Tennis - Sparring-partner, un métier de l'ombre : «S’adapter aux attentes du joueur et de son coach»
Renvoyer la balle le plus souvent possible et de la bonne manière, voilà le rôle du sparring-partner dans le monde du tennis.
Publié le 28-12-2022 à 06h00
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Si le tennis est par essence un sport individuel où l’athlète de haut niveau est mis en avant quand il remporte des tournois, il ne faut pas oublier que derrière chaque grand champion se cache une équipe qui consacre l’essentiel de son temps au bien-être de son protégé. Si l’entraîneur, le kiné, le médecin, le préparateur physique ou le coach mental sont régulièrement mis en avant, il y a un métier qui, lui, demeure plus dans l’ombre. Lequel ? Celui de sparring-partner.
Dans le staff des meilleurs joueurs de la planète, ce partenaire d’entraînement dont le rôle est déterminé par le coach doit servir d’opposition dans la préparation des matchs. L’idée étant à un moment de reproduire, si possible, les caractéristiques et les coups du futur adversaire de son joueur.
Cette mission, elle revient généralement à d’anciens espoirs du tennis qui n’ont pas percé pour une raison ou une autre mais qui continuent de graviter dans le milieu de la petite balle jaune.
Un peu comme notre compatriote Seppe Cuypers qui a connu une magnifique histoire avec Naomi Osaka lors du sacre de la Japonaise à Melbourne en janvier 2021. Ancien espoir du tennis belge, il a participé à l’Australian Open chez les juniors, le Limbourgeois qui a arrêté le tennis en 2017 pour se consacrer à ses études et s’orienter vers le coaching, a été contacté par le staff de l’ancienne numéro un mondiale.
"Le partenaire d’entraînement régulier de Naomi Osaka, un Brésilien, a eu des problèmes avec son visa, et cela m’a amené dans son équipe, a expliqué notre compatriote après son expérience Down Under qui s’est prolongée par la suite sur d’autres tournois comme Roland-Garros et l’US Open. À l’époque, j’ai reçu un appel de Wim Fissette, l’entraîneur de Naomi, qui est aussi Belge. Nous nous connaissions de la Wilson Tennis Academy de Genk. Cela me semblait être un travail qui me convenait. C’est une opportunité que je ne pouvais évidemment pas laisser passer. Pouvoir tout vivre de l’intérieur, en première ligne, dans un tournoi du Grand Chelem, c’était bien sûr un rêve."
Un rêve qui a failli ne jamais se réaliser car à cause des restrictions liées au Covid-19, l’entrée sur le territoire australien avait été soumise à des règles très strictes. Au départ, les joueurs ne pouvaient amener sur les courts qu’un seul membre de leur staff.
"Mais deux semaines avant le tournoi, j’ai reçu un appel téléphonique pour me dire que les trois meilleurs mondiaux, hommes et femmes, pouvaient se préparer à Adélaïde avec plusieurs membres de leur équipe pour s’entraîner."
La quarantaine de 19 heures par jour imposée par les autorités locales a permis à notre compatriote de s’intégrer plus facilement dans le staff de Naomi Osaka : "Nous étions à l’intérieur d’un hôtel où un étage nous avait été loué. Cette période de quarantaine, aussi ennuyeuse soit-elle, avait ses côtés positifs. Naomi était un peu timide au début. Et donc ces deux semaines de quarantaine ont été utiles. Cela m’a donné le temps de mieux la connaître."
Si des moments de détente alimentaient les heures creuses à l’hôtel, Seppe Cuypers devait afficher une grande rigueur dans le travail lors des entraînements.
"Je devais m’assurer que Naomi ressentait un très bon feeling quand on s’entraînait. Je devais proposer un tempo de jeu plus rapide qu’elle. Mon objectif était de l’obliger à toujours sortir son meilleur jeu. Il fallait aussi que je m’adapte aux spécificités du tennis féminin. Les femmes jouent des balles plus basses et plus proches du filet. En tant que partenaire d’entraînement, vous devez imiter cela le plus possible. Il est bien sûr aussi important de ne pas rater trop de balles. On doit être performant lors de chaque séance."
Et quand on est le sparring-partner d’une star du circuit, on vit au quotidien comme chaque membre de l’équipe : "Après une période d’adaptation, car Naomi est une fille assez timide, j’ai vraiment senti que je faisais partie de l’équipe. Lorsque nous avons pris l’avion pour l’Australie, nous étions dans le même vol que Rafael Nadal, Dominic Thiem et Novak Djokovic. Ce sont des gars sympathiques. À cause des mesures liées au coronavirus, il était difficile de les aborder, mais ils n’étaient pas du tout hautains."
