une pause, à Bouillon, après trois ou quatre heures de route, pour boire un verre. On avait encore deux heures d’avance sur l’horaire. J’étais parti aux toilettes quand un copain m’a fait une blague. C’était encore l’époque de la voiture ouvreuse au son de Rodania. Il avait enregistré le son Rodania sur son téléphone et l’avait mis en haut-parleur. J’ai vraiment eu peur, j’ai vraiment cru que la course arrivait. J’ai couru vers la voiture en leur criant: ‘Ils sont là, ils sont là’…"