"Confronté à un vrai challenge"
Entretien avec un Thierry Neuville perplexe avant le départ du Rallye Monte-Carlo.
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Publié le 18-01-2022 à 06h00
Thierry, quelles sont les principales différences entre votre Hyundai de l’an dernier et cette nouvelle génération Rally1 hybride?
Il est un peu tôt pour comparer les anciennes WRC, qui étaient abouties, et les nouvelles Rally1. Nous sommes confrontés à un vrai challenge et on n’a pas assez de recul ou de kilomètres pour juger. Il y a plein de difficultés à surmonter: on a perdu en aérodynamisme, on a des débattements de suspensions moins importants, on n’a plus les palettes au volant, on est de retour avec une boîte à cinq rapports et on n’a plus de différentiel central réglable . On doit choisir un seul type de «diff» pour les trois pilotes et les trois types de surfaces que nous affrontons sur la saison. Par contre, grâce au système d’hybridation, la puissance augmente de manière considérable, avec un boost de 132 chevaux. Cela devrait compenser un peu la perte de performance globale. Mais cela rend les choses assez compliquées pour la mise au point. En gros, c’est plus basique. La voiture se pilote davantage comme une R5 (Rally2). Le rapport entre la puissance disponible et les limites de cette nouvelle voiture, notamment en termes de freinage ou de tenue de route, me fait un peu peur. Il s’agira de trouver le bon rythme le plus vite possible.
Vous sentez-vous prêt pour affronter ce Monte-Carlo?
Celui qui prétend qu’il est 100 % confiant se trompe. Personne ne pourra attaquer à fond, sans relâche ou appréhension, dès la spéciale d’essais. C’est un grand saut dans l’inconnu. Les conditions changeantes et imprévisibles d’un Monte-Carlo n’aident pas à avoir la confiance. On va plutôt être en mode survie.
Quelle sera la clé du succès?
Sur cette première saison, je dirais la fiabilité.
On ne vous sent pas très enthousiaste. Êtes-vous toujours réfractaire à l’idée de piloter ces WRC hybrides?
Avant, l’excitation venait du pilotage. C’était clairement le rêve de conduire les anciennes WRC. Aujourd’hui, on a hâte d’affronter un nouveau défi technologique. Mais j’ai peur, je le répète, de la disproportion entre la puissance et les capacités de tenue de route. J’ai parfois l’impression de piloter un dragster sur des petites routes de montagne.
Toyota possède-t-elle l’avantage grâce à sa plus grande expérience de l’hybride?
Non, car le système hybride imposé est identique pour tout le monde.
Il y a eu pas mal d’accidents en tests durant l’intersaison. Vous avez vous-même été victime d’un gros crash. Était-ce lié au nouveau caractère hybride de votre monture?
Ce n’est pas la première auto que je casse lors d’une séance de développement. Ce crash n’avait rien à voir avec les caractéristiques de la voiture; il n’est pas le résultat d’une erreur de pilotage. Lors d’une telle séance, on passe en revue différentes choses et, parfois, le résultat n’est pas bon du tout. C’est ce qui s’est passé.
Difficile dans ce contexte d’émettre un pronostic…
Effectivement. La seule chose qui est acquise, c’est qu’il y aura trois Hyundai au départ. L’approche sera par contre bien différente des années précédentes. Performances, fiabilité: difficile de prédire où chacun se situera. Et ce sera valable pour les trois premiers rallyes. Il faudra donc avant tout accumuler les kilomètres, aller jusqu’au bout, quoi qu’il arrive, afin d’engranger un maximum d’informations. La Ford sera sans doute très compétitive d’entrée de jeu, ce qui pourrait rendre les choses intéressantes, mais je pense qu’en passant dans les rangs de Hyundai, Christian Loriaux a bien bossé aussi. Avec Ott Tänak, nous avons mené à bien les tests de développement. Et le point positif, c’est que nous sommes sur la même longueur d’onde pour ce qui est mapping et différentiel. C’est déjà ça…
L’octuple champion Sébastien Ogier sera le grand absent de la course au titre. Cela ouvre des portes…
Je pense qu’on verra régulièrement Seb cette année, sur au moins la moitié des épreuves. Comme il partira de loin, il pourra chaque fois viser la victoire. En fait, durant toutes ces années, il a souvent été contraint de balayer en étant leader du championnat. Il a désormais l’intention de profiter à son tour du système. Cela ne va pas nous faciliter la tâche dans la lutte pour les victoires. D’autant que Sébastien Loeb et Esapekka Lappi seront aussi présents de manière irrégulière. Ce sera donc difficile pour les candidats au titre de prendre les gros points partout. Le titre pour moi viendra quand il viendra. On devrait normalement encore jouer aux avant-postes.
Pourquoi avoir resigné avec Hyundai pour trois ans?
Toyota était satisfait de son line-up… et Hyundai, c’est devenu une famille durant ces huit années. Il y a eu une importante restructuration qui va dans le bon sens. On bosse avec de nouveaux ingénieurs, ça tombe bien vu le challenge qui nous attend avec cette réglementation Rally1. Il est important aussi pour moi de pouvoir me concentrer sur mon métier sans devoir me tracasser de ce que je ferai l’année suivante.
Selon les rumeurs, Hyundai songerait à s’impliquer à l’avenir en endurance avec un proto à hydrogène. Est-ce qu’une reconversion en endurance comme Sébastien Ogier et une participation aux 24H du Mans pourrait vous intéresser?
Je pense qu’au bout de ces trois nouvelles saisons, je serai saturé de rallyes. Mais je me vois mal rentrer à la maison et attendre que ça se passe. On sait que Hyundai s’intéresse à l’hydrogène. Cela aboutira-t-il à un engagement en endurance? En rallye-raid? L’opportunité de découvrir de nouveaux horizons me plaît beaucoup. Mais en sport auto, tout peut changer très vite. Aujourd’hui, on dit que Hyundai pourrait abandonner le WRC pour aller en endurance. Mais dans un an, ils viseront peut-être la F1. S’il le faut, je suis prêt à tester une F1.