INTERVIEW | Kristof Sas, le «doc» des Diables: «Notre staff médical doit aussi être le numéro 1»
Kristof Sas est le nouveau docteur principal des Diables. Il répond à dix questions qu’on peut se poser avant le début du tournoi.
Publié le 10-06-2021 à 06h00
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Il a marqué un but contre Anderlecht, a travaillé pendant onze saisons chez les Mauves (de 2005 à 2011 et de 2016 à 2020) et deux saisons à Bruges (entre 2011 et 2013), et a rejoint l'équipe nationale de Roberto Martinez en octobre 2020. Son nom? Kristof Sas (45 ans), le médecin principal des Diables. «Le coach m'a demandé de ne pas parler de cas individuels comme Kevin, Eden et Axel, il préfère communiquer lui-même à ces sujets», nous avertit le dernier renfort du staff. On lui a donc posé dix autres questions «médicales».
1. Quelles seront les nouveautés «Covid» de cet Euro?
«Tous les joueurs doivent évidemment rester dans notre bulle. Pas question pour eux de rentrer à la maison entre les matchs. La seule dérogation sera accordée aux joueurs qui doivent être hospitalisés. Pour le reste, tout contact avec des personnes externes – même avec le personnel des hôtels – sera interdit. Et le port du masque est obligatoire, sauf à table. Autre nouveauté : le port du masque ne sera plus obligatoire sur le banc. Du moins, ce sera le cas au Danemark. On attend encore les directives pour Saint-Pétersbourg.»
2. Quid si un joueur est testé positif?
«Il rentrera chez lui et son tournoi risque d’être terminé. Cela dépendra du moment de son contrôle positif. La conséquence pour les autres est qu’ils seront testés plus fréquemment. Sans tests positifs, les joueurs seront testés tous les quatre jours.»
3. Y a-t-il un autre grand changement au niveau médical?
«L’UEFA attache de plus en plus d’importance aux commotions cérébrales et autres blessures à la tête. Lors de notre première semaine ensemble, nous avons dû faire des tests cardiaques, orthopédiques mais aussi neurologiques approfondis de chaque joueur et envoyer un rapport complet à l’UEFA. Le rapport neurologique sert à comparer les résultats des joueurs après une commotion avec ses résultats avant la commotion, pour voir s’il a encouru des dégâts. Autre nouveauté dans ce même domaine : c’est le médecin qui décide si un joueur doit arrêter un match après une blessure à la tête, et plus le joueur ou le coach. Et pour cela – et c’est nouveau aussi –, nous disposerons sur le banc des images télévisées du choc, pour nous rendre compte de l’impact et prendre la décision adéquate.»
4. Imaginons : Lukaku est sonné mais ne veut pas quitter le terrain. Vous faites quoi?
«C’est une décision très difficile pour un médecin. En principe, il faut prendre une décision en tant que médecin neutre. Mais je fais partie de l’équipe, je veux qu’on gagne. Si je fais remplacer Lukaku après deux minutes, que nous perdons et qu’il se sent en pleine forme le lendemain, je serai pointé du doigt. Mais si je laisse Lukaku sur le terrain, qu’il rate des occasions et qu’il ne se souvient plus rien du match, je serai aussi le coupable. Je n’aurais pas voulu être le médecin de l’Uruguay au Mondial 2014, quand son joueur est remonté sur le terrain. Et l’Allemand Kramer avait, lui, oublié qu’il avait joué la finale, en 2014.»
