Entretien avec les jumeaux Borlée: "Les JO de Paris? On aura la réponse cette saison"
Kevin et Jonathan Borlée ne savent pas encore s’ils continueront jusqu’aux JO 2024.
Publié le 17-02-2022 à 07h05
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Depuis la finale du 4x400m des Jeux olympiques de l’été dernier à Tokyo, Kevin et Jonathan Borlée se sont faits très discrets. Par besoin de souffler, de digérer la déception d’une nouvelle quatrième place olympique.
À bientôt 34 ans (le 22 février), ils sont repartis pour un tour de piste. Parce qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot et que l’envie de relever des défis demeure omniprésente. Jusqu’à quand repartiront-ils au combat? "Nous sommes en plein questionnement", reconnaissent-ils. Entretien à bâtons rompus alors qu’ils seront mis à l’honneur, ce jeudi soir, par la commune de Woluwe-Saint-Pierre.
Quand avez-vous repris les entraînements?
Jonathan: Début novembre. Ce n’est pas plus tard que d’habitude. C’est juste que l’on a vraiment coupé pendant de longues semaines. Moi, je n’ai rien fait après les Jeux. Donc, j’ai eu trois mois de repos. J’ai complètement mis off. Il fallait que je me ressource, que je déconnecte. Je me suis éloigné des réseaux sociaux, je n’ai pas suivi les infos parce que j’étais fatigué du négativisme lié au Covid-19. Je conseille à tout le monde de le faire.
Kevin :Moi, je me suis entraîné jusqu’au début septembre pour le Mémorial Van Damme (NDLR : il a finalement déclaré forfait). Après, j’ai également coupé. J’en avais besoin. Sans doute plus que les autres années. Cette fois, c’était long avec la double année olympique, c’était compliqué. On avait l’impression de tirer sans cesse sur l’élastique.
Dans quel état d’esprit avez-vous repris? Avec un objectif clair et précis ou en vous disant «on relance la machine et on verra bien» ?
K: Plus dans l’idée de relancer la machine, de reprendre les choses différemment et en relativisant, ce que l’on n’a pas pu faire durant les deux dernières années. Il a fallu demeurer au taquet tout le temps. Maintenant, on veut voir où on en est. Nous voulons également voir ce que l’on est encore capable de faire. Pas que sur le plan physique, mais mentalement, aussi. On reste quand même dans un certain questionnement par rapport à notre futur. Nous sommes dans une étape assez particulière, pour le moment.
Le stage à la Réunion, c’était aussi pour changer les habitudes?
J.: Non, nous voulions aller à Stellenbosch, en Afrique du Sud, où nous avons nos repères et nous sentons très bien. Mais l’Europe a fermé ses frontières. Enfin, nous aurions pu y aller mais nous aurions dû observer dix jours de quarantaine en rentrant. Et nous ne pouvions pas nous permettre d’arrêter si longtemps. Du coup, on s’est tourné vers la Réunion et nous en sommes très contents. Ça faisait du bien d’être en stage au soleil, comme ça a été très agréable de partir une semaine au ski avec toute la famille. Nous n’avions plus fait ça depuis des années. On en a profité sans pour autant faire n’importe quoi.
Jonathan, quel souvenir gardez-vous des JO que vous avez quittés blessé (NDLR : il s’est déchiré un ischio en série du 4x400m)? Cela reste-t-il un souvenir douloureux?
J: Non, je n’y pense plus. C’est comme ça. Après, si vous me demandez quel est mon plus beau souvenir des Jeux, je ne pense pas pouvoir en trouver un.
Kevin, avez-vous réussi à laisser derrière vous la déception de cette quatrième place?
K: Je ne me lève pas le matin en y repensant. Cela dit, la déception est là. Quatrième ou huitième aux JO, c’est la même chose pour moi, ça ne change rien. J’aurais préféré courir beaucoup moins vite et finir sur le podium. Mais on a donné le maximum et nous avons réussi à redresser la barre après des semaines compliquées.
Cela augmente-t-il la déception?
K: Non. Il y a quand même la fierté d’avoir trouvé la solution, encore une fois, pour être performant.
Comment expliquez-vous que vous êtes de nouveau parvenus à répondre présent le jour J?
J: Grâce à notre expérience, notre entourage, notre structure. Tout cela fonctionne très bien. C’est dans notre caractère de parvenir à donner le meilleur dans la difficulté. On n’en a pas besoin mais la difficulté ne nous fait pas peur. Disons qu’elle nous force à trouver des solutions pour sortir la tête de l’eau. Nous n’avons aucun regret à avoir parce que nous n’aurions pas pu faire les choses différemment.
Avez-vous pu prendre du plaisir dans un contexte sanitaire si particulier ou était-ce juste du boulot?
