INTERVIEW | Rodrigo Beenkens préface le Tour de France: «Sans son opération, je donnais 7 chances sur 10 à van Aert d’être en jaune»
Ce samedi, Rodrigo Beenkens va commenter le 27e Tour de France de sa carrière. On fait le point avec le journaliste sportif de la RTBF sur le dispositif prévu par la chaîne, les favoris pour la victoire finale, ainsi que sur les chances des Belges.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f988952a-e312-468f-b642-0178a106f495.png)
Publié le 26-06-2021 à 07h00
:focal(545x376.5:555x366.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IGVAMJQHIFGPHM42YVWOJPD6QM.jpg)
Le départ du 108e Tour de France, c'est ce samedi. Pour l'occasion, Rodrigo Beenkens va de nouveau se retrouver au plus près de la course après une 107e édition chamboulée par le Covid et commentée en cabine depuis Bruxelles.
Absent aux commentaires des Diables rouges cette année, le journaliste de 57 ans va donc commenter les étapes de la Grande Boucle pour la 27e fois. «Depuis mes débuts en 1990, j'ai seulement raté 5 éditions: 2008 suite au décès de mon père, 2010, 2014 et 2018 avec les Mondiaux de foot et 2016 avec l'Euro.»
C’est la 27e fois que vous vous retrouvez aux commentaires du Tour. Vous devez tout connaître de la Grande Boucle désormais?
On n’a jamais fait le tour du Tour. Contrairement à une classique, le parcours change chaque année, hormis des lieux mythiques qui reviennent de temps en temps, comme le Mont Ventoux cette année.
Comment avez-vous préparé cette 108e édition?
Le Tour, on le peaufine dans les derniers jours mais il se prépare toute l’année. J’essaie de suivre toutes les courses et j’ai la chance d’avoir une bonne mémoire visuelle et de pouvoir emmagasiner beaucoup d’informations. C’est important, d’autant plus que chaque étape est diffusée en intégralité désormais. Il faut aussi penser au paysage, à l’histoire et au patrimoine des régions traversées, car le public est très demandeur. Mais la priorité absolue reste de pouvoir reconnaître les coureurs et de connaître leur parcours.
Covid oblige, vous aviez commenté le Tour 2020 en cabine à Bruxelles. Comment ça va se passer cette année?
On garde exactement le même dispositif que l’année dernière, si ce n’est qu’on est sur place. Je me rends compte qu’on est des privilégiés car la plupart de mes collègues emblématiques d’Eurosport ou de France TV commenteront de Paris, tandis que la VRT ne se déplacera pas pour la première fois. C’est le fruit du travail de notre réalisateur Eric Bruyns et de notre producteur Sixte Grignard, qui ont mis en place un système de bulle avant même qu’on ne parle des bulles. Depuis quelques années, on ne se trouve plus dans la tribune des commentateurs et on a une forme d’autonomie avec notre propre studio. On est 7 ou 8 dans ce bus et ça fonctionne super-bien.
Il y a parfois une relation amour-haine entre la Belgique et la France, mais la façon dont Cyril a été accepté par les téléspectateurs veut dire beaucoup!
Le dispositif reste le même qu’en 2020 ou il y aura quelques nouveautés?
Tout ce qui a fonctionné l’an dernier, on le garde. Que ce soient les interviews au départ de Jérôme Helguers ou les interventions de Lise Burion. Elle sera notre relais avec les téléspectateurs et se chargera de répercuter ce qui se dit dans les médias et les réseaux sociaux. En plus de Cyril Saugrain et Gérard Bulens, on aura également deux nouveaux experts par rapport à l’an dernier et il y aura quelques bonnes petites surprises avec des invités inattendus. Cette année, on aura également un décor virtuel qui nous permettra d’avoir la ligne d’arrivée ou des paysages dans notre dos. C’est assez chouette!
Et vous rempilez donc avec Cyril Saugrain comme consultant, qui semble de plus en plus apprécié par les téléspectateurs belges...
Après Cédric Vasseur, j’avais fait le pari de choisir Cyril, que j’avais entendu commenter les 4 jours de Dunkerque sur une télé locale à l’époque. Quand il est arrivé, personne ne le connaissait mais l’association a directement fonctionné et c’est une grande satisfaction. C’est un bonheur de travailler avec lui, et heureusement, car on vit ensemble quasiment 18 heures par jour durant trois semaines et demie. C’est un passionné et un bosseur. D’ailleurs, je dis toujours en plaisantant que si je dois avoir un problème de digestion en pleine étape, je sais qu’il tiendra le crachoir pendant 20 minutes sans problème. Il y a parfois une relation amour-haine entre la Belgique et la France, mais la façon dont il a été accepté par les téléspectateurs, ça veut dire beaucoup de choses! Parfois, ça lui arrive d’estropier le nom d’un Belge, mais je lui fais la remarque et on en rigole.
