Recours en justice, enfermé dans un hôtel pour réfugiés, affaire d'État en Australie: les 48 heures surréalistes de Novak Djokovic
Le sort subi par le numéro un mondial, enfermé en attendant une décision de justice lundi, dépasse le strict cadre du tennis.
- Publié le 07-01-2022 à 07h29
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En arrivant à Melbourne mercredi soir, Novak Djokovic ne s’attendait certainement pas à être accueilli comme un pestiféré et de vivre les heures suivantes comme un criminel. Après une nuit cauchemardesque à l’aéroport où son visa lui a été refusé, la vie, pourtant pas très calme, du Serbe a pris une dimension surréaliste en devenant une affaire d’État en Australie tout en créant quasiment un incident diplomatique entre la Serbie et l’Australie. Placé dans un hôtel de quarantaine en attendant une décision de justice, lundi, le numéro un mondial a dû revivre à plusieurs reprises ses 48 dernières heures.
Le recours en justice
Et comme lorsqu’il était mené deux sets à zéro en finale du dernier Roland-Garros face à Stefanos Tsitsipas, Novak Djokovic n’a pas dit son dernier mot. Le clan du Serbe a intenté ce jeudi un recours en justice contre la décision des autorités australiennes d’annuler son visa. Ce qui a permis au numéro un mondial de ne pas être expulsé manu militari de Down Under. Son cas a été examiné par un juge de Melbourne qui a ajourné sa décision à lundi matin 10 heures. Les avocats de l’homme aux 20 titres en Grand Chelem ayant jusqu’à samedi 14 heures pour apporter de nouveaux éléments au dossier qui, contrairement aux décisions prises par tous les intervenants politiques et gouvernementaux, sera traité de manière indépendante.
"Le cavalier ne se laissera pas mener par sa monture", a joliment déclaré le juge Anthony Kelly. Un passage devant le tribunal qui pourrait avoir une grande importance sur la suite de la carrière de Djokovic. En effet, d’après les lois fédérales australiennes, toute personne dont le visa est annulé risque une interdiction d’entrée sur le territoire pouvant aller jusqu’à trois ans. Si cela devait se produire, le Serbe pourrait être privé d’Australian Open jusqu’en 2025.
Dans un hôtel avec des réfugiés
Après avoir passé une nuit blanche dans l’aéroport de Melbourne, Novak Djokovic a été séparé de son staff et placé, sans une partie de ses effets personnels, au Park Hotel, un établissement désigné de quarantaine par les autorités australiennes. C’est aussi dans cet hôtel que se trouvent trente-quatre réfugiés. La réputation de ce lieu de villégiature n’étant pas très glorieuse. Depuis plus d’un an, cet hôtel accueille des réfugiés en provenance d’îles voisines.
En octobre dernier, une épidémie de Covid avait frappé cet hôtel où l’on a déjà vu des réfugiés afficher ces messages aux fenêtres: "Arrêtez ce centre de torture". Le 23 décembre dernier, certains médias rapportaient même un début d’incendie aux troisième et quatrième étages. Pour autant, l’établissement n’avait pas été évacué.
Dans le parc en face de l’hôtel des dizaines de supporters du Serbe sont venus le soutenir. Les autorités serbes aimeraient d’ailleurs que Djokovic puisse quitter le Park Hotel, qualifié d’"infâme" par le président Vucic, pour rejoindre la maison qu’il a louée pour la durée du tournoi et aussi fêter le Noël orthodoxe (7 janvier) avec son staff.
Une affaire politisée
En annonçant qu’il pouvait participer à l’Australian Open grâce à une dérogation médicale et en prenant la direction de Melbourne, Novak Djokovic pensait certainement marcher dans les clous. On imagine mal le Serbe voyager pendant 24 heures pour tenter un coup de poker à la douane. S’il est parti pour l’Australie, c’est parce qu’il avait reçu des garanties de la fédération de tennis australienne et des deux groupes médicaux qui ont étudié son dossier.
