Thiam n’est plus seule sur sa planète
Katarina Johnson-Thompson n’est plus le poil à gratter de notre compatriote. À Doha, elle s’est portée à sa hauteur.
Publié le 04-10-2019 à 06h00
«Que j'ai gagné il y a deux ans à Londres ne me donne aucun avantage. On remet les compteurs à zéro à chaque compétition.» Nafissatou Thiam ne perd jamais le sens des réalités. Si on a souvent tendance à s'emballer parce qu'elle enchaîne les exploits les uns après les autres, elle demeure les pieds sur terre. Et l'avait rappelé à son arrivée à Doha. «Je sais qu'un jour, je connaîtrai la défaite. Parce que ça fait partie du sport et que personne n'est invincible.»
C'est justement ce dont Katarina Johnson-Thompson a eu du mal à se convaincre pendant des années. La surdouée de Liverpool, promise au plus bel avenir aussi bien au saut en longueur que dans les épreuves combinées, connaissait des trous d'air à chaque compétition. Depuis son titre européen chez les espoirs à Tampere en 2013 et sa belle cinquième place aux Mondiaux seniors, quelques mois plus tard à Moscou, elle ne parvenait plus à tenir la distance durant deux jours. Dans la tête, docteur, disait-on. Cette fragilité mentale, KJT la soigne désormais à Montpellier où elle a rejoint le groupe de Bertrand Valcin au lendemain des JO de Rio. «Quand elle se trouve dos au mur, Nafi trouve l'énergie et le panache pour réagir. C'est digne des grands champions», explique le technicien français.
Ces deux derniers jours, sa protégée a montré qu’elle pouvait aussi tenir le choc, désormais. Elle a tout de suite mis notre compatriote sous pression en réussissant une première journée brillante. En effet, même si elle n’avait commis aucune erreur et qu’elle était en avance sur ses temps de passage de Rio, Londres et Berlin, elle comptait un retard de 96 points sur sa rivale, un écart plus important qu’au Brésil, en Angleterre et en Allemagne. Une différence qui s’accentua même fortement à la longueur où Thiam, une fois n’est pas coutume, resta bien en deçà de ses standards alors que KJT demeura sur son nuage. Avec un saut à 6,40 m, la Namuroise a réalisé son plus mauvais concours dans un heptathlon depuis le meeting de Götzis en 2016, où elle avait enregistré sa dernière défaite avant trois ans d’hégémonie sans partage.
Pour la première fois, Nafi a même montré des signes de frustration. Au javelot. Où elle a façonné son chef d’œuvre de Rio, où elle s’est envolée à Londres et où elle a laissé sa rivale sans voix à Berlin. Hier, elle n’a lancé le javelot qu’à deux reprises, avant de s’arrêter après avoir volontairement mordu la ligne à sa première tentative et être restée loin de ses standards (48,04m) au second. De toute évidence, son coude la handicape fortement.
Mais alors que Kevin Mayer, tenant du titre et détenteur du record du monde, pleurait toutes les larmes de son corps après son abandon au décathlon, Nafi, elle, n’a pas lâché. Une médaille reste une médaille. Même si elle n’est pas toujours faite du plus précieux métal.
En tout cas, on se réjouit déjà de la revoir face à une KJT transformée dans dix mois aux Jeux de Tokyo. Thiam y défendra, la aussi, sa couronne.