Cian Uijtdebroeks fait le point sur ses débuts professionnels : « Je me sens à ma place dans le peloton »
À 18 ans seulement, Cian Uijtdebroeks poursuit son apprentissage du plus haut niveau sur le Saudi Tour.
- Publié le 04-02-2022 à 07h58
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Les yeux rougis par les rafales encaissées toute la journée et la bouche cerclée de sable séché, Cian Uijtdebroeks a le regard encore un brin hagard. Soixante-troisième de la 3e étape du Saudi Tour (victoire de Dylan Groenewegen), le jeune Belge (18 ans) a laissé des plumes dans l’opération "tempête du désert" initiée par les Quick-Step Alpha Vinyl, docteurs en bordure, après tout juste… trois kilomètres de course. "Quelle course de folie, soufflait-il. Le peloton a très vite explosé avec ce vent qui soufflait en rafales, les chutes se sont multipliées: il y en avait de partout, comme on dit dans le jargon cycliste. Je me suis rapidement retrouvé dans un troisième éventail et j’ai évolué presque toute la journée avec un groupe dont je devais accepter le rythme même si j’avais parfois l’impression qu’il aurait été possible de rentrer sur la grappe de coureurs qui nous devançaient. Je suis évidemment un peu déçu d’avoir abandonné 2:22 sur cette étape et, du coup, toute ambition au général (NDLR: il est désormais 47e à 3:00 du leader colombien Santiago Buitrago) mais je me dis aussi que cela fait partie de l’apprentissage. C’est le métier qui rentre… Car des bordures chez les pros, cela n’a rien à voir avec la même manœuvre chez les juniors."
Un peu plus tôt dans la semaine, la pépite d’Abolens (près de Hannut) avait pris le temps de se poser sur la terrasse de la superbe chambre qui l’accueille pour la durée de l’épreuve saoudienne, nichée au milieu des roches désertiques. "Quand le bus nous a transférés ici après notre arrivée de l’aéroport, je me suis demandé où on nous emmenait (rires)… Sur les derniers hectomètres, il n’y avait même plus de route. Mais quel endroit sublime! C’est plutôt pas mal la vie de coureur pro (rires)…"
Cian, pourquoi avez-vous modifié votre programme de course en remplaçant la Clasica Almeria et le Tour de Murcia par ce Saudi Tour?
Ce sont les résultats d’un test à l’effort qui nous ont incités à programmer plus rapidement qu’initialement prévu une épreuve par étapes à mon calendrier. Les valeurs prouvaient que j’étais dans une forme suffisamment bonne pour pouvoir enchaîner plusieurs jours de course. Le format de ce Saudi Tour était également idéal car il propose “seulement” cinq étapes, si je peux parler ainsi, et des profils variés. Après l’arrivée en bosse de mercredi, il y en aura une seconde ce vendredi mais on n’avale pas un dénivelé démesuré chaque jour. Dans la logique de mon apprentissage, je crois donc que ce Saudi Tour est un excellent choix.
Êtes-vous allé reconnaître le final de l’étape reine de ce vendredi et la montée de Harrat Uwayrid (2,8km à 12%)?
Oui, nous y sommes allés la veille de la première étape et elle est vraiment très difficile! À l’entraînement, loin du rythme que nous adopterons en course, j’étais déjà à près de 500 watts, ce qui est beaucoup. Je pense pas avoir déjà monté une ascension aussi raide sur près de trois kilomètres depuis que je fais du vélo. On verra donc comment je me sens. Mais le général est assez serré (NDLR: 15 coureurs en moins de trente secondes) et cela s’annonce donc assez nerveux. Cette bosse ne colle pas tout à fait à mes qualités, car je préfère les montées plus longues, mais je ne vois de toute manière pas ce Saudi Tour comme un test. Je pense que la Drôme Classic et l’Ardèche Classic (26 et 27 février), qui seront les prochaines courses à mon programme, constitueront davantage un véritable baromètre de mon degré de compétitivité.
Que retenez-vous jusqu’ici de vos premiers tours de roue dans le peloton pro?
Sur mon baptême du feu, le Trofeo Calvia, je me suis retrouvé un moment à l’attaque dans une échappée avec Tim Wellens et McNulty avant de terminer dans le groupe avec Barguil et avoir roulé un moment aux côtés de Valverde par exemple. Même si je m’efforçais de rester concentré sur ma course, on ne peut tout de même s’empêcher de se dire “Waouw, j’y suis” pendant quelques secondes (rires)… Je sais que j’ai encore beaucoup de choses à améliorer et que le chemin sera encore long, mais cela m’a rassuré de constater que le niveau des meilleurs n’est pas à des années lumières du mien. Je sens que j’ai ma place dans le peloton pro et que je vais pouvoir y poursuivre mon évolution. Mentalement, c’était important pour moi de pouvoir faire le constat d’une certaine forme de légitimé. Tout est tellement nouveau qu’on se pose fatalement certaines questions.
Pour avoir discuté avec Ralph Denk, le manager de votre équipe, il est assez évident que l’équipe allemande a échafaudé un plan très clair pour votre développement.
Oui, totalement. On ne me met aucune pression. Si je n’ai pas de résultat, cela n’a aucune importance; l’essentiel tient dans mon évolution. L’objectif est vraiment d’essayer de devenir un coureur de grand tour mais sans que cette perspective ne soit arrêtée sur une échéance précise.
Comment s’est déroulé votre accueil dans le peloton pro? Avez-vous déjà eu l’opportunité de parler avec certains grands noms?
J’ai échangé quelques mots avec Barguil à Majorque, mais le moment que je retiens jusqu’ici, c’est la réflexion de Tim Wellens lorsque nous nous sommes retrouvés à l’avant sur le Trofeo Calvia. Lorsqu’il s’est laissé glisser en queue de groupe après avoir pris un relais et qu’il est passé à ma hauteur, il m’a lancé: “Et, tu es là aussi toi, Top, c’est bien!”… J’étais plongé dans un gros effort à cet instant et je me suis contenté d’un petit hochement de la tête timide (rires). Tu sens alors qu’on t’accepte. Le fait de débarquer chez les pros à 18 ans peut parfois susciter certaines réactions, mais tout se passe pour le mieux jusqu’ici.
Quelle est la différence la plus notable entre le peloton pro et celui des juniors?
Ce qui m’a frappé, c’est à quel point cela débraye parfois après que l’échappée se soit formée. En début de course, cela bagarre pas mal pour qu’un groupe de fuyards puisse se constituer, mais une fois que celui-ci a reçu l’aval du peloton, on relâche alors considérablement l’effort et cela ne roule plus. La première fois, je me suis un petit peu demandé ce qu’il se passait (rires)… Cela se remet ensuite doucement en route à l’approche du final. Il y a un jeu d’équipe bien plus important aussi. J’ai réalisé à quel point il était important d’évoluer de manière collective, de savoir profiter du sillage de certains de ses partenaires. Si je devais me débrouiller seul pour me placer au pied de certaines difficultés par exemple, je sens que je devrais débaucher un surcroît d’énergie vraiment plus important.
Votre quotidien a-t-il beaucoup changé depuis cet hiver?
Oh que oui! Cela fait deux mois maintenant que je ne suis plus repassé par la maison car j’ai enchaîné un stage personnel à Girone, puis un rassemblement collectif à Majorque avant de mettre le cap sur mes premières courses. Je serai content de poser mes valises en Belgique la semaine prochaine, mais la vie de coureur pro est vraiment ce à quoi j’aspirais. S’entraîner puis constater en course que l’on progresse, cela a quelque chose de jouissif.