Mais la mauvaise publicité faite autour de son arrivée par les médias a attiré l'intérêt des personnalités politiques du pays qui ont tout fait pour lui interdire l'entrée en Australie. C'est aussi ce que pense Matthew Wrigley, avocat originaire de Melbourne interrogé dans le journal L'Équipe: "D'un côté, vous avez l'aile gauche, avec le gouvernement victorian qui a fourni l'exemption à Djokovic pour participer au tournoi. Mais après le tollé que cela a provoqué dans l'opinion publique, l'aile droite, par la voix du Premier Ministre Scott Morrison a dit: hors de question, on ne peut pas autoriser ça. Il a envoyé un message à la police des frontières, pour qu'elle traite cette affaire de la manière la plus stricte. D'un côté, vous avez le gouvernement de Victoria qui soutient l'Open d'Australie et détermine avec Tennis Australia qui peut jouer le tournoi. De l'autre, le gouvernement fédéral qui décide qui entre ou non dans le pays, si un visa est valable ou non. Les deux semblent être en complète opposition sur le sujet."
Un élément qui penche en faveur de ce scénario, c’est que deux autres personnes, un joueur et un officiel, seraient, selon le quotidien australien The Age, entrées sur le territoire sans être vaccinés comme Djokovic, dont la dérogation médicale viendrait du fait qu’il aurait eu le Covid-19 lors des six derniers mois.
Mais là aussi des nouvelles informations sont sorties lors des dernières heures. Craig Tiley, directeur de l’Open d’Australie, aurait reçu en novembre des lettres de Lisa Schofield, première secrétaire du département de la santé, et Greg Hunt, Ministre de la Santé pour le prévenir qu’une personne non vaccinée ayant contracté le Covid-19 dans les six derniers mois ne pourrait pas entrer en Australie sans effectuer une quarantaine.
"Tout se complique quand les politiques entrent sur le terrain. Les règles sont les mêmes pour tout le monde mais elles ne peuvent pas changer du jour au lendemain", a twitté, pour résumer la situation, l’ancien joueur et directeur du tournoi de Madrid, Feliciano Lopez.
Quelles implications sportives?
Si lundi le juge décide que Novak Djokovic peut entrer sur le territoire australien, le Serbe devra être très fort physiquement et mentalement pour décrocher un dixième titre à Melbourne. Le natif de Belgrade commencerait le premier Grand Chelem de la saison après avoir passé une nuit blanche à l’aéroport après 24 heures de voyage, quatre jours isolé dans une chambre d’hôtel et aucun tournoi de préparation. On a déjà connu de meilleures conditions pour entamer un Majeur. Au-delà de la tournée australienne, se posera aussi la question de la suite de la saison du Serbe qui, s’il se confirme qu’il n’est pas vacciné, ne pourra plus se déplacer comme il veut sauf dérogations.
Les USA demandent, par exemple une vaccination complète tout comme la France et la Grande-Bretagne où se déroulent les trois autres Grands Chelems de la saison.
Le clan Djokovic virulent
Pour la Serbie, le dossier Djokovic est devenu une affaire d’État avec de nombreux échanges entre le président serbe Aleksandar Vucic et les autorités australiennes pour que le numéro un mondial soit libéré.
La famille Djokovic a, elle, tenu une conférence de presse où elle a lu un message de Novak: "Dieu voit tout. Ma bénédiction est spirituelle et la leur est matérielle."
Djordje, son frère faisant lui référence au nationalisme des Serbes: "Novak est la Serbie et la Serbie est Novak. Ils piétinent Novak et donc le peuple serbe. Ils veulent le mettre à genoux, lui et notre pays. Nous sommes une nation fière et civilisée, nous avons été bombardés et opprimés. Nous ne nous rendrons jamais. Novak n’a violé aucun protocole, il avait des documents ainsi que d’autres joueurs de tennis qui sont entrés dans le pays. Ce n’est pas un criminel mais un athlète."
Srdjan, le paternel, se perdant lui dans des déclarations lunaires: "Novak est le Spartacus du nouveau monde et ne tolère pas l’injustice et l’hypocrisie. Il est emprisonné mais n’a jamais été plus libre. Il se bat pour l’égalité de tous les peuples sans distinction de couleur, de religion ou d’argent. Il est le symbole du monde libre."
Enfin Dijana s’inquiétait pour son fils: "Ils le gardent comme un prisonnier, ce n’est tout simplement pas juste, ce n’est pas humain. Son logement est terrible. C’est juste un petit hôtel d’immigration avec des punaises dans sa chambre, c’est tout sale, la bouffe est horrible."