Camille Laus raconte la déception olympique de son compagnon Kevin Borlée : "Il était très abattu, je l’ai rarement vu comme ça"
Cet été, les Tornados ont encore terminé 4e des Jeux. Camille Laus, la compagne de Kevin Borlée, se souvient.
Publié le 28-12-2021 à 07h27
Camille Laus se souvient des Jeux olympiques comme s’ils avaient eu lieu hier. Pour cause, elle était encore sur la piste quand Kevin, son compagnon, coupa la ligne d’arrivée du 4x400 m en quatrième position, la pire.
Camille, dans quel état d’esprit Kevin est-il parti aux Jeux olympiques?
Un peu comme à chaque fois. Dès le mois d’avril, les athlètes sentent la pression monter avec l’approche de la saison outdoor. On est nerveux et on ne sait pas très bien à quoi s’attendre. On a bossé comme des fous et on a envie de voir ce que ça donne en compétition. C’est vrai qu’en revenant des championnats du monde de relais, cela ne s’est pas très bien passé pour Kevin et moi. Nous nous sommes fait vacciner. Mais comme nous avions couru énormément en Pologne – quatre courses – nous étions très fatigués et nos organismes ont mal réagi au vaccin. Avec le recul, on s’est dit que ce n’était pas une bonne chose de l’avoir fait à ce moment-là parce qu’on a eu des petits problèmes à l’entraînement. On a eu un coup de mou et on a commencé à se poser des questions parce que nous n’entamions pas la saison dans les meilleures conditions.
Donc, il y a eu plus de doute que d’habitude?
Disons que ce n’était pas l’idéal pour notre confiance. À chaque mauvaise course, on mange un peu de ce capital confiance. Et là, nous avons enchaîné les mauvais chronos. Donc, ce n’était pas l’idéal, c’est sûr. Mais Kevin a tendance à toujours voir le côté positif des choses. Il se raccroche à ce qui lui permet d’avancer et essaie de laisser le reste de côté. De toute façon, c’était une obligation de ne pas baisser les bras car il y avait les Jeux au bout de la dernière ligne droite. Et, au final, il a encore eu la bonne attitude, puisqu’il a pu sortir la course qu’il fallait au moment crucial.
Mais on imagine qu’il est enthousiaste au moment de s’envoler pour le Japon?
Bien sûr. Il est parti avec beaucoup d’envie et un stress légitime parce qu’il voulait performer pour ces quatrièmes Jeux. Ce n’est pas rien quand même! Puis, il était décidé à profiter un maximum malgré le contexte particulier. Parce qu’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.
Était-ce possible de profiter dans un tel contexte sanitaire?
C’est vrai que pour les athlètes, comme Kevin, Jo et Dylan, qui avaient déjà connu des Jeux normaux, c’était très spécial. Après, c’est vrai que l’on pensait surtout à ce qu’on allait faire sur la piste et que le temps paraissait, parfois, assez long, surtout à Mito. Il n’y avait rien à faire à part s’entraîner. Cela a été mieux au village olympique où l’on avait quand même la possibilité de voir d’autres sportifs.
Vous souvenez-vous de la finale du 4x400 m des Belgian Tornados?
Évidemment. Comme lors de tous les championnats à l’exception de l’Euro de Berlin (en 2018), les Tornados sont entrés sur la piste après nous… Nous étions euphoriques après notre superbe chrono et attendions la course des garçons avec impatience. J’étais super stressée parce que je connaissais l’enjeu et l’objectif. Je savais à quel point tous les gars voulaient aller chercher cette médaille olympique. On a regardé ça avec les filles. C’est toujours un moment fort. Nous étions restés en bord de piste alors que nous ne pouvions pas, mais nous ne voulions pas manquer ça. Et puis, la course se passe avec la fin que l’on connaît.
Que se passe-t-il dans votre tête quand vous voyez que Kevin est de nouveau quatrième?
Il y a de la tristesse pour eux. Je vois tout le travail qu’ils effectuent au quotidien. Je sais à quel point ils bossent dur. Et puis, tu vois le chrono qu’ils font, nouveau record national, et, malgré cela, ils sont quatrièmes. Je me demande, alors, ce qu’ils peuvent faire de plus pour monter sur le podium. Avec du recul, je me dis que dès le moment où ils établissent un nouveau record national, ils ne peuvent pas s’en vouloir. Cela veut dire qu’ils ont tous couru à leur meilleur niveau. Mais c’est terriblement frustrant parce que l’on se dit : encore une quatrième place. J’étais à la fois déçue pour eux et fière d’eux. On est, alors, descendu sur la piste pour essayer de les consoler.
Mais il n’y a pas grand-chose à dire en pareil cas…
Non. J’ai juste essayé d’être là, près de lui. Mais ça se limitait à ma présence parce que, dans ce cas-là, il n’y a pas de mot assez fort. Face à une telle déception, on est impuissant. Il faut le laisser digérer. C’est clair que Kevin était très abattu, je l’ai rarement vu comme ça.
Comment est-il quand vous vous retrouvez à l’hôtel quelques heures plus tard?
Il était un peu mieux mais l’atmosphère restait lourde. Le plus douloureux, je le répète, c’est qu’ils ont couru à un niveau exceptionnel mais que ce ne fut pas suffisant. J’étais d’autant plus malheureuse pour Kevin et les autres car ils avaient réussi à faire fi d’une saison compliquée pour être prêts aux Jeux.
