«S’inventer un nouveau plan A»
Les sportifs s’entraînent sans calendrier concret. Une situation qui requiert de la flexibilité. Explications avec Jef Brouwers, psychologue du sport.
Publié le 19-03-2020 à 06h16
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Face à la propagation du Covid-19, les sportifs de haut niveau doivent, eux aussi, s'adapter. «Ce n'est pas évident car ils ne peuvent plus s'appuyer sur leurs repères habituels, explique le psychologue du sport Jef Brouwers, qui travaille, entre autres, avec les Belgian Tornados, Nina Derwael ou encore Emma Plasschaert. Ils ont besoin de structure et de discipline afin de donner le meilleur d'eux. Or, ici, ils n'ont que des incertitudes. Pour la plupart, ils ne peuvent même plus bénéficier des soins, si précieux, des kinés.»
À vous entendre, les psychologues du sport ont encore plus de travail que d’habitude. Quelles sont les demandes des sportifs?
Ce n’est pas tellement qu’ils ont besoin d’être rassurés par rapport au virus, mais ils sont perdus, se sentent un peu dans le vide. Les piliers de leur mode de fonctionnement ont volé en éclats. Ils doivent lutter contre un adversaire qu’ils ne visualisent pas. Jamais, ils n’ont dû se battre contre un rival invisible. Et ce, alors qu’ils se trouvent en pleine santé.
Une telle situation est-elle encore plus difficile à vivre qu’une revalidation après une blessure?
C’est différent. Une blessure n’est jamais agréable car elle empêche l’athlète de donner sa pleine mesure. Mais il sait où il doit aller. Il a un protocole de revalidation à suivre et ça demeure un objectif concret. Dans le cas présent, il avance sans clarté. Même s’il se sent très bien physiquement, il doute car il ne sait pas ce qu’il doit faire ou pas. Cette incertitude engendre des difficultés de prise de décision. Du coup, il peut penser tout et son contraire en quelques heures. C’est flou. Or l’être humain ne peut pas fonctionner sans clarté. Le doute est son pire ennemi. On dit aux athlètes de suivre les consignes à la lettre, mais, eux, doivent bouger. Leur métier, c’est le sport. Ils ne peuvent pas travailler correctement de la maison. Qui plus est, ils sont malheureux s’ils doivent faire l’impasse sur un jour d’entraînement. Une forme de déprime peut s’installer chez eux.
Le tableau que vous dressez n’est pas très réjouissant, alors que beaucoup d’entre eux se préparent pour les Jeux olympiques. Comment éviter cela?
En regardant la réalité en face, sans la nier. Ensuite, il faut respecter les consignes de la manière la plus stricte et accepter ce que l’on ne peut pas contrôler. Ça, c’est fondamental. Dans des circonstances inédites comme celles-ci, on doit avoir une grande flexibilité mentale. On appelle ça la neuroplasticité. Et ça s’apprend. Si vous voulez, c’est une capacité à se construire une nouvelle routine dans un nouveau contexte. Chez le sportif et son coach, ça se traduit par l’élaboration d’un nouveau plan A avec un quotidien et une manière de fonctionner complètement différents d’avant. Mais j’insiste bien sur la notion de plan A et pas de plan B. C’est important.
Expliquez-vous!
Le cerveau d’un sportif de haut niveau est programmé pour atteindre le meilleur. Il n’accepte pas de fonctionner avec une option de rechange, ce fameux plan B. En effet, le sportif a alors l’impression qu’il n’atteindra pas son objectif unique, qui est de gagner. Voilà pourquoi il doit essayer, même dans un tel contexte, de s’inventer un nouveau plan A. Bien sûr, certains accompliront ce processus mieux que d’autres.
On peut imaginer que pour des sportifs qui s’investissent durant quatre ans pour participer aux Jeux, leur annulation serait perçue comme une catastrophe…
Non! Mourir est une catastrophe, pas l’annulation d’un événement sportif, aussi prestigieux soit-il. Mais ça, ils en sont tous conscients, je suppose.