Venons-en au côté sportif. À quel type de Tour vous attendez-vous au vu du profil des étapes?
Il est évident que la façon dont les organisateurs ont construit les premières étapes en Bretagne est très intéressante. Il y aura des reliefs, mais aussi des risques de bordures. Certains favoris pourraient déjà perdre le Tour dans les premiers jours et pas sûr que les sprinteurs seront tous au rendez-vous. Les favoris seront Wout van Aert, Mathieu van der Poel et Julian Alaphilippe mais Pogaçar et Rogliç pourraient aussi se mêler à la bagarre. Et puis viendra le chrono de la 5e étape où van Aert fera figure de favori. Sans cette opération de l'appendicite, je lui aurais donné 7 chances sur dix d'endosser le maillot jaune lors des cinq premiers jours.
C’est la dernière année où on n’aura pas de Belge dans le top 10. On pourrait bientôt avoir quatre ou cinq Belges dans le groupe des favoris en haute montagne.
Et au niveau du classement général, se dirige-t-on à nouveau vers un duel entre Pogaçar et Rogliç ?
A priori oui. D'autant plus que le kilométrage de chronos sera supérieur à l'an dernier, ce qui leur sera favorable. Mais je suis curieux de voir comment Rogliç qui n'a plus couru depuis Liège-Bastogne-Liège, peut gagner le Tour. Avoir quelqu'un qui prétend gagner la Grande Boucle sans avoir couru en juin, c'est du jamais vu. Il faudra aussi être attentif au bloc Ineos, avec ses quatre leaders. Thomas est présenté comme favori mais Carapaz m'a fait meilleure impression au Tour de Suisse. S'ils utilisent bien cette force collective, ce sera très intéressant. Il y aura beaucoup de monde pour se disputer le top 10. Et puis, c'est la dernière année où on n'aura pas de Belge dans le top 10. Avec Evenepoel, Vansevenant, Van Wilder et bientôt Uijtdebroeks, on pourrait bientôt avoir quatre ou cinq Belges dans le groupe des favoris en haute montagne.
En parlant des Belges, ils seront 22 cette année. Quelles sont leurs chances sur ce Tour?
On a des cartouches un peu partout, sauf en haute montagne justement. Wout van Aert pourra essayer de gagner les chronos, mais aussi les sprints massifs. Avec Merlier et Philipsen, et en l'absence de Bennett, les trois peuvent jouer la gagne avec Ewan, Cavendish ou Démare. Benoot et De Gendt peuvent aussi gagner en mode baroudeur. Et puis on a les deux inoxydables Van Avermaet et Gilbert, qui sont plus âgés mais qui gardent le sens de la course. Ils devront choisir le bon moment pour attaquer.
Les Belges ont gagné trois étapes en 2019 et deux en 2020. Peut-on dépasser ces chiffres cette année?
C’est très difficile à dire. On pourrait avoir cinq victoires d’étapes belges comme on pourrait en avoir aucune. Le problème, c’est que beaucoup de coureurs devront rouler au service de leur leader ou de leur sprinteur. Les coureurs de Lotto-Soudal vont rouler pour Ewan, ceux de Wanty pour Meintjes, et si van der Poel prend le maillot, Philipsen et Merlier pourraient rouler pour lui.
La force de Mathieu van der Poel, c’est qu’on l’aime dans trois pays: les Pays-Bas, la France et la Belgique. Il aura toujours un avantage sur Wout van Aert.
Outre les favoris et les Belges, Mathieu van der Poel sera le coureur à suivre cette année?
Il y a un côté émotionnel incroyable pour son premier Tour. Son équipe a fait un coup de pub extraordinaire avec un maillot en hommage à Raymond Poulidor (NDLR: le grand-père de van der Poel). La force de Mathieu, c'est qu'on l'aime dans trois pays: les Pays-Bas, la France et la Belgique. Il aura toujours un avantage au niveau popularité sur Wout, mais pas forcément dans le peloton, où le Belge est très apprécié. Mais si van der Poel a ses jambes du Tour de Suisse, ce sera très difficile pour Alaphilippe et van Aert de le battre.
Il y a aussi le Covid qui risque d’impacter la compétition...
Je suis confiant dans la compétence de l’organisation. Je pense qu’il n’y aura pas de problème dans la bulle de course, car les contacts avec les coureurs seront quasi nuls. Il faudra d’ailleurs s’y adapter car avant, il nous arrivait de dormir dans le même hôtel que l’équipe et on croisait les directeurs sportifs et les coureurs, qui se livraient parfois à quelques indiscrétions. Ici, on n’aura pas toutes ces infos, ce sera à nous d’aller les chercher. En ce qui nous concerne, ce qui reste comme point d’interrogation, c’est tout ce qui se passe entre le moment où on quitte la zone technique et celui où l’on y revient le lendemain. Il faudra rester prudent et responsable à l’hôtel et au resto pour éviter toute contamination.