K: Une fois que l’on est dans le village olympique, il y a quand même cette ambiance particulière. On voit qu’on est aux Jeux. Maintenant, j’espère que ceux qui ont découvert les Jeux à Tokyo pourront y revenir dans des conditions normales. De mon côté, j’ai apprécié ma série du 400 m. C’est presque un bon souvenir, j’avais un bon sentiment. J’ai montré que j’étais encore là. C’est juste dommage de ne pas avoir pu courir la demi-finale (NDLR : légèrement blessé, il avait fait l’impasse et s’était ménagé en vue du relais). Il y avait quand même moyen de trouver du plaisir sur ces Jeux.
Qu’est-ce qui vous fait encore courir à presque 34 ans?
K: Courir vite reste un défi. Le jour où nous arrêterons, ce sera définitif. Il n’y aura pas de marche arrière. Si on est encore capable de performer, pourquoi ne pas tout faire pour être encore présent.
J: Mais on gère le quotidien autrement. À 20 ans, quand on nous demandait de courir 6 x 150 mètres à l’entraînement, on y allait sans réfléchir une seconde. Aujourd’hui, on sait que l’on doit arriver à la fin de la semaine sans blessure. Le corps est fatigué. C’est ça aussi le défi et c’est ça qui nous motive.
Quand l’athlétisme sera fini, il faudra se trouver de nouveaux défis…
J: C’est le cas pour tout le monde. Si on se laisse le matin sans objectif, ça risque d’être plus compliqué. Pour le moment, nous avons toujours des objectifs en athlétisme.
Avez-vous pensé arrêter après les Jeux de Tokyo?
J: Non parce qu’il y a un goût d’inachevé. Nous n’avons pas encore fini. En aurait-il été autrement si nous avions décroché une médaille? (Il marque une pause) Je ne sais pas, nous n’avons pas été dans le cas.
N’avez-vous pas peur de faire l’année de trop?
J: C’est quoi l’année de trop? Ça, c’est pour les journalistes ou le public. Pour l’athlète, il n’y a pas d’année de trop. C’est mieux d’aller au bout des choses. Au moins, on n’aura pas de regret.
Comment gère-t-on la fatigue mentale du 400 mètres?
K: On essaye de ne pas y penser, de rester positif. Peut-être faut-il être un peu maso pour retourner s’entraîner alors que l’on sait que l’on va vomir après. Mais plein d’autres disciplines sont difficiles.
J: Plus c’est difficile, plus c’est attrayant. C’est ça qui est génial. Une fois qu’on atteint l’objectif, il y a un sentiment de plénitude. Même si nous ne l’atteignons pas, il y a la satisfaction d’avoir essayé.
Cet été, il y a les Mondiaux à Eugene. S’agit-il de votre dernier objectif actuel ou vous ne savez pas trop?
J: On aura la réponse pendant la saison.
Les Jeux de Paris sont-ils présents dans un coin de votre tête?
J: On n’a pas fait une croix dessus. Les réponses tomberont naturellement cette saison. Cela dit, il est certain que si l’on pense déjà maintenant à 2024, cela nous mène loin. Se dire qu’il faudra encore s’entraîner durant deux ans pour en être n’est pas évident.
Cette année, l’Euro de Munich arrivera quinze jours après les Mondiaux. Est-ce envisageable de faire les deux?
J: Nous irons aux Mondiaux et, après, on verra…
En mars, il y a les Mondiaux en salle. Y serez-vous?
J: La salle ne constitue pas un objectif mais nous avons dit au coach que s’il a besoin de nous, nous serons là.
Un mot sur Dylan, votre frère cadet…
J: Depuis le début, ce n’est pas évident pour lui. Il m’a toujours impressionné par ses ressources mentales mais Dylan sait qu’il a les capacités pour faire mieux. Il essaie de trouver la clé. Cela ne doit pas être facile car on le compare tout le temps à nous.
K: Ça aurait plus facile s’il n’avait pas été le frère de.
Que pensez-vous des propos tenus récemment par votre papa (NDLR : il avait dit mettre des stratégies au point pour perturber les noirs)?
J: Nous, on le connaît. On en a discuté avec lui. Les mots choisis étaient-ils les bons? Certainement pas. Son intention n’était pas mal placée. Il s’est vite rendu compte de ce qu’il avait dit et s’en est excusé. Nous n’étions au courant de rien. On ne savait pas qu’il avait écrit un livre. Quand on lui a posé la question, il s’est excusé.
Ça ne doit pas toujours être facile, pour vous, de faire la part des choses?
J: Non, c’est certain. Mais c’est comme ça…
Ce jeudi, la commune de Woluwe-Saint-Pierre vous choisira comme citoyens d’honneur.
J: C’est une très belle reconnaissance. Nous avions déjà eu cette attention, en 2008 à la Roche-en-Ardenne.