5. Est-ce que le staff médical de la Belgique est le numéro 1 mondial, comme ses joueurs?
«On se doit d’être le numéro 1 et j’espère qu’on le sera. Peu de staffs d’autres pays peuvent se permettre de compter à temps plein sur des spécialistes de renommée mondiale comme le physio Lieven Maesschalck ou le chirurgien Geert Declercq. Et nous disposons de la crème de la crème des masseurs. Eddy Pepels a fait sa carrière au PSV, Dirk Nachtergaele est peut-être le chef de la tribu des masseurs, vu son passé dans le cyclisme. Et Franky De Buyst est un ex-coureur professionnel. Il ne faut pas sous-estimer le travail des masseurs. C’est très intensif. Certains d’entre eux ont des tendinites en plein tournoi, tellement ils massent fort. Notre équipe médicale n’a jamais été aussi nombreuse. Nous sommes deux médecins, quatre masseurs, trois physios, un manager “Covid”, un responsable “Santé et Performances” (Johan Gerets), et on peut même ajouter nos deux analystes de stats, qui nous livrent aussi des data.»
6. Est-ce que vous mettez en garde les joueurs contre les produits interdits?
«Nous transportons notre propre “pharmacie maison” partout. Elle contient deux compartiments, qui sont clairement séparés. Un avec les produits autorisés. Et un autre avec des produits interdits que nous n’administrons qu’en cas de danger de mort. Je donne un exemple : de la cortisone qu’on infiltrerait en cas de réaction allergique extrême. La cortisone qui n’est pas administrée par voie intraveineuse est encore autorisée.»
7. Qui décide si un joueur est apte à jouer? Vous, le coach, le joueur ou… son club?
«C’est le joueur, en concertation avec nous. Nous lui informons des risques en cas de blessure légère, de blessure moyennement grave et de blessure grave. Parfois, il s’agit de décisions noir sur blanc. Un exemple : on ne peut pas jouer avec des ligaments croisés déchirés. Parfois, il n’est pas impossible de jouer avec des bobos. Un joueur qui est pro depuis 14 ans, souffre parfois d’inflammations ou de douleurs aux chevilles. Le contact avec les clubs est excellent et bien meilleur que par le passé, mais nous ne prenons contact avec eux pendant le tournoi qu’en cas de cas sérieux. Et Roberto Martinez, lui, suit tout de très près. C’est lui qui a choisi chaque membre du staff médical.»
8. Stressez-vous à l’idée de devoir recoudre une plaie sur le crâne d’un Jan Vertonghen en pleine finale de l’Euro?
«Vous faites sans doute allusion à la vidéo qui a fait le buzz de Jaap Stam qui se fait recoudre l’arcade sourcilière à l’Euro 2000? Du stress? Non. Mais je dois être prêt. Je préfère évidemment ne pas devoir intervenir. C’est toujours plus facile de réaliser des interventions médicales dans le calme de son propre cabinet. Et on a affaire à un joueur énervé, à la fois par le match et par sa blessure. Ce qui est aussi important est d’avertir aussitôt le banc avec comme message : il peut continuer le match, il doit être remplacé ou c’est du 50-50. Là aussi, ma décision peut être cruciale pour le déroulement et le résultat final du match.»
9. Que contient votre petite valise quand vous montez sur le terrain?
«Des antidouleurs, des ouates hémostatiques, notamment pour le nez, du matériel pour faire des points de suture. Et des boissons et des gels, aussi bien pour le blessé que pour les autres joueurs. Par contre, le matériel que nous transportons vers les hôtels est beaucoup plus conséquent : il s’agit de médicaments de tout genre, de tapes, d’huile de massage, de bandages… On a même un défibrillateur, même s’il y a très peu de chance qu’on doive l’utiliser. On remplit quatre grands coffres.»
10. Un médecin a-t-il le temps de se détendre durant un Euro?
«Si on fait du sport, c’est le matin, avant le petit-déjeuner des joueurs. Puis, on est à leur disposition pendant toute la journée. On ne peut en aucun cas donner l’impression d’être en vacances. Cela influencerait l’état d’esprit de l’équipe. Ma semaine la plus lourde était la première, lorsque tous les examens ont dû être faits pour l’UEFA. Et les voyages sont parfois éprouvants pour le staff médical aussi. Mais j’ai l’habitude de faire de longues journées. Il m’arrive de travailler 90 heures par semaine…»
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