Êtes-vous admirative de ce que Kevin et ses frères sont parvenus à faire après une saison si difficile?
Oui, clairement. Je pense que c’est ça aussi qui fait les champions. Pouvoir se relever après un échec, une déception, et, finalement, être à l’heure au rendez-vous. De manière générale, tous les athlètes de notre groupe d’entraînement (NDLR : coachés par Jacques Borlée, donc) sont parvenus à sortir la course qu’il fallait quand ça comptait. C’est le plus important.
Que pensez-vous de la longévité de Kevin?
Je suis très admirative. Cela vaut également pour ses frères. Ça fait trois, quatre ans que je suis dans le haut niveau. J’ai pu me faire mes propres expériences, me prendre des gifles et me relever. Et eux font ça depuis plus de dix ans! C’est incroyable. Toujours recommencer à zéro… Franchement, je ne sais pas comment ils font. Je ne sais pas si je serai capable de tenir aussi longtemps. Surtout sur 400 mètres. C’est si exigeant.
Quel est son secret?
D’un point de vue physique, Jacques a toujours essayé de travailler intelligemment, afin de limiter le risque de blessures. Il y a de la quantité, oui, mais la qualité des séances est privilégiée. On essaie de préserver le corps, d’aller chez le kiné même à titre préventif, de ne pas faire n’importe quoi. Ils sont très bien encadrés. Et mentalement, ils ont ça en eux. Ils ont toujours envie de plus.
Que pensiez-vous de Kevin avant de la connaître?
Je le considérais comme un… tueur sur la piste. Ses frères et lui, quand ils prennent le départ, c’est pour tout casser. Un incroyable esprit de compétition. Et puis, j’avais aussi l’image de gars très sérieux et très professionnels.
Quelle qualité lui enviez-vous?
Sa capacité à se concentrer. Il y a de nombreuses courses où il ne sort pas en tête aux 300 mètres et, finalement, il arrive à rester dans sa bulle jusqu’au bout. Il ne se désunit pas. C’est très fort, ça. Il ne panique pas, il demeure dans son truc. Il fait sa course. C’est justement mon problème. Quand je cours en individuel, je ne parviens pas à rester focalisée sur moi. J’aimerais aussi pouvoir être dans ma bulle.
Met-il des mots sur ce trait de caractère?
Oui, on en parle souvent. Il me répète que cela se travaille à l’entraînement, qu’il ne faut pas attendre la course pour y penser.
Prend-il aussi les conseils que vous lui donnez?
Je ne me permets pas de lui donner beaucoup de conseils sportifs. Pour le reste, oui, il m’écoute. Comme tout couple, nous essayons de nous tirer tous les deux vers le haut.
À part sa longévité, de quoi peut-il être le plus fier?
De son palmarès. C’est très impressionnant. Bien sûr, il y a toutes ses médailles en individuel et avec le relais mais il peut également être très fier d’avoir remporté la Diamond League (sur 400 m). Et puis, n’oublions pas son record, 44.56. Ce n’est pas rien. Enfin, il met toujours tout en œuvre pour atteindre ses objectifs. Il ne fait jamais un pas de travers.
On imagine que Kevin pense désormais aux championnats du monde de l’été prochain.
Oui, mais il lui a fallu le temps de digérer les Jeux. On a coupé, nous sommes partis deux semaines en vacances. Cela nous a fait du bien pour se vider la tête. Nous étions en pleine nature avec un mobile-home. Nous avions un sentiment de liberté, aucune obligation de planifier. Cela change de la saison. Pendant ce temps-là, nous avons lâché prise, notre esprit était loin de l’athlétisme. Aujourd’hui, Kevin est tourné vers le futur. On ne parle plus du passé.
Se projette-t-il déjà plus loin que les Mondiaux de l’été prochain?
Non. Je pense que Kevin abordera année par année. Il faut voir comment le corps réagit, si la motivation est toujours là aussi.
Quelle image laissera-t-il le jour où il arrêtera?
Pour moi, celle de l’un des meilleurs athlètes belges de tous les temps. Il suffit de voir son palmarès pour s’en convaincre.
En quoi les Tornados constituent-ils une source d’inspiration pour les Cheetahs?
Ils nous montrent qu’il est possible de faire partie des meilleurs durant de nombreuses années. Partager tous ces moments avec eux est très inspirant parce qu’on les voit se battre. N’oublions pas que c’est grâce à eux que l’on a commencé. Attention : on n’a jamais cherché à faire du copier-coller.
Avez-vous l’impression que l’on oublie un peu trop vite qu’ils ont quand même leur médaille au niveau mondial (avec la troisième place ramenée des Mondiaux 2019 à Doha)?
Cette médaille a encore épaissi leur palmarès mais elle n’a pas altéré leur envie d’en conquérir une au niveau olympique. Les Tornados n’en ont jamais assez.
Imaginez-vous Kevin aux Jeux de Paris dans deux ans et demi?
Moi, j’aimerais qu’il y soit, oui. Ce serait chouette de pouvoir vivre ça avec lui. Toute la famille pourrait venir voir. Et puis, il y a relais mixte et je me dis que gagner une médaille ensemble, ce serait magique. J’espère pouvoir en glaner une. Avec lui ou avec les Cheetahs, ce serait très fort. Il y aurait beaucoup d’émotion.
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