Une fois dans l’équipe et installé dans le box de la joueuse lors des matchs, le sparring vit le stress de la compétition comme tout autre membre du staff : "Tout a failli virer au cauchemar quand Naomi a concédé deux balles de match au quatrième tour contre Garbine Muguruza. En fin de compte, cela s’est avéré un tournant favorable dans le tournoi. La demi-finale qui a suivi contre Serena Williams a été un énorme affrontement. Serena était vraiment la superstar du tennis féminin et vous le remarquez immédiatement dans la tension entourant le match. Et puis il y a la fantastique apothéose contre Jennifer Brady en finale. Lors des matchs, vous ne pouvez pas échauffer votre joueuse sur le court, donc vous ne pouvez pas vraiment faire grand-chose. Vous essayez d’être le meilleur partisan de votre joueuse et de la soutenir. Je dois avouer que lors de la finale, j’ai eu mal au ventre à cause de la nervosité. Après la balle de match victorieuse, beaucoup de poids tombe de vos épaules. C’est vraiment une sensation merveilleuse."
Et au moment de la fête post-titre, le rôle du sparring-partner n’a pas été oublié : "Naomi m’a beaucoup et largement remercié, tout comme son entourage."
Voilà pour les meilleurs joueurs de la planète qui peuvent se permettre financièrement de s’attacher les services d’un sparring-partner pendant plusieurs semaines. Pour les autres, c’est un peu le monde de la débrouille. Soit le coach s’arrange pour trouver un autre joueur sur la compétition pour effectuer des entraînements en commun, soit les joueurs peuvent utiliser des partenaires d’entraînement qui sont prévus par l’organisation des tournois. Ou, dernière option, le coach est capable de prendre la raquette et de donner le change à son joueur.
200 € par jour pour jusqu’à 6h de travail sur les courts
Sur un Grand Chelem comme Roland-Garros, par exemple, une dizaine de joueurs sont utilisés par les organisateurs pour répondre aux demandes des pros. Les sparrings reçoivent un programme chaque soir avec leurs missions du lendemain. Soit pour des échauffements soit pour des séances complètes. Une journée pouvant compter en début de quinzaine jusqu’à six heures de travail sur les courts. La rémunération évolue, elle, selon le niveau du sparring-partner et peut montrer jusqu’à 200 euros la journée en plus d’un accès aux restaurants du site et la prise en charge des cordages. Si l’aspect financier joue un rôle dans ce travail, c’est surtout l’expérience de pouvoir taper avec des stars du circuit qui dicte l’envie d’endosser ce métier par intermittence.
"On tente d’être le plus parfait possible", expliquait dans divers médias le Français Thibault Venturino qui a endossé le rôle de sparring à plusieurs reprises lors du Grand Chelem français mais aussi sur d’autres tournois tout en collaborant avec des joueurs de haut niveau. "On tente de faire frapper le plus possible notre joueur et de répondre aux demandes du staff. On ne veut pas rater une balle. Mais il ne faut pas trop réfléchir sinon on risque de se louper. Quand on se retrouve face à une de nos idoles, on ne doit pas trop y penser. La première fois, bien sûr qu’on est stressé. Puis, petit à petit on se rend compte que les stars du circuit sont des humains et souvent ils sont assez décontractés. La seule chose qu’on doit faire, c’est bien se concentrer et réaliser un bon entraînement. Fouler les terrains de Roland-Garros pendant le Grand Chelem, par exemple, cela reste quelque chose de spécial. C’est un lieu historique."
Voilà le fonctionnement dans un Grand Chelem. Pour les compétitions d’une envergure moindre, comme l’ATP 250 d’Anvers, la donne est différente mais les organisateurs tentent toujours de faire plaisir, dans la mesure de leurs moyens, aux joueurs. Responsable du bureau des joueurs sur le tournoi anversois depuis plusieurs années, l’ancienne médaillée olympique, Els Callens, explique comment leur organisation fonctionne.
"Au début du tournoi, le rôle de sparring est effectué par les joueurs qui ne sont pas rentrés dans le tableau. Une fois que les réservistes sont partis, l’organisation fait venir sur le tournoi un joueur pour endosser le rôle de sparring. Ce dernier est là pour échauffer les joueurs qui n’ont pas de sparring particulier ou chez qui l’entraîneur n’est pas capable de taper dans la balle. On doit prévoir quelqu’un et c’est un joueur série A en Belgique."
Bien évidemment il n’est pas toujours possible de faire plaisir à tout le monde, ce qui peut engendrer des petites tensions : "En 2020, un joueur était fâché car aucun sparring n’était disponible. Je lui ai dit que j’avais ma raquette dans la voiture et que je pouvais aller la chercher. Puis j’ai demandé à Yannick Mertens qui passait par là de l’échauffer."
La mission de sparring-partner s’assimile parfaitement à un rôle de l’ombre. Mais le compagnon d’entraînement des stars du circuit ou des pros de l’ATP et de la WTA ne peut pas se résumer à un simple rôle de sac de frappe. Il est l’un des rouages qui permet aux sportifs de haut niveau de briller.